Claudine et Pierre Chaulet: une vie dédiée à l'Algérie Ironie de l'Histoire, c'est durant le mois d'octobre que l'horloge biologique des Chaulet s'arrête, c'est-à-dire à la veille de la célébration de la révolution du 1er Novembre 1954. Après le médecin et militant anti-colonialiste, le Moudjahid Pierre Chaulet, décédé le 5 octobre 2012, est venu le tour de son épouse Claudine qui a rendu l'âme hier, à quelques jours de la célébration du 1er Novembre. La Moudjahida, Claudine Chaulet, est décédée hier, à l'âge de 84 ans. L'enterrement a lieu aujourd'hui, samedi, aux cotés de son mari, au cimetière d'El Madania à Alger. Elle a été acteur et témoin du combat des Algériens durant la guerre de Libération nationale. Née en 1931 à Longeau en Haute-Marne en France, elle est arrivée en Algérie en 1942 avec ses parents. Depuis, c'est la grande aventure qui se poursuivra même après l'indépendance puisque cette infatigable militante fera de la sociologie rurale son champ de bataille. Elle a contribué à la formation et à l'émergence de toute une génération d'étudiants et de chercheurs algériens. Dès 1962, elle redonne de l'importance à la question paysanne dans le contexte de la construction nationale. Ainsi se termine la grande et passionnante aventure de ce couple extraordinaire dont la vie est intimement liée à l'Algérie et à son combat pour l'indépendance. Mission accomplie donc pour Pierre et Claudine. Fatma Oussedik raconte que Claudine lui avait fait cette petite confidence: «J'ai dit un jour à Pierre: je te suivrai partout même à Bordj Bou Arréridj alors que nous traversions cette ville en revenant d'une mission, à l'époque c'était affreux». Grande militante de la cause nationale, elle s'engage très tôt dans le combat. «J'avais compris que le 1er Novembre était un événement extraordinaire qui allait donner enfin un sens aux luttes. C'est donc tout naturellement que je me suis engagée.» L'un médecin au début des années 1950, son avenir était tout tracé pour exercer dans un des départements huppés de Paris et son épouse professeure de sociologie devait officier dans la prestigieuse université de la Sorbonne, loin des tracas et de la guerre d'Outre-mer. Le couple Chaulet s'est formé le 21 décembre 1954. C'était la date de leur rencontre, soit un mois après le déclenchement de la guerre de Libération algérienne. Ils se marièrent alors et épousèrent la cause algérienne. Ils ne se sépareront plus jamais jusqu'à la mort. Ni les arrestations ni les intimidations ni le harcèlement de la police coloniale n'ont pu les dévier de leur combat pour une Algérie libre. Pierre et Claudine Chaulet ont choisi de combattre pour l'indépendance de l'Algérie, ils ont vécu en Algérie, travaillé en Algérie après l'indépendance, morts en Algérie et enterrés an Algérie. Quelle belle leçon de patriotisme. Leur vie et leur histoire sont intimement liées à celles des grandes figures emblématiques de la Révolution algérienne. Ils étaient de grands amis de Abane Ramdane et de Krim Belkacem. L'histoire de la guerre de libération est chargée d'anecdotes, de faits d'armes: lorsque le défunt Chaulet et son épouse Claudine transportaient et faisaient déplacer ces chefs de la révolution avec leur mythique Citroën Chevrolet. Combien de fois, en effet, Abane ou Krim avaient échappé aux barrages de l'armée française alors qu'ils étaient transportés par le Pr Chaulet? Lui et son épouse étaient des membres actifs des réseaux clandestins du FLN. Le couple s'engage pour la révolution à travers l'exécution de plusieurs actions pour le FLN: transport de tracts, évacuation de militants recherchés, à l'instar de Abane Ramdane que Claudine avait transporté dans sa voiture à Blida au moment où Alger était quadrillée par les paras français, hébergements de moudjahidine et de chefs historiques de la révolution, visites aux malades et blessés et rédaction d'articles de presse. Dans son livre qui raconte ces jours extraordinaires elle y revient sur la plate-forme de la Soummam qu'elle avait transportée dans les langes de son bébé vers Blida le jour même où Pierre était arrêté par des policiers des services de renseignements français. L'engagement de sociologue militante s'est poursuivi après l'indépendance par le même élan de justice pour cette paysannerie qui a été la force de la révolution. Au lendemain, de l'indépendance, Claudine Chaulet rejoint l'Institut national de la recherche agronomique puis travaille comme enseignante à l'Institut de sociologie et comme chercheur au Centre de recherche en économie appliquée. Avec Claudine, il a co-écrit un livre relatant leur itinéraire: «Le choix de l'Algérie: deux voix, une mémoire», sorti en 2012 aux éditions Barzakh. Les sacrifices de ces grands militants sont-ils vains? Leur héritage intellectuel, politique et de militants est-il parvenu aux nouvelles générations? Quelques années avant sa mort, Pierre Chaulet confiait à des amis qui lui sont proches qu'il aurait souhaité apporter sa contribution au plan politique dans son pays, l'Algérie. L'indépendance du pays acquise, le Dr Chaulet a attendu, attendu... mais on n'a jamais frappé à sa porte pour le solliciter ne serait-ce que pour une carrière diplomatique. Ainsi meurent les héros. Dans la grandeur et la dignité. Le Pr Chaulet a demandé à être enterré à côté de la tombe d'Henri Maillot. Fidèle au mort, Claudine rejoint l'époux aujourd'hui. Qu'elle est passionnante la vie de Pierre et Claudine Chaulet, qu'elle est belle leur mort...