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Le candidat entre l'imam et le médecin
Publié dans El Watan le 03 - 06 - 2006

Pour cette semaine, notre attention a été attirée par deux dépêches. La première a trait à l'examen de 6e dans la wilaya d'Oran et la seconde concerne celui du bac dans la wilaya de Djelfa.
La correspondance de l'ouest du pays nous apprend que tous les moyens matériels ont été déployés par les autorités pour assurer un bon encadrement des écoliers-candidats. En effet, les centres d'examen ont offert aux élèves la restauration de midi et le liquide magique étancheur de soif, l'eau. Mieux, pour la première fois, des équipes médicales ont été dépêchées sur les lieux. Pas moins !
Dans la capitale des Ouled Naïls, c'est à l'Assemblée populaire de la wilaya de Djelfa que revient la bonne initiative de sensibiliser les candidats au bac autour du stress et des obstacles liés à cet examen. Plus de 200 élèves de terminale ont rallié la grande salle de conférences pour écouter religieusement des enseignants e… un imam. Ce dernier, dans son dévouement professionnel a sorti, les grands arguments pour les aider. Il leur conseilla – ni plus ni moins – que de réciter une sourate du texte coranique à chaque difficulté rencontrée le jour de l'examen.
Interrogations
Ces deux informations nous renseignent sur l'ambiance qui règne en cette fin d'année scolaire : angoisse, pression, peur/panique. Les épaules des enfants du primaire et des adolescents du lycée sont-elles assez solides pour supporter un tel poids ?
La présence des blouses blanches dans un centre d'examen – et une ambulance avec l'attirail utilisé dans les accidents de la route ou en temps de guerre – ne risque-t- elle pas de créer l'effet contraire à celui souhaité ?
Naïvement, les responsables de l'encadrement ont répondu qu'il s'agissait de parer à toute éventualité. Mais de quelles éventualités ? L'évanouissement, la blessure, le coup de barre, les maux d'estomac seraient-ils à ce point une fatalité ?
Mais à quelle fin nos petits sont-ils donc convoqués ? Certainement pas à un champ de bataille !
Quant au SOS lancé en direction des hommes de religion, il augure d'une nouvelle pratique puisée dans la vieille tradition du méchant djinn à exorciser.
Il ne manque que les amulettes (hrouz) pour parfaire un décor surréaliste aux yeux d'un esprit cartésien. Dans l'Algérie du IIIe millénaire, le fatalisme se cultive aussi sur les bancs de l'école.
A l'évidence, en Algérie, la préparation pédagogique – censée être garantie après des années d'études – ne suffit pas à rassurer ni les élèves ni les officiels du secteur. Derrière le rituel de cet examen des temps jadis se niche tout un faisceau de paramètres qui échappent à la gestion et à la prévision les plus raffinées : le milieu familial, le potentiel psychoaffectif, l'émotivité, la fatigue, les aléas imprévisibles… et les djinns. C'est pour avoir compris la nocivité des examens de fin de cycle (en vue d'une sélection) que tous les pays développés les ont supprimés du cursus scolaire. Le contrôle continu à base d'une évaluation formative – mais aussi diagnostique – et renforcé par des dispositifs d'observation psychopédagogique constitue la colonne vertébrale d'une stratégie de la «réussite pour tous». Ce concept peu coûteux s'appuie sur une approche de l'éducation scolaire alimentée aux sources de la psychologie moderne.
L'avenir de l'élève y est sécurisé avec un horizon dégagé de toutes turbulences, plus particulièrement le jeu «à pile ou face» des examens de sélection (genre 6e ou brevet). La Finlande, toujours citée dans la littérature spécialisée, arrive à placer 99% de ses élèves en position de réussite à la fin de leur scolarité obligatoire.
Sans que les petits finnois n'aient à se coltiner avec les médecins ou les prêtres des églises. Chez nous, le ministre de l'Education nationale a récemment déclaré que l'objectif est d'atteindre 95% de réussite à cet examen de sixième. Ce que nous souhaitons avec cœur !
Si tel est le cas, cela voudrait dire que seuls 5% sont inaptes à suivre les études du collège. Il est facile de les détecter après une année scolaire. Ils sont connus de leurs enseignants. Si c'est pour admettre un tel pourcentage (95%) pourquoi organiser un examen de sélection ! Ne coûte-t-il pas des millions de dinars et des dérives d'ordre psychologique que personne à ce jour n'a évalué, sans parler des perturbations organisationnelles des fins de 3e trimestre ?
Il fut un temps où l'examen de 6e n'était ouvert qu'aux élèves du CM2 sélectionnés par leur instituteur. Cette démarche évitait le couperet aux moins qualifiés et assurait des économies de temps et d'argent. Elle symbolisait l'élitisme et l'hypersélectivité du système d'antan, français bien entendu.
Contradictions
Une «vérité mensongère» et non des moindres se cache derrière ces examens de sélection : la présumée trituration des notes en cours d'année. Elles sont frappées de suspicion – dites de complaisance – et ont été à maintes reprises dénoncées par les officiels du ministère. Ce qui tend à discréditer la corporation aux yeux de l'opinion publique et des élèves. Il est inadmissible d'accuser les enseignants de complaisance après les avoir traînés à longueur d'année dans l'indignité de la sous-qualification. Le délit se situe dans le maintien d'un système d'évaluation/notation archaïque puisque plombé dans les vieilles recettes de l'encyclopédisme des programmes et du recours à la mémorisation forcée (par cœur). Si c'est pour imiter le système français autant l'imiter dans ses aspects positifs les plus modernes. Au pays de Jean-Jacques Rousseau, la sixième et le brevet élémentaire ne sont plus des obstacles à l'admission au cycle supérieur. Ils ont été supprimés depuis les années 1960. Des épreuves diagnostiques (orientées vers la remise à niveau) les ont remplacés. Elles ont lieu en début de chaque rentrée scolaire et sont expurgées de la funeste dimension de compétition et de concurrence génératrice de tensions, de pression et d'angoisse. Le diagnostic en septembre au niveau des classes de début de cycle (3e année primaire, 6e et seconde) reste le meilleur moyen pour motiver les enseignants (ou les contraindre, c'est selon) à plus de rigueur et de professionnalisme dans leur pratique de l'évaluation. Il suffit de les outiller en conséquence : en techniques pédagogiques et d'observation des élèves. Mais le plus important est de leur accorder la confiance qu'ils méritent en tant qu'éducateurs. Ne dit-on pas que le conseil de classe est souverain dans ses décisions de promotion des élèves ?
Ni le président de la République et encore moins le ministre ne peuvent leur disputer cette prérogative écrite en lettres d'or dans les livres de la pédagogie universelle.
Au sujet de l'examen du brevet en tant qu'unique critère d'évaluation pour l'admission au lycée – une décision prévue pour l'année prochaine – et celui du bac, le ministre dit ne plus tolérer de rachat à moins de 10/20. Selon le premier responsable du secteur, «c'est une pratique de l'ancien système de l'école fondamentale jugé défectueux». Dans cet ordre d'idées, il a déclaré : «Il n'est plus question de revenir aux pratiques passées.»
En réalité et afin de rafraîchir les mémoires, les rachats des temps jadis (d'avant l'école fondamentale) n'étaient valables que pour les bons élèves qui, pour une raison ou une autre, accusaient un déficit le jour de l'examen. Le rachat se justifiait par le souci de ne pas pénaliser ceux qui avaient trimé pendant leurs années d'études et ainsi de confiner le «risque tombola» lié aux examens/sélection à son seuil minimal. Le rachat n'existe plus dans les systèmes éducatifs qui les ont créés. Ils les ont fait disparaître dans le sillage de la suppression des examens de fin de cycle. Au fait, pourquoi clamer haut que «le rachat, c'est fini !» alors qu'une deuxième session est programmée pour le 24 juin ?
Aux yeux des initiés – et ils sont nombreux parmi les parents d'élèves – la contradiction la plus criante réside dans la cohabitation (toute théorique) du couple «contrôle continu/examen de sélection» : une chose et son contraire.
Comprendre ici par contrôle continu : les modalités qui permettent aux enseignants de réguler leur action pédagogique, adapter leurs interventions pour remettre à niveau la totalité des élèves en difficulté.
Nous sommes loin des seules opérations de bilans chiffrés à chaque mois ou trimestre. Quoique même ces dernières sont occultées par l'examen de fin de cycle : un comble !
Il convient d'ailleurs d'utiliser la dénomination «évaluation continue». Et pour reprendre un grand spécialiste du domaine : «L'évaluation bien comprise dépasse les seules modalités de notation. En plus de rompre la monotonie par la diversification de ses formes et des instruments utilisés, elle implique clarté dans le recueil de l'information et rigueur dans les prises de décision.» ( B. Maccario)
Il reste une autre explication plausible. Le contrôle continu version algérienne servirait d'artifice à l'instar de tous les autres concepts novateurs et séduisants servis en abondance jusque-là, sans peur de l'overdose. L'approche par les compétences, le contrat de performance, le projet d'établissement, l'obligation de résultats et tout le reste du menu concocté en toute précipitation.
Comme si une réforme de l'école pouvait s'apparenter à une course chronométrée sans préparation, ni sensibilisation et ni recyclage. Il se dit le plus officiellement du monde qu'en quatre ans, le taux de réalisation de la Réforme en cours a atteint 60%. Inimaginable sous d'autres cieux ! La Suède a mis 10 ans avant de passer à la phase expérimentale des dossiers de sa première réforme de l'école. C'est dire !
Les spécialistes, eux, parlent de la réforme en tant que dispositif permanent intégré à la politique de l'éducation scolaire. Un dispositif qui s'étale sur des décennies dans le but d'intégrer les nouveautés, rectifier chemin faisant et coller au plus près du monde de la recherche pédagogique. Chez nous, la réforme est conçue en tant que finalité alors qu'ailleurs, elle est un instrument pour atteindre des objectifs de court, moyen et long terme.
Calmez-vous, nous sommes au pays de la célèbre formule «laab h'mida, recham h'mida», en clair «juge et avocat» ou le candidat à l'évaluation qui s'autoévalue. L'autosatisfaction peut s'afficher en toute impunité vu l'absence d'une structure d'évaluation indépendante et gérée par de vraies compétences. Enterrée la recommandation de création de l'Observatoire contenue dans le rapport final de la Commission nationale de réforme du système éducatif ?


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