Le passage difficile d'une économie dirigée à une économie de marché a imposé des changements radicaux dans les règles de gestion des entreprises publiques avec notamment leur transformation en sociétés par actions désormais régies par les règles de la commercialité et de la concurrence au même titre que les entreprises privées. Les fonds publics mis à la disposition de ces entreprises, devenu capitaux marchands puis participations de l'Etat devaient donc encourir les risques inhérents à la gestion de tout investissement. L'esprit même des réformes engagées était de faire de ces entreprises des centres de profit. L'Etat, ne devait plus jouer le rôle de gestionnaire mais de régulateur et de garant du libre jeu des lois du marché dans le cadre d'une saine et loyale compétition. Le secteur bancaire, pour sa part, n'a pas été en reste de ces réformes structurelles. Avec les lois bancaires successives de 1986, 1990 et 2003, le principe de l'indépendance de la banque d'Algérie et du Conseil de la monnaie et le crédit en tant qu'autorités de régulation et de réglementation de l'activité bancaire a été consacré. Les banques primaires, quant à elles, sont redevenues des banques commerciales exerçant une activité, certes fortement réglementée et contrôlée, compte-tenu de sa sensibilité, mais en tant qu'opération de commerce obéissant à une logique de rentabilité et d'efficience. Tous ces changements économiques et institutionnels ont donc dicté une révision profonde de certains textes tendant à réhabiliter l'acte de gestion économique dans le but de promouvoir l'esprit d'initiative et d'entreprise dans un contexte de libéralisation et de libre concurrence. Dépénalisation de l'acte de gestion : Tendance lourde de la réforme judiciaire Cette révision ne pouvait pas ne pas toucher le droit pénal dans ses dispositions répressives relatives aux crimes économiques. Le code pénal a connu d'importantes modifications tendant toutes à la dépénalisation de l'acte de gestion. Ainsi, les dispositions relatives à la répression des atteintes au bon fonctionnement de l'économie nationale, ont été soit abrogées, soit réaménagées successivement en 1988, 1996 et 2001 ( articles : 418 à 428.) En outre, l'article 119 réprimant l'infraction de détournement et de concussion a été modifié en profondeur avec, notamment l'introduction d'un alinéa 4e limitant aux seuls organes sociaux la possibilité d'engager l'action publique lorsque les actes répréhensibles ont été commis au préjudice d'une entreprise économique dont l'Etat détient la moitié et plus du capital social. Le code de procédures pénales a quant à lui fait l'objet de réaménagements substantiels avec notamment l'affirmation du caractère exceptionnel de la détention provisoire, mesure à laquelle les juges d'instruction faisait un recours excessif auparavant. Beaucoup de ces modifications ont été introduites à la faveur des recommandations formulées dans le rapport de la commission de la réforme de la justice. Elles s'inscrivaient dans le cadre d'une démarche salutaire visant à mettre un terme à la mise en jeu excessive voire abusive de la responsabilité pénale des gestionnaires de certaines entreprises publiques à la fin des années 1990, souvent à la suite de simples dénonciations anonymes ayant donné lieu à l'ouverture d'information judiciaire par le ministère public. Grâce à un gigantesque travail de sensibilisation de la part des opérateurs économiques auquel l'ABEF a contribué avec force et persuasion au travers des rencontres régionales et nationales qu'elle avait organisé avec les magistrats, un consensus s'était dégagé, à l'époque, sur la nécessité de protéger les gestionnaires contre les dérives d'une qualification pénale abusive des erreurs de gestion. En effet, il a été constaté, à l'époque, que dans de nombreuses affaires portées devant les juridictions répressives, les magistrats rencontraient d'énormes difficultés à distinguer entre les actes de gestion ayant débouché sur des résultats préjudiciables à l'entreprise par suite d'une mauvaise appréciation, d'une erreur de jugement ou d'une négligence professionnelle et le délit ou crime de gestion susceptibles d'entraîner la responsabilité pénale de son auteur. Il suffisait que l'existence d'un préjudice ait été relevée par les experts judiciaires désignés pour éclairer les juges sur les aspects techniques des affaires en cause pour que ces derniers concluent à l'existence de l'infraction de dissipation de deniers publics par exemple. En vue de prévenir de telles dérives, le législateur a estimé que les conseils d'administration des entreprises publiques étaient les mieux placés pour apprécier objectivement la nature de la faute commise par le gestionnaire et des suites qu'il fallait y réserver. En revanche et afin de dissuader tout laxisme ou complaisance en la matière – car il n'était nullement question d'instituer une quelconque impunité pour les coupables -, la non-dénonciation des faits délictueux par les organes statuaires était de son coté sévèrement puni ( article 119 dernier alinéa.) Cette réforme, même si elle n'a pu mettre un terme à l'ensemble des problèmes, a eu au moins le mérite de réinstaurer une certaine sérénité dans le monde de la gestion, ce qui ne pouvait que converger avec la volonté ferme des autorités publiques de permettre au secteur économique public de se libérer de son immobilisme et de s'insérer résolument et efficacement dans un marché désormais ouvert et concurrentiel. (1) La dépénalisation entre les textes et la réalité Cependant, force est de constater que cette évolution positive au niveau des textes n'a pas toujours produit les effets escomptés dans la pratique. Les insuffisances persistantes dans la formation des magistrats dans le droit des affaires conjugués à la complexité des dossiers portés devant les juridictions pénales et à l'énormité des préjudices enregistrés ont fait que la justice continue à avoir tout le mal du monde à établir des frontières entre le crime ou le délit de gestion d'une part et la simple faute professionnelle d'autre part. Et même lorsque les éléments constitutifs de la faute pénale semblent réunis la délimitation des responsabilités des personnes incriminées demeure tout aussi problématique. C'est ainsi que nous avons pu observer dans le secteur bancaire, aussi bien public que privé, la résurgence de la mise en cause de la responsabilité pénale de certains directeurs généraux, membres de comité de crédit et directeurs d'agences pour des crédits accordés, soit dans des conditions irrégulières soit n'ayant pas fait l'objet de remboursement à l'échéance. Il en est de même en ce qui concerne certains manquements à la réglementation des changes dans les opérations de commerce extérieur. Le même phénomène a aussi été relevé dans les contentieux purement commerciaux opposant les banques à certains de leurs clients lesquels recourent souvent à des dépôts de plaintes à l'encontre des représentant légaux des Etablissements de crédit à la seule fin de se dérober à leurs obligations contractuelles ou d'arrêter des procédures d'exécution engagées à leur encontre pour obtenir le remboursement des crédits qui leur ont été accordés. L'ampleur atteinte par certaines affaires a engendré un malaise au sein des banques de la place au point de créer un climat d'incertitude et d'appréhension constituant de plus en plus un véritable frein à l'épanouissement de l'activité bancaire et à sa contribution effective à l'effort de relance économique. Il n'est nullement question, à cet égard, de prêcher une quelconque immunité ou absolution envers les auteurs d'actes pénalement répréhensibles pour peu que la responsabilité des mis en cause ait été dûment et indubitablement établie. Bien au contraire, les banques et établissements financiers sont les premiers à dénoncer et engager des poursuites à l'encontre des auteurs de ces agissements. La sensibilité et l'impact du secteur bancaire ne permettent, en aucune manière, la tolérance d'une quelconque dérive délinquante. La délinquance financière est, en effet, l'une des plus dangereuses forme de criminalité. L'affaire Khalifa en est une illustration aussi dramatique qu'édifiante. Mais il importe, en revanche, de rappeler la nécessité impérieuse d'inscrire l'action de nos juridictions pénales dans le strict respect des principes fondamentaux de la légalité ayant inspiré le monumental travail de réforme judiciaire toujours en cours. Il est universellement admis d'une manière générale et dans le monde de l'entreprise et de l'investissement en particulier que la sécurité juridique est un facteur déterminant de tout développement économique et social. Cette sécurité se définit par la confiance de tout justiciable, qu'il soit défendeur ou demandeur, de pouvoir bénéficier de la protection de la loi en tout état de cause. En aucun cas, le comportement du juge, qui n'obéit qu'à la loi, ne doit être influencé par des facteurs conjoncturels tels que l'ampleur du préjudice subi par le trésor public ou les répercussions politiques ou médiatique de l'affaire par exemple. Seule une application rigoureuse et correcte de la loi s'impose au-delà de toute autre considération. Il va de soi qu'en matière pénale cette exigence de stricte légalité est encore plus impérative. Nécessité de réaffirmer les principes directeurs de la réforme pénale C'est dans cet esprit que les principes fondamentaux constituant l'ossature de l'Etat de droit ne doivent en aucun cas être perdu de vue dans le traitement des affaires économiques par nos juridictions. Nous croyons utile d'insister tout particulièrement sur les postulats ci-après : – 1 Principe de la responsabilité directe, corollaire de la règle légale de la personnalité des peines : Des responsables de banques ont souvent eu à être interpellés par des juridictions pénales et certains ont même été condamnés pour des actes commis par leurs collaborateurs ou leurs subordonnés. Certaines juridictions continuent de considérer qu'en leur qualité de dirigeants, ils sont pénalement solidairement responsables des crimes et délits qui seraient commis dans leurs entreprises. Il va de soi qu'une telle approche est en porte à faux avec le principe susévoqué et bat en brèche les dispositions de l'article 41 du code pénal considérant comme auteur de l'infraction ” ceux qui, personnellement, ont pris part à l'exécution de l'infraction directe et ceux qui ont provoqué à l'action. ” Les dispositions pénales réprimant les infractions concernant les sociétés par actions ( articles 806 à 840 du code de commerce ), celles concernant particulièrement les banques ( articles 131 à 139 de la loi sur la monnaie et le crédit ) et d'une manière générale toutes les dispositions pénales spécifiques au monde de la gestion, visent, certes, directement et personnellement les présidents, administrateurs, directeurs généraux des sociétés mais exclusivement pour les faits dont ils seraient personnellement reconnus coupables. Elargir l'entendue de cette responsabilité aux actes d'autrui ferait peser sur les épaules de ces dirigeants une charge injuste et insupportable eu égard à la division du travail et à la délégation de pouvoir caractérisant l'organisation fonctionnelle et organique de l'entreprise qu'ils gèrent. Peut-on soutenir rationnellement la responsabilité d'un président de banque pour un détournement commis par le caissier d'une petite agence à l'arrière fond du pays ? Il est vrai qu'en l'occurrence, la formulation de l'article 119 bis, pose problème dans la mesure où elle a introduit la notion de ” négligence manifeste ” pouvant engager la responsabilité de toute personne parmi celle visées à l'article 119 lorsque la susdite négligence cause la perte de deniers publics. La difficulté rencontrée par les juges dans l'interprétation de cette disposition ne portait pas seulement sur le contenu à donner à la notion de ” négligence manifeste ” sur laquelle nous reviendrons ci-dessous, mais aussi sur le champ d'application personnel des deux articles suscités. En effet, la lecture combinée de ces dispositions que l'on ne peut éviter compte-tenu des renvois y contenus, aboutit inéluctablement à limiter la portée de ces textes aux seules personnes qui assurent, sous quelque dénomination qu'elle soit, une fonction au service de l'Etat, des collectivités locales et des établissements ou organisme de droit public. Or l'entreprise économique, qu'elle soit publique, mixte et à plus forte raison privée ne rentre dans aucune de ces catégories puisque régie par le droit privé et non pas public. Etendre la portée de ces dispositions au-delà des personnes citées dans le texte contrevenait à un autre principe de base du droit pénal, à savoir : l'interprétation restrictive des normes que l'on examinera ci-après. Le législateur ayant certainement pris conscience de ce problème l'a résolu à sa manière lorsqu'il a abrogé l'article 119 par la loi 06-01 du 20 février 2006 (articles 71 et 72) et ce, en élargissant la définition légale de l'Agent public aux personnes détentrices d'une fonction au sein d'une entreprise publique ou semi publique. Ceci dit, le raisonnement ci-dessus développé demeure valable à l'endroit de la mise en cause de la responsabilité collective de certains collectifs de direction tels que les comités de crédit, par exemple. Les décisions d'octroi de crédits ayant été qualifiées, à tort ou à raison, de dissipation de deniers publics ou privés, ont été à la base de poursuites pénales à l'encontre de membres de ces comités sur le fondement d'une responsabilité diffuse sans que la responsabilité personnelle de chacun n'aient été clairement établie. – 2 Principe de l'interprétation restrictive des normes pénales : Il est universellement admis que le pouvoir d'interprétation du juge en matière pénale est limité. A l'inverse du juge civil, il ne peut étendre l'application d'un texte à un cas non prévu. Le raisonnement par analogie est prohibé. Lorsque le texte est obscur, il doit rechercher, certes, la véritable intention du législateur. En cas de doute, l'interprétation doit toujours se faire dans un sens favorable au prévenu en vertu du principe du bénéfice du doute. L'apparition de nouvelles formes de criminalités ou les failles rédactionnelles dans les textes susceptibles de bénéficier à certains auteurs d'infraction ne peuvent, en aucun cas, être résolus par le juge. Sa mission consiste à appliquer la loi existante stricto-sensu et rien d'autre. C'est au législateur qu'il revient de remédier à ces situations en modifiant les lois en vigueur ou en édictant de nouvelles. Nous avons, hélas, assisté à la transgression de ce principe, à maintes reprises et, souvent, en toute bonne foi. Ainsi, a-t-on vu certaines juridictions, qualifier de détournement en ce qu'il constituerait une rétention indue, le simple fait de maintenir, par inadvertance, une provision reçue en garantie d'un crédit documentaire dans un compte subsidiaire du client au-delà de l'échéance du crédit au lieu de la restituer à son compte courant. Abstraction faite de l'inexistence de l'intention criminelle (élément moral de l'infraction), l'extension du concept de la rétention indue en tant que cas de détournement à ce cas de figure ne repose sur aucun fondement légal dans la mesure où les sommes soi-disant retenues figurent dans un compte du client d'une part et n'ont pas fait l'objet d'une réclamation restée sans suite du client d'autre part. Il s'agit-là d'une des extrapolations qui ne se justifient nullement en droit pénal. Il en est de même de la qualification pénale de certains manquements à des règles réglementaires, telles que la réglementation des changes à l'instar de l'apurement d'opérations d'importation sur la base de documents douaniers ” exemplaire banque ” assimilée à une fausse déclaration au sens de l'ordonnance 96 -22 modifiée et complétée relative à la répression de l'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements des capitaux de et vers l'étranger. Tel est aussi le cas du défaut de rapatriement de recettes d'exportation par un opérateur, acte imputé conjointement à la banque au nom d'une solidarité instituée par une simple disposition réglementaire. (2) Les éventuels manquements commis, en la matière par les intermédiaires agrées, peuvent naturellement donner lieu à l'application de sanctions disciplinaires par la commission bancaire. Ils ne constituent pas pour autant, en ce qui concerne leurs agents, des infractions pénales au sens de l'ordonnance n° 96-22 susévoquée, à moins qu'il ne s'agisse de cas de complicité avérée. Il est impératif de reconsidérer de telles libertés d'interprétation et de revenir à une lecture rigoureuse des textes afin d'éviter des dérapages susceptibles de porter atteinte non seulement aux libertés individuelles mais au principe même de la légalité devant fonder l'action de la justice pénale dans un Etat de droit. Par ailleurs, nous estimons que le recours à la transaction pénale, au demeurant déjà prévue dans certains textes telle que l'ordonnance 96-22 susvisée s'apprête mieux à ce genre d'infractions. En effet, ce qui importe le plus n'est pas tant de sanctionner les fautifs que de réparer le préjudice subi par le trésor public ou l'entreprise. – 3 Le principe de l'intention criminelle ou délictuelle en tant qu'élément constitutif de l'infraction pénale: Pour mettre en jeu la responsabilité pénale d'un justiciable quel qu'il soit, il ne suffit pas que soient réunis l'élément légal, à savoir la loi prévoyant et punissant en tant que crime, délit ou contravention l'acte incriminé, ni la commission d'un tel acte( élément matériel ) à eux seuls. Le juge doit établir de manière indubitable que ce dernier a été commis intentionnellement (culpabilité) par une personne pleinement responsable, c'est à dire jouissant de toutes ces facultés mentales (imputabilité.) Exceptionnellement, la loi peut retenir, dans certains cas expressément prévus, la négligence manifeste, indépendamment de l'existence de l'intention criminelle -ou délictuelle susévoquée. L'intention coupable est définie en droit pénal comme ” la volonté orientée vers l'accomplissement d'un acte interdit.” (3) Cette intention suppose la réunion de trois éléments : la prévisibilité du résultat répréhensible, le désir d'atteindre ledit résultat et la connaissance du caractère illégal de l'acte. On retrouve cet élément primordial de la responsabilité pénale dans la majorité des dispositions légales applicables aux gestionnaires et dirigeants d'entreprises. Les notions de délibération, de savoir, de mauvaise foi sont souvent utilisées par le législateur conjuguées à la notion d'intérêts personnels pour délimiter les contours de ce troisième pilier de l'infraction pénale. Par conséquent, le juge pénal se doit impérativement de faire le distinguo entre trois types de fautes en matière de gestion: – La faute professionnelle : actes commis en infraction d'une réglementation ou d'une procédure interne et ceux procédant d'un manquement aux règles de prudence et de vigilance, sans que la loi ne leur confère de qualification pénale. Exemple : transgression de la réglementation prudentielle, ou des seuils d'autorisation en matière de crédit, l'escompte d'un effet de commerce sans analyse du risque tireur ou tiré, le paiement d'un chèque sans vérification de la signature du tireur, la délivrance, avant constitution de la provision requise, de documents permettant le dédouanement de marchandise…etc. Ce genre de faute est passible de simples sanctions administratives. – La faute ” civile ” : qui constitue un degré supérieur de la faute professionnelle. Elle se traduit, en général, par un manquement à une règle légale non pénale ou une règle professionnelle ayant causé un préjudice à l'entreprise. Elle implique la mise en jeu de la responsabilité civile du gestionnaire tant vis à vis de la société qu'envers les tiers (article 715 bis 23 du code de commerce.) – La faute pénale : infraction prévue et sanctionnée par la loi pénale, commise intentionnellement ou, lorsque la loi le prévoit, du fait d'une négligence répréhensible. A défaut de prouver l'intention coupable, telle que ci-dessus définie, l'infraction, dusse-t-elle avoir un caractère pénal du point de vue légal et matériel, devra être requalifiée en faute civile voire purement professionnelle. Il en est ainsi, des crédits accordés avec légèreté et en violation des règles et procédures en vigueur ou en raison d'une incompétence ou d'un manque de prévoyance mais en toute bonne foi et en l'absence d'un intérêt illicite. La Banque qui aurait subi un préjudice de ce chef est fondée à en demander réparation au responsable soit en sa qualité de président, d'administrateur ou de directeur général conformément aux dispositions du code de commerce suscitées, soit en vertu des dispositions de articles 124 et 137 du code civil pour les autres employés (Directeurs d'agences par exemple.) La question de la ” négligence manifeste ” prévue dans l'article 119 bis en tant qu'élément constitutif de la responsabilité pénale d'un banquier à l'occasion de l'octroi d'un crédit s'étant soldé par un impayé s'avère très problématique. Apprécier l'existence d'une telle négligence en considérant le seul résultat préjudiciable d'un acte de gestion sans se replacer dans le contexte et tenir compte de l'ensemble des paramètres l'ayant dicté d'une part et sans se soucier de l'existence d'un lien de causalité entre la négligence et la dissipation des deniers d'autre part est loin de refléter, de notre point de vue, la volonté réelle du législateur. La négligence délictuelle ne doit être retenue en tant qu'élément constitutif d'une infraction pénale que si elle est dûment avérée c'est à dire procédant d'une mauvaise gestion caractérisée et ne pouvant souffrir d'une quelconque circonstance atténuante. Elle ne peut, de notre point de vue, être évoquée que lorsque le gestionnaire étant informé ou ayant conscience du danger imminent menaçant les deniers de l'entreprise n'a pris aucune mesure de prévention ou de sauvegarde nécessaires que tout autre gestionnaire ordinaire aurait prise en pareille situation. Par contre, les fautes de gestion découlant d'une erreur de jugement, d'une mauvaise appréciation du risque ou d'un changement non prévu de la conjoncture économique ne peut être qualifiée de négligence délictuelle. S'il est vrai que l'appréciation de la nature de la négligence revient, en dernier ressort à la discrétion du juge, ce dernier reste tenu d'user de ce pouvoir avec beaucoup de circonspection et de retenue en application des principes de l'interprétation restrictive et du bénéfice du doute ci-dessus évoqués. Le préjudice subi par l'entreprise ne suffit pas, à lui seul, pour établir la culpabilité du responsable. L'acte de crédit n'est-il pas défini, par essence, comme une prise de risque donc à issue incertaine et aléatoire ? En rattacher systématiquement la mauvaise fin à une négligence pénalement répréhensible ne procéderait-il pas d'un élargissement inconsidéré de la portée d'une notion devant être, en principe, strictement limitée ? – 4 Le principe du caractère exceptionnel des mesures provisoirement privatives ou limitatives de liberté L'instruction de ces dossiers a donné lieu, dans de nombreux cas, à la mise en détention provisoire de prévenus alors même qu'ils présentaient des garanties suffisantes de représentation devant la justice et que la mesure en question n'était nullement nécessaire pour la conservation des preuves ou la manifestation de la vérité. Le recours excessif et injustifié aux mesures privatives ou limitatives de liberté à l'égard de banquiers dont l'honorabilité n'a jamais été mise en cause représente une grave régression par rapport aux grandes avancées enregistrées dans les réformes de 2001. Il constitue une grave atteinte aux droits des prévenus poursuivis pour des actes de gestion pouvant difficilement déboucher sur une condamnation compte-tenu de l'absence des éléments constitutifs de la culpabilité pénale. Il viole le principe de la présomption d'innocence et cause de graves préjudices moraux et familiaux à des cadres souvent innocentés par les tribunaux. L'usage abusif de cette prérogative dévolue aux juridictions d'instruction est d'autant plus à reconsidérer qu'il est souvent dicté par l'influence d'une conjoncture, la pression des médias ou tout simplement un manque d'assurance vis à vis de dossiers complexes et volumineux. Dans une justice moderne et clairvoyante, le juge d'instruction doit être plus un juge de liberté qu'un juge de répression. Il se doit d'instruire à charge et à décharge car sa mission consiste à œuvrer pour la manifestation de la vérité non à condamner par anticipation. – 5 Principe du monopole du pouvoir de qualification des actes : Le recours à l'expertise judiciaire tend à devenir une pratique généralisée dans les litiges commerciaux et bancaires. Le caractère technique et souvent complexe amène, dans la plupart des cas, les magistrats à soumettre les dossiers à l'appréciation d'experts comptables agrées. Il s'agit d'une prérogative tout à fait légale consacrée par la législation en vigueur. Mais le procédé se pervertit lorsqu'au lieu de se limiter à éclairer le juge sur des questions d'ordre technique et exprimer un avis que le juge est libre de retenir ou non, l'expertise judiciaire tend à se transformer en justice parallèle disposant indirectement d'un pouvoir de qualification. La question devient autrement plus grave lorsque l'expertise est ordonnée en matière pénale. Il est arrivé que de lourdes condamnations aient été prononcées sur la base exclusive de dires d'experts. La Cour suprême a eu à se prononcer sur ce problème en rappelant dans divers arrêts que le juge ne pouvait en aucun cas se défaire de ses prérogatives au profit de l'expert et que toute décision contraire est une violation de loi. (4) La question devient d'autant plus problématique qu'il a été constaté que la liste des experts agrées est globalement et à quelques exceptions près composée de comptables n'ayant que de vague notions sur les opérations de banque. S'il l'on ajoute à cela les problèmes de moralité notamment dans les contentieux dont les enjeux portent sur des sommes faramineuses, cette ” délégation ” de fait du pouvoir de qualification exclusivement réservé par la loi au juge, s'avère plus que dangereuse. Souvent le recours à la contre-expertise s'avère plus que nécessaire pour que le juge puisse se faire sa propre religion sur le dossier en confrontant les avis des experts. Pour libérer le magistrat de sa dépendance excessive à l'égard de l'expertise judiciaire, le système de formation des magistrats doit être réaménagé en vue d'une meilleure maîtrise des aspects doctrinaux et pratiques du droit commercial, cambiaire et bancaire et sur les caractéristiques techniques des opérations de banque. Les initiatives du ministère de la justice dans ce domaine sont à saluer et à encourager. La communauté bancaire est disposée à apporter son concours à cette action de mise à niveau et de modernisation des programmes de formation des magistrats. D'un autre coté, nous ne pouvons que saluer la volonté des autorités à aller de l'avant dans le processus de spécialisation des juridictions avec le projet de création de pôles spécialisés en cours. Conclusion : Ce sont-là quelques éléments de réflexion, inspirés d'expériences vécues. Il ne s'agit ni d'un livre de doléances ni d'une mise en cause. Le métier de la banque est l'un des plus difficiles et des plus délicats. Il a besoin d'être strictement contrôlé et toute dérive délinquante dûment établie se doit d'être sévèrement réprimée. Son développement, sa modernisation et sa contribution à l'effort de redressement économique nécessitent aussi qu'il soit protégé, défendu et exercé dans la sérénité et la sécurité. Faut-il le répéter, la sécurité juridique est une condition sine qua non de tout développement économique et social durable. – (1) Malheureusement, même cette avancée relative a été remise en cause du fait de l'abrogation des articles 119 et 119 bis par la loi 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Cette dernière n'a repris que le premier alinéa de l'article 119. – (2) Il s'agit de l'article 31 dernier alinéa du règlement n° 95-07 du 23 décembre 1995 qui dispose : ” Le respect de l'obligation et du délai de rapatriement des recette provenant des exportations incombe conjointement à l'exportateur et à l'intermédiaire agrée. ” La loi sur la monnaie et le crédit permet, en son article 139 d'asseoir la responsabilité pénale du banquier en l'occurrence lorsque l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction sont réunis – encore faut-il en corriger l'erreur matérielle ( livre VII au lieu de livre VI). Ce n'est pas le cas de l'ordonnance 96-22 sur le fondement de laquelle repose les dépôts de plainte de la Banque d'Algérie. – (3) Jean Larguier, Droit pénal Général, Mementos Dalloz, 17 e édition, 1999, P : 41 – (4) Cour suprême, civ. 07 déc.1988. Aff.49562, revue judiciaire n° 2/1990,P : 38 et civ. 20 nov. 1985 Aff. 34653, revue judiciaire n°4/1984, p : 71. L'auteur est Juriste de banque