Affichant son souci d'améliorer les accès de la ville pour lui redonner son cachet de capitale de l'Est, le wali a annoncé, lors d'un premier contact avec la presse, qu'il fera le grand déblayage sur tous les plans après avoir installé, le 15 octobre 2005, une commission d'évacuation du site suite à une visite d'inspection à la daïra d'El Khroub. La ferraille de Aïn El Bey sera parmi les sites ciblés, bien qu'une opposition manifeste n'a pas tardé à venir de la part des ferrailleurs. Le premier contact, inévitable, entre les concernés et le wali a eu lieu au mois de mars 2006. La petite salle du Palais de la culture Malek Haddad était trop exiguë pour contenir une foule nombreuse. Des ferrailleurs convoqués à la hâte attendaient des mesures, d'autres savaient déjà que leur sort allait être scellé. Il y avait aussi des intrus selon les représentants des ferrailleurs, car du nombre de 160 ferrailleurs avancé en premier lieu, il ne restera que 116 exerçant réellement, le reste s'est avéré être des chauffeurs de taxis et des fraudeurs voulant profiter de l'occasion pour décrocher un lot de terrain. «La rencontre a été trop courte et trop expéditive pour que nous ayons eu le temps de réagir», se rappelle encore un ferrailleur. Le wali a été catégorique. La ferraille devra être évacuée. En tout, les concernés n'avaient d'autre issue que de s'organiser et désigner des représentants pour défendre leur cause. Des péripéties qui en disent long… L'histoire des ferrailleurs de Constantine remonte à 1954 où ceux qui ont choisi de vivre de l'activité de récupération, très peu nombreux à l'époque, étaient éparpillés entre le quartier de Bardo et Sidi Mabrouk, avant d'être rassemblés après l'indépendance à El Bridaâ sur l'actuelle avenue de Roumanie. La municipalité de Constantine de l'époque, qui avait choisi de délocaliser la ferraille d'El Bridaâ vers le site de Boulebraghet à El Gammas, croyait bien faire. L'extension tentaculaire de l'urbanisme et la naissance spectaculaire de nouvelles cités nécessitera encore une seconde délocalisation en 1975. Les représentants des ferrailleurs de Aïn El Bey nous expliquent : «Nous avions refusé les sites de Bekira et de Massinissa qu'on nous avait proposés pour une durée d'exploitation de cinq ans. L'intervention de l'armée qui a proposé le site de Guettar El Aïch a fini par débloquer la situation.» Ils se rappellent encore les tas de promesses des autorités de l'époque pour régulariser leur situation et leur assurer l'alimentation en eau et en électricité, le raccordement au réseau du gaz et l'assainissement de la route. Ils diront ceci : «Rien ne sera fait. Après les premiers jours du déménagement où l'armée nous a aidés pour le transport, nous avons été complètement abandonnés. A El Guemmas, on avait bien travaillé, on avait un bail et on payait l'électricité et le loyer.» Ils avouent ne pas comprendre pourquoi ils n'ont été ni indemnisés ni régularisés dans cette opération nationale de délocalisation des ferrailles dans les grandes villes, à l'instar des ferrailleurs de Sénia à Oran, de Oued Smar à Alger, de Sétif et de Annaba. Et d'ajouter aussi : «On est restés longtemps marginalisés depuis 1977 avant d'être coincés dans un conflit entre les communes de Constantine et d'El Khroub. En 1982, l'APC d'El Khroub nous a proposé de nous vendre le mettre carré à 20 DA, mais un désaccord avec les ferrailleurs n'aboutira pas à la remise des actes. On croyait que notre problème allait être réglé, depuis rien n'a changé.» Un problème administratif qui retardera la remise des actes de propriété selon les propos des ferrailleurs. Depuis, c'est le retour à la case départ. La ferraille connaîtra en trente ans une grande extension après les partages familiaux. Les 24 ferrailleurs de 1977 seront 116 en 2006, avec 119 lots, y compris la mosquée, le restaurant, le café et le mécanicien. Après neuf mois, le statu quo Neuf mois après la rencontre du wali avec les ferrailleurs, et malgré toutes les démarches, les choses ne semblent pas avancer. Selon les représentants des ferrailleurs, une commission de la daïra d'El Khroub avait proposé six sites pour les ferrailleurs. Sur les sites concernés, certains seront carrément retirés de la liste car faisant partie de l'extension urbaine des villes de Aïn Abid et de Aïn Smara. «Ce sont des sites qui ne sont pas commodes avec notre activité car n'ayant pas d'accès et se trouvant trop éloignés, de plus ils sont rocailleux et ne permettent pas la construction de garages», disent les ferrailleurs. Le dernier site retenu à Coudiat Sidi Abdellah, au lieu-dit Eddouamès, situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Aïn Abid, a été catégoriquement refusé. La commission chargée de représenter les ferrailleurs, et composée de six membres affirme, documents à l'appui, avoir consulté les concernés à la fin du mois de juin dernier pour connaître leur position. «114 ferrailleurs sur les 116 que comptent le site ont exprimé leur refus d'aller vers le site de Aïn Abid, situé à plus de 50 km de la ferraille de Aïn El Bey.» Un dossier vient d'être transmis au chef de daïra d'El Khroub au mois de novembre 2006 pour confirmer encore cette position. Revenant sur la rencontre de Malek Haddad, tenue au mois de juin dernier, les représentants des ferrailleurs rappellent que le wali a promis de remettre des contrats aux ferrailleurs qui acceptent d'être délocalisés mais il n'a pas précisé s'il s'agit de contrats de location ou d'actes de propriété. A ce propos, ils ont dit : «Des ferrailleurs illettrés n'ont pas compris alors que d'autres opportunistes ont applaudi. Ces gens que nous n'avons jamais connus depuis 1977 n'ont rien à avoir avec la ferraille.» Ils avancent même une chose étrange : qu'ils ont débusqué des ferrailleurs venus d'Alger, et que des étrangers à la ville de Constantine se réclamant d'un parti politique ont prétendu avoir des parcs à la ferraille. C'est dire aussi que le projet de délocalisation de la ferraille vers le site de Aïn Abid attise l'appétit de certains arrivistes voulant sauter sur l'occasion et se faufiler dans les rangs des éventuels bénéficiaires de lots de terrain. Quel avenir pour le site ? Les ferrailleurs évoquent, par ailleurs, que, contrairement aux croyances et aux informations données par ceux qui ignorent l'étendue réelle de la ferraille de Aïn El Bey, cette dernière est une énorme réserve de milliers de tonnes de pièces métalliques qu'il est impossible de déplacer sans consentir des dépenses astronomiques. Ils tiennent le discours suivant : «C'est énorme. Il existe même des engins de plus de 50 tonnes mais aussi des constructions, des investissements inestimables et des magasins de pièces de rechange. C'est un travail de 30 ans durant lequel nous avons dépensé des centaines de millions pour l'aménagement du site et l'ouverture d'une route vers la RN79. On ne peut pas investir dans d'autres lieux ; si on n'était pas marginalisés, on aurait changé de vocation pour construire des unités de recyclage.» Selon leurs représentants, les ferrailleurs de Aïn El Bey se défendent d'être des occupants illicites des lieux car ils ont leurs attributions en bonne et due forme. Pour ceux qui connaissent bien le site, situé à la sortie Sud de la ville, non loin du carrefour stratégique menant vers la nouvelle-ville Ali Mendjeli, entre une zone militaire au nord, la RN79 à l'est, des fermes privées au sud et le domaine de l'Etat à l'ouest, la réponse aux convoitises dont le lieu fait l'objet est bien simple. Des lots de terrain situés sur le versant Est et une partie du côté Ouest de la RN79 sur plus de 20 ha sont déjà la cible de certains «grands» promoteurs immobiliers. Il ne faut pas être un fin expert pour savoir que dans le territoire de la commune de Constantine, le foncier est devenu une denrée rare et donc très chère, qui rapporte gros, très gros même. On parle aussi d'un projet de complexe sportif que la wilaya compte concrétiser sur le site. Pour les ferrailleurs, le site est aussi un gagne-pain pour plus de 1000 familles. C'est, mine de rien, une école qui a formé des électriciens, des mécaniciens, des tôliers et des chefs de parc. Aussi, soutiennent-ils : «Lorsqu'on est venus dans cette région, il y a trente ans, il n'y avait qu'une piste qui mène vers Guettar El Aïch, un petit village à l'époque. Sur les 48 ha qu'on nous a attribués, on n'en a exploité que 25, faute de moyens. Des gens ont vendu leurs vaches pour la délocalisation. On nous a fait payer des amendes sur la ferraille que nous avons laissée à El Gammas. Nous avons résisté ici pour reprendre à zéro. Il y a des parcs partagés par cinq frères, des familles ont jusqu'à 14 enfants à nourrir.» Les ferrailleurs se disent aussi des investisseurs qui ont contribué à la dépollution des déchets ferreux de toutes les sociétés nationales proposés dans les ventes aux enchères. «Des engins ont été vendus et récupérés grâce aux ferrailleurs. On reçoit des étrangers qui viennent à la recherche de la ferraille mais on répond à des demandes de pièces de rechange des sociétés implantées dans le Sud, cela leur coûte moins cher que de les commander ailleurs.» Reconnaissant qu'il y a eu certes des dépassements par certains bénéficiaires qui ont occupé les lots de terrain se trouvant à proximité de la RN79, les ferrailleurs proposent, selon leurs représentants, de les déplacer vers le haut avec l'aménagement de toute la zone. En somme, les ferrailleurs de Aïn El Bey campent toujours sur leur position, ils refusent leur délocalisation vers le site de Aïn Abid. Ce dernier devra être aménagé incessamment selon le chef de daïra, surtout que des informations parlent d'une enveloppe de 3 milliards de centimes dégagée par la wilaya. Sur un ton d'apaisement, ils disent : «Ces gens ont toujours payé leurs impôts malgré les difficultés. Ils ne demandent pas grand-chose. On est prêts à proposer des solutions et écouter celles du wali que nous voulons rencontrer sans intermédiaires. Les choses ne se font que par l'arrangement. Nous sommes prêts pour le dialogue et on n'a jamais été contre le développement de la wilaya.» Depuis six mois, l'activité de la ferraille a été touchée de plein fouet par les rumeurs. C'est toujours le «wait and see». Y aura-t-il une issue à un problème devenu trop épineux au point qu'il touche l'avenir d'un millier de familles ?