– 4 Quelle politique ? Pour quel avenir ? Aux termes des développements précédents, il est important de souligner les trois observations suivantes : – 1 En premier lieu, un épuisement physique des réserves de pétrole conventionnel n'a rien d'exceptionnel si tous les partenaires du marché pétrolier (pays exportateurs, pays importateurs, compagnies) acceptent dès maintenant un ajustement progressif du prix de ce même pétrole qui le conduirait, selon une logique d'augmentations régulières et négociées, à égaliser, dans les 15-20 années à venir, les coûts de mise en valeur du pétrole non conventionnel de remplacement, dont les ressources sont gigantesques et les coûts très élevés (pétrole lourd 20 API, pétrole extra-lourd 10 API, schistes bitumineux, ; sables asphaltiques…) et des autres produits énergétiques substituts (énergies nouvelles et renouvelables). Autrement dit, il s'agit, notamment pour les pays consommateurs, de choisir entre deux politiques alternatives ; absorber par doses graduelles et prévisibles cette hausse des prix ou la recevoir immanquablement comme un ajustement brutal. Une telle démarche permettra d'éloigner l'horizon de la pénurie, une pénurie physique de pétrole est en effet une situation où les prix internationaux de pétrole ne s'élèvent pas assez ou pas assez rapidement pour rendre possible la mise en valeur des ressources alternatives à coût cher. Il faut reconnaître que jusqu'à maintenant, et en dépit des nombreuses initiatives(dialogue producteurs/consommateurs, propositions de la commission de stratégie à long terme de l'Opep…), c'est un autre choix qui a prévalu, reposant sur le gel artificiel des prix pétroliers, notamment ceux de l'Opep, d'où la confrontation récurrente, tous les 8-10 ans, à une flambée des prix. – 2 La deuxième observation, dont il faut tenir compte, a trait aux conséquences de prix pétroliers élevés dans le futur et leurs implications institutionnelles pour un pays exportateur comme l'Algérie. Si comme le soulignent de nombreux spécialistes, la poursuite de la hausse des prix est devant nous (ceci n'exclut pas évidemment des périodes de corrections provisoires vers la baisse), l'enjeu dans les années à venir pour les pays producteurs, spécialement pour l'Algérie, n'est pas d'entraver ou de contrer cette tendance (l'opération n'est du reste pas aisée : l'échec des tentatives de neutraliser la flambée actuelle des prix en est l'exemple), mais de choisir entre les différentes politiques possibles, celle qui permet de maximiser ses revenus. Si on laisse de côté les considérations d'ordre politique ou idéologique et que l'on s'attache uniquement aux facteurs économiques, la meilleure des politiques est celle qui assure le partage le plus favorable de la rente dans un contexte de rapport de force donné. Ceci implique, comme le prouve l'histoire pétrolière des 35 dernières années, la préservation des formes de contrôle majoritaire sur les activités du secteur pour réguler le rythme des productions et des exportations, encadrer les négociations commerciales sur les prix et les volumes, notamment pour le gaz. Bref, pouvoir concevoir une politique commerciale, à moyen et long terme, en toute indépendance. Tel n'était pas le cas dans le régime juridique édicté par la loi d'avril 2006, où le contrôle majoritaire en matière de nouvelles découvertes était concédé à l'investisseur étranger à hauteur de 70% au minimum. La restauration de l'obligation de participation majoritaire (51% minimum) qui a été confirmée par l'ordonnance du 30 juillet du président de République au bénéfice de l'entreprise publique Sonatrach apparaît alors comme une décision pleine de sagesse, parce que, entre autres, elle rend possible une politique indépendante de préservation de ressources énergétiques non renouvelables, faciles d'exploitation et peu coûteuses, qui, de surcroît, appartiennent solidairement non seulement à notre génération, mais également aux générations futures (quel prix payeront nos petits-enfants, une fois épuisés les hydrocarbures, pour acquérir les technologies du nucléaire par exemple, à supposer que ce choix soit politiquement faisable ?). Le retour, d'ailleurs, sur ce point précis, aux anciennes dispositions de la loi sur le partage de production de 1986 est le signe que cette loi n'a pas démérité. – 3 La confirmation de ce choix stratégique, et c'est là notre dernière observation, ne doit pas masquer le fait que le secteur des hydrocarbures fait face depuis des années à d'autres défis tout aussi stratégiques. Citons brièvement au moins trois d'entre eux : – 1 Le débat sur la sécurité à long terme de nos propres approvisionnements énergétiques doit être rouvert. La politique du «tout gaz», définie dans les années 1970 qui a consacré le gaz naturel comme source majeure pour couvrir les besoins du marché intérieur, est maintenant passablement bousculée par, d'une part, l'amplification des projets d'exportation (l'engouement international pour le gaz devient une formidable source de pression sur notre politique d'exportation) et, d'autre part, la perspective de croissance de la demande domestique (outre les usages traditionnels qui croissent, citons le projet d'exportation d'électricité fabriquée à partir du gaz, le projet de développement d'une industrie pétrochimique à base de gaz…). L'arbitrage entre couverture des besoins à long terme du marché intérieur et exportations devient urgent. Pour ne pas s'arrêter à des objectifs très vagues comme dans le passé (profession de foi récurrente de sécuriser 35/40 ans de demande intérieure, sans dispositif réel de mise en œuvre de cet objectif), ne faut-il pas franchir le pas et inscrire dans ce débat la question de dédier des gisements précis à la satisfaction exclusive de la demande à moyen et long terme, du marché intérieur ? Ce choix se trouve plus facilité après les récents amendements : en récupérant une majorité de décision sur la production, l'Etat peut aisément mettre en place une politique de préservation des ressources, ce qui serait inconcevable dans un contexte de contrôle majoritaire étranger sur cette même production. – 2 Le régime juridique de «partage de production» a débouché sur des résultats très satisfaisants (croissance des réserves, des productions, des exportations, drainage substantiel d'investissements…). Il a produit aussi des effets pervers. Un de ces effets le plus visible est le recul de la position de Sonatrach dans la production (près de la moitié de la production pétrolière totale a été assurée par les compagnies étrangères en 2005). Ce résultat peut être interprété comme le signe du succès incontestable de cette formule de partenariat, mais il traduit aussi un manque à gagner évident pour Sonatrach et surtout une régression du niveau de la maîtrise du processus de production par l'entreprise publique. Sur un autre plan, si ce déséquilibre devait se poursuivre, voire s'élargir (ce qui n'est pas exclu), il pourrait déboucher sur une déqualification substantielle des compétences techniques de l'entreprise publique (sans parler de la fuite de personnel qualifié vers les compagnies). Ne faut-il pas, là aussi, songer à des garde-fous qui permettraient à Sonatrach de réaliser un seuil minimum de la production totale du pays ? – 3 Si l'on admet, ce qui est une évidence, que le pays dépend encore grandement, après des décennies d'«investissements», de la rente pétrolière (qui a représenté en 2005, près de la moitié du PIB, deux tiers de la fiscalité publique, la quasi-totalité des exportations), la tentation est grande, dans une perspective de hausse des prix internationaux, de reconduire, à l'identique, la politique peu rigoureuse que nous avons connue dans le passé, qui consistait à se reposer presque exclusivement sur la croissance des exportations de pétrole et de gaz pour augmenter la richesse nationale. Dans ces conditions, le défi majeur qui confronte le pays est de rompre avec cette logique de fuite en avant. L'instauration de fonds de stabilisation des recettes est un pas dans cette direction, mais elle ne saurait suffire, d'autres pays, confrontés au même risque de dépendance vis-à-vis des recettes faciles du pétrole, ont pris la décision radicale et courageuse, de plafonner la part de la rente dans le revenu national (l'excédent éventuel de recettes, étant gelé dans des fonds de solidarité entre les générations). L'enjeu, qui importe le plus, n'est donc pas de savoir comment dépenser l'argent du pétrole et du gaz, mais comment faire pour se passer progressivement de ces revenus. Cette question, qui demeure centrale, est donc toujours au cœur de la problématique des hydrocarbures, depuis… 30 ans ! – N. B. : Les données statistiques citées dans ce texte ont été, pour l'essentiel, regroupées à partir de l'exploitation de différents numéros des periodiques et rapport suivants : Pétrole et gaz arabes-PGA, Oil and gas Journal, raport annuel de l'Agence internationale de l'énergie-AIE. L'auteur est Professeur d'économie