« Si Bouteflika veut bien me pistonner auprès de son ami Sarkozy pour qu'il me délivre une carte de séjour, je voterais pour lui avec les deux mains. Sinon, makench el vote... » Debout en face de la station de métro Barbès Rochechouart, Mehdi, 34 ans, arpente matin et soir le trottoir pour vendre des cigarettes Marlboro made in Algeria à 2,50 euros le paquet contre 5 dans les bureaux de tabac. Originaire de Belcourt, ce jeune homme, qui vit au noir en France depuis une dizaine d'années, avoue ne porter aucun intérêt à l'élection présidentielle du 9 avril prochain. « A quoi bon voter ? De toutes les façons, ce sont toujours les mêmes qui gouvernent l'Algérie depuis l'indépendance. Bouteflika ou un autre, c'est kif kif... » Dimanche 29 mars à Barbès (18e arrondissement), le quartier mythique des Algériens de Paris. C'est peu dire qu'ici comme sans doute partout en France, ce scrutin présidentiel ne suscite guère d'enthousiasme chez les électeurs (776 000 personnes) de la communauté algérienne. Tout le long du boulevard La Chapelle, là où s'alignent magasins d'alimentation générale, boucheries, cafés et gargotes, boutiques de vente de téléphones, de DVD et de cassettes audio, rien n'indique qu'on vit à l'heure de la campagne électorale. Seuls signes extérieurs qui indiquent que l'on est à l'écoute de l'actualité algérienne, une dizaine de posters de Bouteflika. Evidemment, à Barbès comme dans les petites et grandes contrées d'Algérie, on n'échappe pas à la règle de l'affichage sauvage. Ici, en dehors de Bouteflika, point de salut. Exit les Louisa Hanoune, Fawzi Rebaïne, Djahid Younsi et Mohamed Saïd, ceux qu'on appelle les lièvres... Mais à bien regarder, la présence du président candidat est réduite à une stricte figuration. Trois posters collés sur le portail d'une résidence, deux autres scotchés sur le mur d'un immeuble, un autre sur la devanture d'un café, un autre sur la vitrine d'un magasin et un dernier scellé sur un poteau électrique. Cela n'empêche pas Ramdane, 40 ans, gérant d'un commerce, Le Bazar de l'alimentation, d'afficher le poster de Bouteflika sur la vitrine de son établissement, au milieu des sacs de semoule importés du pays, de narguilets et de boîtes de datte Deglate Nour. Installé en France depuis une vingtaine d'années, Ramdane soutient qu'il ira voter le 4 avril prochain dans les locaux du consulat d'Algérie à Paris. Pour qui ? Pour Bouteflika, répond-il sans la moindre hésitation. « Je suis fier de lui. Il a fait deux mandats et réalisé beaucoup de choses pour l'Algérie. Il nous a rendu notre fierté », annonce-t-il. Mais lorsqu'on demande à Ramdane s'il envisage de rentrer au bled pour profiter des bienfaits de ce pays rendu fier, fort et beau par Bouteflika, sa réponse est sans appel. « Ma vie est en France. Je n'ai pas l'intention de retourner en Algérie. Je suis bien ici. » Assis à côté de lui, son frère, Smaïn est d'un autre avis. Lui n'ira pas voter parce qu'il ne croit plus aux promesses du Président. « Il m'a déçu lorsqu'il a modifié la Constitution pour s'offrir un troisième mandat, explique Smaïn. Bouteflika a fait son temps. Il devrait laisser la place aux jeunes. L'Algérie a besoin d'hommes nouveaux. Regardez les Américains. Ils ont élu un jeune Noir âgé de 47 ans. Pourquoi sommes- nous obligés de supporter encore un président âgé et malade ? On en a marre des vieux, place aux jeunes. » Au 27 de la rue Charbonnière, une ruelle qui longe le boulevard de la Chapelle, on fredonne un autre air. C'est ici que les partisans du Président ont ouvert une permanence électorale. A l'intérieur de ce petit réduit, qui appartient au patron d'une boucherie de Barbès, une dizaine de personnes, des gens d'un certain âge pour la plupart, prennent le thé en discutant de l'actualité du bled. A l'intérieur de cette permanence, on distribue volontiers un prospectus vantant les mérites des deux mandats de Bouteflika. Dans ce petit fascicule rédigé dans un français bancal, on enfile les réalisations du raïs comme des perles : « Durant un parcours si riche en activités et responsabilités au service de notre pays, Abdelaziz Bouteflika a su relever tant de défis et surmonter tant de crises nationales et internationales qu'il paraît évident d'appeler à le réélire avec un fort taux de participation et de soutien et pour continuer à conduire efficacement la politique de notre pays dans la période si sombre qui s'annonce au niveau international. » Un vieux chibani avec casquette « Votez pour Bouteflika » vissée sur la tête, fait le majordome. « Il faut aller voter le 4 avril prochain, nous dit-il d'un ton péremptoire. Surtout, il faut voter Bouteflika. C'est l'homme qu'il faut pour le pays. » Mais bien sûr…Posters du chef de l'Etat par centaines, drapeaux algériens, petites affiches et pancartes, les murs de cette permanence sont tapissés d'autant d'effigies à la gloire du président. Il faut croire qu'à Barbès, comme ailleurs dans l'Hexagone, les supporters de Bouteflika disposent de moyens. De beaucoup de moyens. D'où viennent les subventions ? Qui paie ? Motus et bouche cousue. Ici on ne parle de fric que quand s'il s'agit du président.