Annoncée pour animer les débats aux côtés de Me Zehouane, président de la LADDH et du couple Chaulet, témoins vivants ayant côtoyé son mari en pleine bataille d'Alger, Mme veuve Abane n'a pas pu faire le déplacement à cause d'un vol Alger-Béjaïa annulé et d'un état de santé qui ne pouvait supporter un tel trajet par route. «Ifri a jeté les bases de la renaissance de l'Etat algérien. Nous devons faire de ce 20 août 1956 une date marquante de notre histoire au même titre que le 1er novembre 1954 ou le 5 juillet 1962, car tous les peuples ont besoin de repères historiques pour vivre», affirmera d'emblée Me Zehouane en guise de réponse à «ceux qui veulent éteindre une telle bougie», pour reprendre son expression. L'assistance nombreuse qui a regretté sans doute l'absence de Mme veuve Abane, une figure qui ne s'est à aucun moment investie dans la vie politique nationale, s'est laissée finalement transporter, comme dans une machine à remonter le temps, par le récit poignant de ce couple français d'origine ayant soutenu la Révolution algérienne et hébergé son architecte. «Après avoir affirmé à Abane que nous sommes, ma femme et moi, Algériens, il n'a pas manqué de nous mettre à l'épreuve dès le lendemain en nous confiant une mission. Nous servions de transporteurs.» «Pour l'anecdote, témoigne M. Chaulet, on nous a chargés de transporter le document de la plate-forme de la Soummam et on l'a dissimulé sous les couches de notre bébé pour passer sans encombre les barrages militaires ; eh bien, le bébé n'a pas mouillé ses couches !» Mme Chaulet, elle, se souvient très bien de l'homme que fut Abane. «Il venait souvent à la maison pour ses rendez-vous et y a plusieurs fois passé la nuit. On le connaissait au quotidien. Il maîtrisait très bien le français, le kabyle et l'arabe parlé. Il nous parlait de son village natal et de son lycée à Blida. Il était intéressé par les histoires de libération des peuples. Ce qui m'a frappée le plus c'est sa curiosité : il posait beaucoup de questions et écoutait attentivement les réponses. Une fois la bataille d'Alger terminée, les responsables du FLN devaient monter au maquis ou rejoindre les pays frères. Abane devait partir au Maroc. La veille, il nous a demandé de le déposer à Blida. Après avoir repéré les lieux la veille, je suis partie avec lui dans notre 2CV avec notre bébé sur le siège arrière sans avoir eu le temps de le confier à une tierce personne. Il avait sorti son pistolet et l'a mis sur ses genoux en le recouvrant d'un journal. Nous n'avions pas rencontré, heureusement, de barrages militaires en route. J'avais très peur, mais j'ai réussi à le déposer à bon port après avoir agité un rameau d'olivier en guise de reconnaissance.» M. Chaulet avoue n'avoir rien dit après l'assassinat de Abane car, estime-t-il, il devait faire preuve de discipline. Pour clore son intervention, il a préféré lire un passage de la Charte du congrès de la Soummam : «C'est une révolution organisée et non une révolte anarchique (…). C'est enfin la lutte pour la reconnaissance d'un Etat algérien sous forme d'une république démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolue.»