La pomme de terre à 100 DA le kilo ! Scandaleux, selon les consommateurs pour qui elle est un aliment de base. En réponse, officiels et acteurs du secteur se renvoient accusations sur accusations. Pour en savoir plus, El Watan Vendredi a rencontré le président de l'Union des paysans algériens libres. Il en ressort que les vraies raisons remettent en cause toute la non-politique agricole actuelle. Cette année encore, le prix du kilo de la pomme de terre s'envole, tout le monde accuse tout le monde mais la situation ne change pas. Est-ce une fatalité ? Les prix en cette période de mars-avril connaissent la même hausse depuis deux ans, et ce, malgré les mesures prises par le gouvernement pour l'éviter. Mais voilà , il y trop d'intermédiaires entre l'agriculteur et le consommateur, les chambres froides ne servent à rien puisque la pomme de terre de saison (à peau fragile) ne supporte pas le froid, les pluies empêchent les agriculteurs de travailler, les wilayas ne sont pas coordonnées dans le transport des denrées, les marchés de gros sont inadaptés. En outre, l'Etat ne fixe pas les prix de ces produits. Dans quelques semaines, avec l'arrivée de la production sur les marchés et le retour du beau temps, les prix peuvent baisser. Mais l'année prochaine, on aura le même problème. Et encore, là on parle de la pomme de terre, mais dans quelques semaines on parlera de la tomate ! Mais les mandataires accusent principalement les intermédiaires d'être derrière la hausse des prix… Ce n'est pas faux. Le producteur n'a pas les moyens de transporter et d'emmagasiner, il vend directement dans son champ. Un premier intermédiaire, qui se trouve par exemple dans le café d'à côté, met en contact l'agriculteur avec un second intermédiaire. Ce dernier vend le produit au marché de gros et un autre ensuite au détaillant. Donc le prix augmente. Les plus grands perdants sont le producteur et le consommateur. Il faudrait penser à moderniser les marchés de gros ainsi que les abattoirs et, surtout, ouvrir les marchés de détaillants aux producteurs eux-mêmes comme dans d'autres pays. Il n'y a aucune réglementation dans cette chaîne ? Aucun contrôle ? Bien sûr que les textes existent, mais c'est la coordination et l'application qui fait défaut. Il faudrait que les ministères de l'Agriculture et du Commerce, ainsi que leurs services de contrôle se coordonnent pour réguler les marchés de gros et la quantité de la production. C'est un problème de vision globale. Il est vrai que durant ces dix dernières années l'Etat s'est occupé de l'agriculture : n'oublions pas que les dettes des agriculteurs ont été effacées deux fois, bien qu'il y ait de faux fellahs qui en profitent. Mais en retour, on ne voit pas le résultat concret. L'Etat subventionne sans rentabiliser le secteur. On offre une vache à un paysan, des poules, des ruches, etc., pour fixer les populations rurales. Bonne idée, mais saura-t-on ce qu'on fera de cette vache, de ces poules ou de ces ruches ? Si le paysan se trouve dans la difficulté, il les vendra. Il y a une bonne politique peut-être, mais il n'y a aucun suivi. Il n'y a pas de stratégie, il faut donc absolument créer une instance nationale de planning agricole. Prenons la production de la tomate, elle ne se vend pas tout simplement parce que les usines de transformation sont mal réparties sur le territoire et ne sont pas adaptées à la profusion de la production. Tipaza produit de la tomate mais il n'y a pas d'usine sur place ! Donc les agriculteurs abandonnent leurs récoltes et ensuite on est obligés d'importer. Vous savez, plusieurs politiques agricoles ont été lancées depuis 1966, en vain. A l'époque, on scandait le slogan de l'autosuffisance, maintenant on parle de sécurité alimentaire ! Rien n'a été réalisé en fait. Au contraire : la facture des importations augmente, la production nationale baisse, les ressources hydrauliques se raréfient et nos dividendes pétrolières n'atteindront pas éternellement les mêmes records. Et quand je parle d'importation, ce n'est pas seulement la vache qu'on ramène de l'étranger, on importe aussi sa nourriture et ses médicaments. Tout cela est le résultat du manque de planning et de vision. Il faut absolument un dialogue national autour de l'agriculture. C'est urgent ! C'est une lourde facture. On importe ce que nous mangeons, c'est une honte ! Que propose donc votre Union ? Nous proposons la création d'un regroupement national pour la sécurité alimentaire, sous tutelle du président de la République ou du Premier ministre, dont la mission serait de dégager des plans scientifiques et à moyen terme (par cinq ans) pour évaluer l'équilibre production/importation en mobilisant les milliers de cadres qui sont marginalisés. Parce qu'il existe des solutions : investir dans les 24 wilayas dites steppiques, créer des fermes géantes, mobiliser les territoires du Sud qui sont immenses mais délaissés. Pourquoi n'investit-on pas dans la production de pommes de terre à Oued Souf (sud-est) qui connaît un boom dans cette filière ? On pourrait ainsi alterner la production avec d'autres régions du Nord. Pourquoi ne pas produire du soja et de la canne à sucre pour le compte de notre industrie agro-alimentaire au lieu d'importer ? Quel est le rôle alors du ministère de l'Agriculture ? Le ministère a plusieurs missions et s'occupe de beaucoup de sous-secteurs, de différents offices, du volet vétérinaire, des forêts, etc. On ne peut gérer tout cela à la fois. En plus c'est un ministère lié à d'autres départements et qui n'a pas une totale autonomie financière. Chaque ministre qui vient arrive avec un livre de nouvelles idées, et puis on se retrouve avec les mêmes problèmes ! Vous évoquiez des « barons » de la mafia agricole qui profitent aussi de ce manque de stratégie… La presse révèle de temps à autre des scandales touchant des personnalités politiques qui ont manigancé dans le secteur, en créant des sociétés fantômes ou en détournant des subventions. En parlant de ces barons, je parle de gens très influents, qui outrepassent la loi et bénéficient de crédits bancaires en violant la réglementation. Je ne sais pas pourquoi les banques accordent des crédits à ces gens-là et crient ensuite au voleur ! L'Etat est incapable de faire face à ces barons. Ces derniers profitent de l'absence de régulation pour imposer les prix des produits. Certains d'entre eux ont, notamment, profité du crédit Rfig (lancé par la Banque de l'agriculture et du développement rural (BADR) destiné au financement du secteur agricole et des activités annexes). Ce sont des gens qui connaissent très bien les réseaux, qui sont capables d'acheter des marchandises au large du port et à qui ils veulent ! Lorsqu'ils quittent, pour certains d'eux, un poste exécutif, ils s'arrangent pour rebondir et occuper un poste politique ou autre. Parfois le discours politique officiel évoque ces barons puissants, mais dans la réalité, c'est tout à fait un autre discours. Personne ne peut les atteindre. Mais il faut leur déclarer la guerre. Pourquoi ne pas donner des noms alors ? Des noms ont été révélés, mais que s'est-il passé ensuite ? Les concernés, eux, ne sont pas allés devant la justice, mais d'autres qui n'avaient rien à se reprocher y sont allés. Voilà ! Bio express Ancien de l'ALN, volontaire de la guerre des Six jours en 1967 au Sinaï égyptien contre Israël, sénateur du RND « quand certains se cachaient par peur du terrorisme », Salah Gaïd a été de tous les combats. En 2003, il a rejoint l'Union du paysan libre algérien (forte de 65 000 adhérents) créée au lendemain de l'ouverture de 1989, après une dispute avec son ancienne organisation, l'Union nationale des paysans algériens.