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La face cachée de l'histoire
Publié dans El Watan le 15 - 02 - 2007

Le Manchot de Lépante, Miguel de Cervantès, (1547-1616), connut le même sort. A son retour de la mer Adriatique où il avait pris part à la fameuse bataille de Lépante en 1571, il fut enlevé par des corsaires à la solde du royaume d'Alger. Pas moins de 4 années de sa vie s'écoulèrent dans les geôles, jalonnées de plusieurs tentatives d'évasion, avant d'être racheté par les siens contre 500 écus.
Si le premier a été converti, de force ou de gré, au christianisme, dans la cité du Vatican, le deuxième, quant à lui, ne dit pas, dans ses écrits, avoir été forcé de quitter sa religion. La Méditerranée les avait séparés en tant que captifs. Elle les a cependant réunis en tant qu'écrivains hors pair. On ne devient pas romancier ou chroniqueur pour avoir été quelque temps derrière les barreaux. Des prisonniers tels que l'Américain Carrel Chessman (1921-1960), Nehru (1889-1964), Yaqut Al Hamaoui (1179-1229) et autres écrivains de leur calibre sont des êtres d'exception dans l'histoire des lettres.
La Méditerranée était celle de Charles Quint, de Philippe II, des frères Barberousse et de Soliman le Magnifique. En somme, elle fut un lac de guerres plutôt que de paix comme le prétendent les politiciens, par euphémisme, depuis les guerres puniques jusqu'à nos jours.
Parfois, il faut savoir gré aux tyrans, aux forbans et aux corsaires de tout acabit. En effet, ils ont des moments d'éclaircie et de fulgurance qui se répètent çà et là, et qui sont à l'origine de bien des côtés positifs à travers l'histoire. Léon l'Africain et Miguel de Cervantès eurent la vie sauve. Contrairement aux usages de l'époque, on fit montre à leur égard d'une haute voltige politique.
Léon l'Africain, auteur du fameux Description de l'Afrique eut donc la chance de tomber entre de «bonnes mains» pour ainsi dire. Ses ravisseurs, remarquant son savoir encyclopédique, l'épargnèrent et l'offrirent au pape Léon II.
Arnaut Mamí, le grand corsaire à la solde du royaume d'Alger, fit prisonnier Miguel de Cervantès et son frère Rodrigo le 26 septembre 1575. Il aurait pu, comme il était d'usage à l'époque, en finir avec eux, car, le temps était à la guerre entre les deux rives de la Méditerranée. Il ne le fit pas. Avait-il donc flairé en Cervantès le romancier de génie qu'il allait devenir quelques années plus tard ? Savait-il, lui le corsaire, que le roman moderne allait naître sous la plume de ce manchot qui avait, par ses tentatives d'évasion répétées, donné du fil à retordre à ses geôliers d'Alger ? Que de prophètes, de génies créateurs ont trouvé des fins atroces entre les mains de quelques obscurantistes !
Une nouvelle géopolitique de la Méditerranée prenait naissance d'un côté, contre un genre littéraire fabuleux qui allait faire le bonheur des hommes de lettres et des lecteurs à travers le monde. On ne peut s'empêcher donc de rendre hommage à ces guerriers qui cheminaient ailleurs. Hadjadj Ibn Youcef, pour ne citer que cet exemple, l'exécuteur des basses œuvres des Omeyyades, en Irak et dans l'Arabie, n'avait pas hésité à déloger ses ennemis de la kaâba en faisant usage de catapultes. Il a été, en revanche, à l'origine des signes diacritiques de la graphie arabe. En effet, voyant comment les lecteurs du Saint Coran malmenaient le texte sacré par des lectures de travers, il ordonna à son entourage de savants de codifier la graphie arabe d'une manière définitive.
Sans ces moments de fulgurance, l'humanité n'aurait connu ni Don Quichotte, qui est à la base du roman moderne, ni la Description de l'Afrique, cette somme géographique, anthropologique d'une partie du monde restée inconnue jusqu'au XVIe siècle.
Ne faudrait-il donc pas rendre hommage à ces forbans qui contribuent, sans le savoir, à donner un autre goût à l'histoire des hommes ?


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