Jeudi, toute la journée, on avait l'impression que deux Algérie se côtoyaient. Entre 8h du matin et 8h du soir, sur les écrans nationaux, la liesse était de rigueur avec des urnes en fête plus que de nature, une participation massive et heureuse qui votait pour l'amour du pays. C'était le summum de l'endormissement comme « l'Unique » nous y a habitués, alors que les télévisions françaises d'information en continu n'ont pas zappé la réalité du contexte mais en revanche la complexité des enjeux politiques sous-jacents. Les informations ont axé sur un pays en souffrance, avec un taux de chômage inquiétant, le prix de la pomme de terre à 100 DA, le manque de logements, les jeunes harragas qui préfèrent nourrir les poissons que mourir à petit feu en Algérie, l'impossibilité de se marier, la palme de l'humour noir reviendra certainement à ce jeune homme qui répond au journaliste français : « Me marier ? Mais la vie est chère... Le prix de la patate et de la tomate... Et les couches... Vous savez à quel point sont chères les couches pour bébé. » L'image donnée en marge de l'élection présidentielle apportait un regard décalé, relativement réaliste de la situation algérienne, c'est-à-dire surréaliste. Les Algériens saturés par la grandiloquence, voulue nationaliste, de la télévision algérienne, pouvaient exceptionnellement se voir dans un miroir plus authentique, rarement sinon jamais montré sur les écrans de l'ENTV, mais souvent décrit dans les colonnes de la presse écrite. Ils ont même pu découvrir jusqu'aux images des bidonvilles qui enserrent la capitale. Avec beaucoup d'approximation, mais comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on sait que les visas journalistiques sont accordés au compte-gouttes, même pour les journalistes qui couvrent habituellement l'Algérie ? On se rappelle les propos de notre consœur, Florence Beaugé, du journal Le Monde dans nos colonnes : « Je suis obligée de faire du journalisme à distance. » (EW le 17 mars 2009). Rien d'étonnant dès lors que lorsque les vannes s'entrouvrent, les reporters de l'audiovisuel parent au plus pressé et brossent un tableau sommaire, manquant de temps et de contacts pour une vue plus complète. Des questions essentielles, comme la fin des années sanglantes de la décennie noire ou l'amnistie, sont cependant évoquées. France 3 notamment donne la parole dans son édition de 19h30 à des repentis de l'ex-GIA. Sur I-télé, BFM TV, LCI ou même les chaînes internationales France 24 et Euronews, toute la journée, hormis le constat des problèmes socioéconomiques, les commentaires étaient les mêmes toute la journée : « Scrutin sans surprise » « Les dés sont pipés », pas de suspense, « Bouteflika est sûr d'être réélu »... Dans les phrases qui marquent, comment ne pas citer ce jeune homme disant calmement : « Bouteflika, il est élu par je ne sais qui, pas par nous, peut-être par eux-mêmes. » Dans les journaux de France 2, TF1 et Arte ou encore France 3, nulle part on n'a entendu les noms des challengers du président- candidat, excepté celui de Louisa Hanoune (femme et trotskiste dans le monde arabe, cela fait fantasmer les télévisions occidentales). « Leur notoriété n'est pas établie », dit doctement Benjamin Stora sur le plateau de BFM TV. La journaliste lui répond : « L'Algérie va en reprendre pour cinq ans. » Une expression qui fait mouche, comme les termes d'une Algérie « désabusée, désenchantée » qui font florès. Dans ce contexte, tranche l'envoyé spécial de TF1, « cette présidentielle n'est pas la principale préoccupation des Algériens ». Ce que précise un reporter : « Les Algériens pensent que l'élection a déjà eu lieu en novembre lors de la révision de la Constitution. On ne leur a pas demandé alors leur avis, pourquoi le leur demande-t-on à présent ? » Quant aux partis d'opposition, ceux qui appellent au boycott, à savoir le RCD et le FFS, d'une chaîne à l'autre, ils sont généralement qualifiés, sans rire, de « poids lourds de l'opposition ». C'est du reste à Saïd Sadi, numéro un du RCD, que France 24 donne la parole à 20h. Il annonce que la participation, selon les chiffres de son parti recueillis par des militants au sein même du ministère, n'est que de 16% à 18h, alors que les chiffres officiels du ministère font état de plus de 60%. « Nous pouvons affirmer que les chefs de bureau ont reçu l'instruction de ne pas envoyer des rapports de vote avec moins de 70% de participation. » Pas loin du final annoncé officiellement dans la soirée de jeudi.