Les manifestants thaïlandais n'ont même pas eu de courtoisie à l'égard de leurs invités venus prendre part au sommet asiatique. Plus que cela, et comme s'ils voulaient les prendre à témoin, ils ont décidé d'attirer l'attention sur eux, car, se demande-t-on, que ce serait-il passé si ce sommet s'était déroulé sans le moindre incident ? Et même le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a « profondément regretté » le « report » du Sommet asiatique de Pattaya auquel il devait participer, tout en déclarant « comprendre » les raisons qui ont poussé la Thaïlande à prendre cette « décision difficile ». A l'heure où ce pays n'en a pas fini avec ses coups de colère, il s'est contenté d'un vœu. « J'espère un retour rapide à la normale en Thaïlande, ainsi que le règlement des différends par le dialogue et des moyens pacifiques », a-t-il dit. Depuis le 26 mars, le mouvement des Chemises rouges campe autour du siège du gouvernement à Bangkok. Mercredi, il avait accentué la pression sur M. Abhisit en rassemblant plus de 100 000 personnes dans les rues de la capitale.Thaksin Shinawatra, 59 ans, ancien homme fort de la Thaïlande renversé par des généraux royalistes en 2006, s'est enfui à l'étranger pour échapper à une condamnation pour corruption dans son pays. Homme d'affaires controversé, il reste toutefois populaire, en particulier dans les régions rurales du nord. Abhisit Vejjajiva, 44 ans, est devenu Premier ministre, le 15 décembre, à la faveur d'un renversement d'alliance parlementaire. Les Chemises rouges l'accusent d'être une « marionnette » de l'armée et de certains conseillers du roi. Aussi surprenant que cela puisse paraître, et même si cela ne figurait même pas dans les plus basses hypothèses, ce sommet a été reporté sine die et l'état d'urgence décrété dans la ville et ses alentours, a annoncé le gouvernement thaïlandais. « Toutes les réunions ont été reportées », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Panitan Wattanayagorn, ajoutant qu'il y allait « de la sécurité des dirigeants » des seize pays d'Asie-Pacifique qui participaient aux réunions. Au climat de panique s'ajoute ces dirigeants qui ont dû être évacués précipitamment par hélicoptère. Le Premier ministre, Abhisit Vejjajiva, dont les manifestants réclament la démission, a annoncé à la télévision que l'état d'urgence était décrété à Pattaya et dans la province environnante de Chonburi, ce qui donne des pouvoirs étendus aux forces de l'ordre. Les rassemblements de plus de cinq personnes sont désormais interdits. Aucune nouvelle date n'a été avancée pour la tenue du sommet entre les pays d'Asie du Sud-Est et leurs principaux partenaires, sommet qui avait déjà été reporté en décembre en raison de l'interminable crise politique thaïlandaise. Débordant les forces de l'ordre, des centaines de Chemises rouges — surnom des partisans de l'ex-Premier ministre en exil, Thaksin Shinawatra, ont fait irruption hier, en début d'après-midi, à l'intérieur du complexe hôtelier de luxe surplombant le golfe de Thaïlande où le sommet avait débuté vendredi. Scandant des slogans hostiles à M. Abhisit, les protestataires, surexcités mais non-violents, ont envahi plusieurs bâtiments de l'hôtel. Avant d'entrer en force dans le complexe, les Chemises rouges avaient déjà bloqué les rues de Pattaya à l'aide de centaines de taxis. Ce blocus avait forcé l'annulation d'une rencontre entre les chefs de la diplomatie chinois, japonais et sud-coréen ainsi que le report de sommets entre les dirigeants des dix pays de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean) et la Chine, la Corée du Sud et le Japon. La situation a encore été compliquée samedi matin par l'arrivée, sur les lieux, de Chemises bleues, des militants pro-gouvernementaux armés de bâtons et de bouteilles. Des échauffourées ont éclaté avec les Chemises rouges, faisant 13 blessés, selon les services de secours. Un atavisme, dira-t-on, que l'on croyait disparu. Mais la réalité est la plus forte. Elle est même porteuse de dangers pour un pays qui ne finit pas de chercher les voies de la stabilité.