Un jury libre de son choix, comme celui du 64° festival de Cannes présidé par Robert de Niro, devrait logiquement peser de tout son poids en faveur du film Le Havre, du cinéaste finlandais Aki Kaurismaki. Un sujet fort qui capte les émotions et les pensées. Cannes De notre envoyé spécial Le Havre a fait monter de plusieurs crans le niveau de la compétition. Voici un personnage surprenant d'intelligence et de bonté nommé Marcel Marx, écrivain bohème forcé par un revers de fortune à devenir cireur de chaussures dans la ville portuaire du Havre. Il attend à la gare, adossé au mur, sa boite à cirages à ses pieds. Quand un train entre en gare, il ne ramasse pas une fortune. Il voit que la plupart des voyageurs ont des baskets aux pieds. Il survit par intermitence, au hasard, avec le soutien d'amis, de commerçants généreux de son quartier. Un semblant de calme et d'harmonie règne autour de lui, il se rend chaque jour avec un bouquet de fleurs à l'hôpital où sa femme lutte contre la maladie. Soudain, un navire venu d'Afrique débarque au port un container rempli de voyageurs clandestins. Parmi eux, un jeune nommé Idrissa s'invite à l'improviste chez lui. Il est sans papiers, sans espoir, il cherche à rejoindre sa mère déjà installée à Londres. Désormais, la seule ligne de conduite de Marcel Marx, c'est d'aider Idrissa à embarquer pour l'Angleterre. Aki Kaurismaki est un des cinéastes nordiques les plus doués. Son cinéma est proche de celui de Bergman et de Bresson. Il a toujours mis son immense talent au service de sujets forts. En voyant son film à Cannes, on ne met pas longtemps à s'aperçevoir que c'est un travail très original, une œuvre d'une beauté réjouissante. Le Havre est empreint du refus absolu de l'absurdité, de l'injustice, de l'inhumanité des lois et des pratiques actuelles en France et en Europe sur la question de l'immigration. L'histoire d'Idrissa qui affronte le mécanisme aveugle d'un Etat de droit occidental est hélas une histoire vécue tous les jours. Cette œuvre forte sur le fond est aussi extrêmement attachante sur la forme. Aki Kaurismaki, à la manière du grand peintre américain Edward Hopper, utilise des couleurs contrastées, accentuées et des jeux de lumière très subtils. Tout son film baigne dans un «look» très sophistiqué. Avec Le Havre, le baromètre cannois est monté très haut. Jamais sans doute, dans une séance de presse, un film n'a été aussi applaudi. Le baromètre s'est ensuite effondré avec Mélancholia ,du Danois Lars Von Trier, pesante histoire de la fin du monde… Le Danois, ostensiblement provocateur, a fait un scandale et l'administration du festival l'a déclaré «persona non grata», le priant de quitter Cannes immédiatement, du fait de son comportement odieux à la conférence de presse où il a déclaré qu'il était «nazi, se sentant proche de Hitler…» Le film suivant a heureusement fait oublier cette histoire, la première dans les annales de Cannes. Il s'agit de La Peau que j'habite, de Pédro Almodovar. Une œuvre à mi-chemin entre la science-fiction, le diabolique et le rocambolesque qui a fait rire et trembler à la fois la Croisette. Avec une rare maitrise, Almodovar filme une parodie assez cruelle de la chirurgie esthétique. Images extrêmement léchées de laboratoires et de blocs opératoires, au centre desquels excerce un chirurgien, joué par Antonio Banderas,qui veut créer une peau humaine nouvelle pour soigner les grands brûlés, en prélevant des échantillons de peau de cochon… Almodovar pose la question de savoir jusq'où on peut aller dans la recherche médicale, quelles sont les limites à ne pas dépasser ? La défection à Cannes du cinéma algérien a été tristement ressentie. Pas le moindre drapeau vert flottant sur la Croisette, contrairement à l'année précédente avec le film de Bouchareb, et la forte délégation de bureaucrates venus d'Alger qui l'entourait…Au Village International, les stands de pays arabes étaient nombreux : Egypte, Jordanie, Liban, Abu Dhabi, Maroc, Tunisie… Le show égyptien a créé l'événement avec 18 Jours, œuvre collective de 10 courts métrages fiction autour de la Révolution du 25 janvier. Mourad Ben Cheikh, cinéaste tunisien, a présenté un documentaire Plus Jamais Peur, série de témoignages sur les récents événements dans son pays.