Les personnes évacuées lors d'élections libres se voient ainsi siéger dans un CN pour dire la loi «au nom du peuple». Le CN reste donc entaché d'un vice incontestable au regard de la démocratie. Mais l'histoire enseigne, également, que la deuxième chambre ne peut résister longtemps à la poussée inexorable de la démocratie. Les institutions historiquement conçues pour réfréner les «excès» démocratiques du peuple, comme le CN, présentent des caractères peu démocratiques. Elles peuvent être difficilement tolérées dans une époque où la démocratie et la liberté sont les idéaux de la population. La majorité des premiers membres du CN, particulièrement le tiers nommé, se qualifiaient comme membre de la famille «patriotique» et se croyaient détenteurs d'une légitimité exclusive qui s'apparente à celle d'une aristocratie. En Angleterre, sur les 1350 pairs qui siègent dans la Chambre des lords, environ 800 sont membres à titre héréditaire, 550 le sont à titre viager (nommés par le souverain) et 26, les lords spirituels, sont des membres de l'épiscopat de l'église anglicane. En France, la Chambre des pairs de la monarchie de juillet fut abolie lors de la proclamation de la IIe République par les constituants de 1848, en partie du fait de son refus d'élargir le cens (la base électorale) et donc de démocratiser le régime. Le Conseil législatif néo-zélandais (1950) a été supprimé car il heurtait le fonctionnement normal de la démocratie. La Chambre haute suédoise avait perdu toute raison d'être, le constituant suédois en prit acte en optant pour un régime monocaméral en 1969. Ainsi, tant que subsiste une seconde chambre, l'impression d'une démocratisation inachevée prédomine, surtout par contraste avec les premières chambres, par définition – et sous réserve d'absence de fraude – plus démocratique. Certes, les secondes chambres des pays fédéraux (USA, Allemagne, etc.) sont plus démocratiques et représentent des régions ou des Etats fédérés – Lands. Dans les démocraties ayant des secondes chambres, la démocratie n'a pas atteint un niveau optimal au regard des critères constitutifs de la démocratie parlementaire suffrage universel direct, mandats courts et renouvellement intégral. Aucun ciment ne lie les propres membres du CN où l'on observe la naissance d'une dichotomie semblable à celle que l'Algérie a connue durant la colonisation et séparant le premier College (tiers désigné) d'un deuxième College (deux tiers élus au suffrage indirect des élus locaux). Le premier College disposant d'appuis dans les cercles dirigeants et de canaux d'expression dont est dépourvu le deuxième College, etc. Dans sa conception actuelle, le CN n'a dorénavant que deux solutions devant lui, conduisant toutes deux à son décès à plus ou moins brève échéance l'opposition sans concession au présidentialisme qui a l'avantage de garder l'équilibre du système ou la mue en un autre organe d'assimilation à l'APN. Sera-t-il tenté par la première alternative ? Va-t-il négocier âprement son statut ? Ses membres vont-ils s'unir pour sauver leur «institution» ou, enfin, chaque «sénateur» négociera tout seul sa retraite. En apparence, le CN n'est pas soudé et peut également s'atomiser tout seul. Mais la Constitution lui garantit son mot à dire, puisqu'aucune révision constitutionnelle ne se fera sans son accord. Il ne faudra donc pas s'étonner donc d'entendre demain l'un ou l'autre membre du CN affirmer que le Conseil est la «digue de la démocratie» contre les prétentions du présidentialisme. Néanmoins, le CN est un maillon important du système qui ne concevra sa disparition que si un autre moyen de contrôle de l'exécutif est mis au point. Protéger le CN, c'est protéger l'une des lignes rouges mises face au président. Stratégiquement, la démocratie n'est pas le premier souci des protagonistes, et il faut s'attendre à un compromis d'autant plus que le CN n'est pas la plus importante des lignes de démarcation à l'intérieur du système ; ce n'est après tout qu'un moyen, une chose qu'on peut remplacer ou accommoder pour lui éviter la sanction des urnes. D'autre part, l'idée générale, selon laquelle la société algérienne n'est pas mure pour la démocratie, conforte aussi bien les prétentions des adeptes du statu quo que celles du modèle présidentialiste. Restent donc les modalités du partage du pouvoir entre ces deux faces du même credo. C'est à l'intérieur de ce cadre que la solution apparaîtra. Les secondes chambres comme le CN, souvent critiquées pour déficit démocratique, peuvent servir de refuge aux politiques sur le déclin et que le suffrage direct ne permettraient pas ou plus de distinguer. Maintenir le CN, c'est garder un facteur de complexité institutionnelle et impliquerait inutilement, en outre, des contraintes budgétaires. Cependant, si la nécessité absolue de supprimer le CN se maintient ou si sa réforme est recommandée, cela nécessite une révision constitutionnelle. Or le CN a le moyen de négocier sa mue. Les articles 74 et 175 de la Constitution relatifs au recours direct au peuple ne permettent pas de contourner efficacement l'obstacle du CN. Son accord est donc constitutionnellement indispensable. En cas de refus et donc de blocage, est-ce que la légitimité (faire respecter la volonté générale d'un référendum par exemple) l'emporterait dans les esprits sur la légalité (respect formel de la Constitution) ? Ou est-ce qu'une solution de compromis, entraînant la reforme du CN, est la solution médiane souhaitable ? Dans les Etats ou la tradition est plus consensuelle, et où l'histoire s'y déroule sans gros à-coups, et lorsque les élites au pouvoir acceptent la démocratie, le besoin d'une deuxième chambre ne s'est pas fait sentir. De façon plus significative, le Danemark ou le Luxembourg, par exemple, n'ont jamais ressenti le besoin d'une seconde chambre. La Finlande s'est toujours refusée à créer une seconde chambre. En Algérie, la révision constitutionnelle elle-même a généralement été conçue comme un attribut du peuple qui se prononce par référendum, sauf dans les Constitutions de 1976, qui permettait à l'exécutif de l'imposer sans recours au peuple, le Parlement du parti unique devant seul se prononcer à la majorité des deux tiers. Dans la Constitution de 1996, le recours au peuple n'est pas obligatoire, mais dans tous les cas, la révision doit d'abord être votée par les 2 chambres (APN+CN) dans les mêmes conditions qu'un texte législatif (articles 120, 123 et 174), tant pour être soumise à référendum, que pour son adoption sans le recours au peuple. Cela veut dire qu'avec ou sans recours au peuple, un tiers des membres du CN peut bloquer la révision constitutionnelle. C'est ce qu'avait prévu le régime pour empêcher une APN trop libre de modifier la Constitution avec l'assentiment d'un président consentant. Le CN a été conçu pour freiner, même après le départ du président Zeroual, toute velléité démocratique. Ainsi, si le président de la République peut se passer de référendum, il est toujours contraint d'obtenir le vote des 3/4 des 2 chambres, en plus de l'accord du Conseil constitutionnel. Il n'y a aucune solution possible d'une révision constitutionnelle qui n'aurait pas reçu l'aval des 3/4 du CN actuel. L'hypothèse de disparition du CN en raison de la demande démocratique nécessite une subtile reforme : sa réforme. Le maintien du CN tout en le rendant acceptable démocratiquement est possible si on se réfère aux critères de la représentation (légitimité), de la spécialité et de la défense des valeurs islamiques et des droits de la personne humaine. Le CN actuel est dans les deux tiers de ses membres le représentant des collectivités locales (Constitution, article 101 alinéa 2). C'est une légitimité partielle, qui ne se justifiera que par l'affaiblissement de ses pouvoirs exorbitants. L'APN représente la nation – sous réserve de non fraude – tandis que le CN devra être le lieu naturel de représentation des entités locales (communes et wilayas), des autorités spirituelles (Conseil supérieur islamique démocratisé au sens où ses dirigeants ont la confiance du peuple) et professionnelles (Conseil national économique et social – CNES – dont la composition sera également améliorée). Il ne s'agit pas de créer un CNES bis mais d'en réviser la composition pour la rendre plus démocratique et moins corporatiste, avant de réaliser sa fusion au CN dans un but d'équilibre institutionnel. Le CN, dont la représentativité actuelle est manifestement éloignée des critères traditionnels de la démocratie, notamment avec son tiers «désigné», doit rechercher une légitimité spécifique mais subsidiaire. Dans ce cas, le CN, dont les prérogatives devraient être revues, ne sera pas vraiment remis en question du fait de la place fonctionnelle qu'il aura dans les institutions. Cette représentativité très spécifique peut être cumulativement à caractère religieux, historique ou symbolique (comme pour la Chambre des lords), socioprofessionnel (Sénat irlandais) et régional (Italie, Espagne, etc.). L'existence du CN reformé permettra, en outre, une amélioration sensible au niveau de trois étapes importantes du processus législatif. Le privilège de proposition des lois réservé actuellement aux députés (article Il 9 alinéa 2), et au chef de gouvernement devrait être étendu aux membres du CN qui en sont actuellement exclus. L'admettre pour un CN reformé donnera un surcroît de créativité puisque la composition sociologique, technique et morale des deux chambres sera différente. Au stade de la discussion des textes, le surplus de légitimité et de spécialité va permettre au CN une discussion plus sereine des textes pour proposer et non rejeter, qui est actuellement sa seule possibilité. Le rejet pur et simple est un aveu d'échec. Seule la proposition démontre la qualité du travail du Sénat, même si elle n'est pas retenue. Le CN reformé doit être l'adjuvant, et non simplement l'adversaire de l'APN dans une obscure lutte d'influence. La fonction de transaction du CN doit être sans conteste la plus constructive quant au contenu final de la loi promulguée. Au travers des navettes entre l'APN et le CN, éventuellement dans la Commission paritaire, la loi est progressivement débarrassée de ses imperfections et s'enrichit. A la dialectique majorité/opposition de l'APN devra s'ajouter une seconde richesse complémentaire entre les sensibilités à l'intérieur du CN reformé et entre les deux chambres. Un second contrôle de nature politique n'est pas superflu, complétant le contrôle exclusivement juridique exercé automatiquement par le Conseil constitutionnel (CC) pour les lois organiques. A cette condition de concurrence pour le bien public, l'apport technique et politique du CN pourra, éventuellement, permettre au CN de se muer en chambre de sages. C'est de cette manière qu'il permettra de gagner en continuité, en stabilité, en sagesse et en raison dans l'œuvre législative. Le CN réformé devra se poser en protecteur de l'Islam et des droits et des libertés. Il défend la religion du peuple (vocation nationale), les intérêts des catégories sociales et professionnelles comme les corporations, les professions et les patronats (vocation technique) ou géographiques (vocation régionale) dont ses membres émanent et qui autrement seraient souvent minoritaires à l'assemblée. Il contribue, en outre, à un effort plus soutenu d'investigation sur la gestion du gouvernement, puisqu'il a la possibilité de créer des commissions d'enquête. En l'état actuel, le CN ne peut jouer ce rôle. Si le privilège du président de la République de nommer est limité dans son choix aux membres du CSI, du CNES et aux personnalités dont la compétence et l'honnêteté est reconnue, le CN disposera d'une légitimité plus réelle et d'une sérénité nécessaire. Mais ce qui vaut pour le CNES ne vaut pas pour le CSI, lequel devrait prendre en considération l'autorité morale de ses membres, et leur ascendant sur la population. A ces conditions, si l'APN doit refléter le pays politique par une représentation honnête et sans fraudes, le CN doit représenter la morale sociale et la religion de l'Etat et du peuple, la «sagesse», la «modération», la liaison nécessaire entre les générations, entre les professions et les styles. Le nouveau découpage territorial annoncé serait un moyen supplémentaire de légitimation naturel.