Comme s'ils se sont donné le mot, une autre figure de l'écriture historique, algérienne celle-là, mourra quelques heures après. Il s'agit de Mahfoud Keddache. Vidal-Naquet sera marqué pour toujours par l'affaire Dreyfus dont ses parents laïques lui ont fait le récit avant qu'ils ne soient enlevés par la Gestapo à Marseille en 1944 et déportés au camp de concentration d'Auschwitz pour ne plus y revenir. Il s'engagera en faveur de la cause algérienne contre la torture. «L'idée que les mêmes tortures (subies par les parents, ndlr) puissent être infligées d'abord en Indochine et à Madagascar puis en Algérie par des officiers ou des policiers français m'a fait horreur. Mon action n'a pas d'autres sources que cette horreur absolue», assure-t-il dans un entretien. Tout en menant ses études d'histoire, il s'engagea dès 1957 du côté des résistants algériens. Helléniste reconnu, il publiera une enquête détonante, comme pour faire un pied de nez aux gens qui veulent qu'il écrive son premier livre dans la spécialité qu'il s'est choisie. Ce sera, à l'entendre, «la première affaire de sa vie» et qui concerne le militant Maurice Audin. La disparition de Audin sera l'occasion pour cet humaniste patenté d'aiguiser ses armes lui valant les pires récriminations de ceux qui aspirent à casser du «fel» dans les mechtas. Il sera d'ailleurs interdit d'enseignement au moment où il sort ce livre dans lequel il battra en brèche les assertions des parachutistes quant au sort réservé à Maurice Audin. Pierre Vidal-Naquet met sur pied en 1957 un comité qui porte le nom de cet illustre mathématicien dont une placette attenante à la Faculté centrale (actuelle Benyoucef Ben Khedda) où celui-ci y fera ses classes. Une année plus tard, il signera le manifeste des 121. La guerre à peine finie, il rejoindra, toujours aussi plein de fougue militante, la prestigieuse Ecole des hautes études pour les sciences sociales (EHSS) qu'il dirigera pour un moment. Il signera par ailleurs des pétitions appelant à la création d'un Etat palestinien. L'homme courageux ne se taira point même sur ses vieux jours. Il dénoncera ainsi la guerre menée au pas de charge au Liban. Pierre Vidal-Naquet, qui a toujours été marqué à gauche sans pour autant qu'il ne s'engage dans une quelconque formation politique, sera de tous les combats pour la liberté des peuples. N'ayant pas le manichéisme outrancier d'un Jean Paul Sartre, toujours sur ses gardes, il fera, tout compte fait, sien l'engagement des peuples du Tiers-Monde.