La rencontre fut riche et forte, forte en émotion certes, mais riche en enseignements. Les quatre photographes présents, habitués, pour la plupart, au terrain de guerre étaient choqués par l'ampleur du désastre, dénonçant les moyens utilisés et témoignaient ce que les officiels israéliens démentent, à savoir l'utilisation de nouvelles armes. Après que l'animateur du débat eu présenté les quatre reporters photographes, il fit un résumé de la situation au proche-orient afin que l'assistance puisse comprendre de quoi il en retournait. C'est Noël Quidu, reporter photographe français, qui commence par rectifier. On parle sans arrêt du Liban, mais on oublie les hommes politiques de Gaza qui ont été arrêtés et emprisonnés par l'armée israélienne, on a aussi très peu parlé de la confrère libanaise tuée au Liban (Leïla Naguib, free lance, avait 23 ans). Puis le Belge Bruno Stevens ajoute : «Il y a un autre fait important qui est omis, on n'arrête pas de discréditer le Hezbollah, de le traiter de groupe terroriste alors qu'en évoluant, ce mouvement est devenu une organisation incontournable d'ailleurs, deux de ses membres sont ministres dans le gouvernement libanais actuel, et nous avons appris juste avant la guerre que sa milice allait intégrer l'armée régulière libanaise…» L'Américain Stanley Green revient sur les événements : «Nous voulions photographier les deux parties mais nous n'avions aucune possibilité de couverture, que ce soit du côté Hezbollah ou de l'armée israélienne. On a alors accès à notre travail sur les civils. J'ai vu une scène, il y avait une fillette qui était allée chercher un jouet dans sa maison en ruine, elle a été tuée de 7 balles dans le dos ; sa mère qui était partie la chercher a, elle aussi, été tuée ; ça m'a secoué, déchiré le cœur. On a vu des maisons et des cadavres piégés. Ce sont des crimes de guerre. Tyler Hicks, l'autre Américain confirme : «Nous étions étonnés de voir autant de victimes civiles, mais nous devions fournir des photos pour montrer ce qui se passait. L'armée israélienne envoyait des tracts pour ordonner aux gens de quitter les villages. Mais les véhicules qui quittaient les lieux étaient ciblés par des bombardements. même des ambulances ont été touchées. la terreur était telle que personne ne voulait plus sortir, ils préféraient rester chez eux. Noël Quidu parle alors des nouveautés militaires: «La technologie était très présente. c'était bizarre, on était là à faire notre boulot et on entendait les drones au-dessus de nous qui nous surveillaient, c'était assez étrange. Nous avons vu dans cette guerre des armes nouvelles, des explosifs que nous n'avions jamais vu auparavant, des explosions que nous ne connaissions pas…» Bruno Stevens en colère ajoute : «On était fâchés par ce qu'on a assisté à un jeu de massacre vidéo. Je travaillais avec la croix-rouge quand j'ai vu, en une minute et demie, 11 immeubles s'écrouler, étage par étage. deux minutes après, il n'y avait plus qu'un cratère, jamais nous n'avions vu ça !» «C'est vrai, renchérit Tyler Hicks, les israéliens ont détruit des immeubles entiers mais le traitement de l'info masque beaucoup de choses. j'ai personnellement été attaqué par certains pour la photo que j'ai prise d'un blessé qui tombe d'un immeuble. on m'a accusé d'avoir fait une mise en scène et d'avoir photographié mon chauffeur.» Stanley Green raconte alors cette anecdote particulière : «La situation était extrême, au point où les photographes eux-mêmes se sont investis. j'ai vu des confrères ôter leur matériel, prêter leur gilet par balles pour aider des civils à sortir de leur village…» Bruno Stevens s'en prend à une certaine presse : «Dans libération, un article attaquait mon travail. j'ai pris alors ma plume pour me défendre et j'ai répondu. Nous sommes photographes mais aussi journalistes. nous devons, nous aussi, intervenir pour protéger notre profession…» Tyler Hicks parle de l'avènement des blogs qu'il trouve bizarre. «C'est vrai, confirme Stanley Green, que les blogs ont permis aux gens de s'exprimer mais dans les débats, la déviance est rapide et les extrêmes prennent vite le dessus.» Bruno Stevens, revenant au travail sur le terrain, rend hommage aux photographes locaux «qui prennent beaucoup de risques, car c'est toujours la même histoire. ils prennent et nous envoient des photos et c'est leurs familles qui en pâtissent…» Le silence qui suivit ce témoignage clôturait un débat qui continuait bien au-delà du festival, puisqu'une certaine tendance en France dénonce le parti pris de Visa pour l'Image pour la cause palestinienne. Mais là, s'ouvre à un autre débat ….