Ron Howard et ses producteurs avaient pourtant monté à la Croisette avant l'ouverture du festival un coup médiatique impressionnant : affiches géantes, couvertures des magazines, télévision, etc. Las, son film, combinaison d'ésotérisme, de suspense, mélange surprenant des œuvres de Léonard de Vinci et d'histoire religieuse, de bagarres et de courses- poursuites (le cinéaste américain a même filmé un meurtre sous les yeux de La Joconde dans la grande galerie du Louvre), c'est un objet très ennuyeux, brutal et la mise en scène a beaucoup de limites et d'invraisemblances. A Cannes, on attendait beaucoup de cette œuvre. C'est simplement une (très) grosse production américaine avec une histoire très embrouillée. Cette histoire serait que Jésus-Christ aurait épousé Marie-Madeleine et qu'ils ont eu une descendance, ce que l'Opus Dei, branche secrète du Vatican, qui n'hésite pas à tuer, veut cacher en éliminant les descendants… Thèse fumeuse déjà dans le roman de Dan Brown, saga populiste mondiale éditée et vendue à 30 millions d'exemplaires dans le monde. Avant même la sortie du film, la fureur du Vatican, de l'Eglise orthodoxe grecque, est à son comble. Ils appellent au boycott. L'Opus Dei, sérieusement malmené à l'image, compte engager des poursuites. Mais, Sony Pictures et Columbia, qui ont produit le film, comptent exploiter cette vague de protestation à des fins commerciales. On se souvient que The Passion of Christ et The last Temptation of Christ, deux autres films américains, ont largement bénéficié des campagnes déclenchées partout pour les interdire. En particulier, le film de Martin Scorsese (The last Temptation of Christ) tourné au Maroc avait remué beaucoup de passion et le cinéaste avait même reçu des menaces de mort. La controverse va donc rebondir avec le film de Ron Howard. Aux Etats-Unis, où la sortie est prévue la semaine prochaine, on organise des sermons dans les églises contre le film et des sites internet mettent l'accent sur l'immense colère des catholiques contre cette histoire de code secret… Pour la presse (quelque 4000 envoyés spéciaux couvrant toute la planète), le festival a donc commencé mardi, avec une bonne longueur d'avance sur la manifestation officielle. Les journalistes font d'ailleurs écran à part, occupant la salle Debussy le soir et la salle Bazin dans la journée. Cette étrange communauté, plutôt remuante et scotchée aux écrans, hante aussi la salle Lumière tôt le matin quand les stars dorment encore. Dans cette surexcitation ambiante, la question simple et limpide qui hante aussi les journalistes, c'est, dans cette masse de films, que faut-il faire pour ne rien rater, quel choix opérer, sachant que c'est impossible de tout voir ? Le festival, cette année est dominé par quelques figures importantes : Ken Loch, Pedro Almodovar, Aki Kaurismaki, Nanni Moretti… La bonne nouvelle aussi, c'est que dans une France plus que métissée, avec des doubles nationalités, le festival de Cannes a choisi de montrer le travail de deux cinéastes émigrés (Algériens) dans les deux sections officielles, les films de Bouchareb et Zaïmèche. Ce dernier a intitulé son film en anglais : Back Home (retour au pays). Les portes du Festival de Cannes s'ouvrent aussi pour le colossal marché international du film avec cette année 10 000 participants, 1400 projections, 400 exposants. Sur la Croisette, il y aura dans les jours qui viennent une publicité tapageuse sur tous ces films à vendre. Le festival de Cannes a aussi un autre aspect encyclopédique avec la section «Tous les cinémas du monde», deuxième édition, où sept pays sont représentés (Tunisie, Israël, Chili, Venezuela, Russie, Singapour et Suisse). Ce panorama international fournira l'occasion de voir une extraordinaire diversité de thèmes, de récits dans les langues les plus variées. Rien que Singapour a apporté des films en mandarin, cantonais, malais, anglais et dans divers dialectes chinois ! Le cas de la Tunisie est aussi intéressant parce que les cinéastes tunisiens tournent de plus en plus en numérique, expérience nécessairement moins coûteuse que les tournages en 35 mm. Le cinéma égyptien qui a toujours été à Cannes (par Chahine interposé) est cette année absent, sauf au marché qui présente le dernier film de Chérif Arafa : Halim (La biographie de Abdelhalim Hafez) et le premier film d'un cinéaste cairote de 28 ans : Oumaret Yacoubian (l'immeuble ya coubian) de Marwan Hamed. Il paraissait logique au Festival de Cannes, vu l'absence du cinéma africain, de montrer au moins un chef-d'œuvre (Cannes classics), celui de l'Ethiopien Hailé Gérima : La moisson de 3000 ans qui date de 1975. Un qui les vaut tous.