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De la politique-Fiction à la vraie politique
Publié dans El Watan le 11 - 04 - 2007

Si on sait depuis longtemps que la réalité est plus riche que la fiction, il n'en demeure pas moins que cette dernière se développe de manière vertigineuse parce que le rêve ou le cauchemar, c'est selon, est indispensable dit-on, à chacun de nous. Dans l'audiovisuel, des aventures de Harry Potter à L'assassinat du Président G. W. Bush en passant par Les dangers planétaires de la pollution de Al Gore et La Passion du Christ de Mel Gibson, les sujets apparaissent soit comme des tentatives de relecture et de réfection de l'Histoire ou bien des essais de prédiction voire de détermination de l'avenir du monde. Dans l'édition, les livres et les études d'experts, liés en général directement ou indirectement à des institutions privées et publiques d'analyses rétrospectives ou prospectives, se multiplient tout en gardant la même intention déclarée ou non de marquer les esprits pour mieux les orienter dans un sens ou dans l'autre selon les commanditaires. De Jacques Attali au très controversé Alexandre Adler en passant par l'énigmatique Zbigniew Brzezinski et le désormais dinosaurien Henri Kissinger, sans oublier Robert Kagan et David Horowitz, théoriciens attitrés de la conspiration qui fonde le néo-conservatisme américain, l'objectif essentiel est «de refaire le monde» certainement en «refaisant son Histoire». Rien que cela. Et tout un programme. Que l'on soit pour ou contre, la politique-fiction est aussi une activité ludique, sans limite et accessible à tout un chacun. Alors, pourquoi ne pas en faire pour notre histoire nationale ? Puisqu'il s'agit seulement d'imaginer, alors imaginons ! Et comme il semble que l'histoire contemporaine de notre pays est de plus en plus gagnée par ce phénomène de relecture et de réfection, imaginons, par exemple, que l'Algérie est toujours un département français et que la France s'étend de Dunkerque à Tamanrasset. Entre autres situations, probabilités vertueuses, l'émir Abdelkader serait au Panthéon, la mosquée de Paris porterait le nom de Ben Badis, la dépouille de saint Augustin serait rapatriée, Albert Camus serait enterré à Mondovi, actuellement Souk Essebet, Kateb Yacine et Mohamed Dib seraient à l'Académie française, Jean Pierre Cassel dirigerait le TNA, et Jean-Pierre El Kabbach directeur général de l'ENTV ! Plus encore, Total aurait son siège social à Alger, une bonne partie des équipements du TGV serait fabriquée dans les usines De Dietrich à Annaba, les véhicules Renault seraient produits à Rouiba, Thomson développerait un pôle de compétitivité électronique à Sidi Bel Abbès et le lancement des fusées Ariane se ferait à partir du Sahara et, last but not least, le Crédit Lyonnais ferait le bonheur des épargnants et la Banque de France serait une véritable banque de dernier ressort !
Mais le clou serait en définitive le fait que nous serions quelque
33 000 000 de Français à part entière. Ce qui, en comptant les Français de confession musulmane et autres résidents actuels originaires du monde arabe, africain et musulman, totaliserait une population de plus de 40 000 000 de personnes, c'est-à-dire plus de 45% de la population totale française actuelle ! Et si on se place dans la perspective d'élargissement de l'Europe à la Turquie, à la Bosnie et au Kosovo, cela constituerait un peu plus du quart de la population du futur ensemble européen ! Le développement de la société civile aidant, la participation voire l'implication active dans le destin politique de la France en particulier, de l'Europe et donc du monde, en général, serait déterminante, voire décisive ! Et pour cause ? Nos voix seraient fortement courtisées par tous les partis, nous aurions des députés bien de chez nous à l'Assemblée nationale et au Parlement européen, peut-être même un ou plusieurs partis influents sur les scènes nationale et internationale et, pourquoi pas, un candidat à l'élection présidentielle comme par exemple Rachid Kaci qui n'a pas hésité à se projeter du fin fond de la Kabylie de son père sur la scène politique française en revendiquant le patrimoine gaulois, mais qui a été obligé par la réalité à se désister au profit de Nicolas Sarkozy aux origines, disons moins marquées ! Bref, une relecture et une réfection de l'histoire dont le côté amusant, si tant est qu'on peut trouver de l'amusement dans ce type d'exercice, résiderait surtout dans le fait de donner soit des sueurs froides, soit des espoirs fous, notamment à certaines élites. Les sueurs froides conviendraient certainement aux «nouvelles élites», notamment françaises, comme les intellectuels Gluksman, Bernard Henry Levy, Alain Finkenlkraut, Max Gallo et les apprentis sorciers de la politique comme Nicolas Sarkozy & Philippe de Villiers. Par contre, les espoirs fous seraient l'apanage d'une grande partie de l'élite nationale dont la majorité, faut-il encore le préciser, n'est pas proprement francophone. Cette «élite-bantoustan», celle-là même pour qui l'indépendance a été moins un miracle qu'une sacrée aubaine, organisée en réseaux maffieux, et qui n'a de cesse que de réfléchir et d'organiser la prédation généralisée et le transfert à l'étranger des ressources humaines, économiques, sociales, culturelles et historiques nationales. Cette «élite-harraga» à l'origine des interminables opérations de dilapidation du pays et dont l'exemple ultime est le colon pied-noir avec, sûrement en moins, un attachement réel à l'Algérie, une certaine Algérie faut-il admettre, mais à l'Algérie quand même ! Le problème avec la politique-fiction, c'est que parfois elle trouve du terrain en politique pour se transformer en idéologie et très souvent en tragédie. C'est le cas des néoconservateurs qui, à partir d'une relecture parfois élémentaire des Testaments (ancien & nouveau) et d'une réfection violente de l'Histoire, ont plongé une grande partie du monde dans le désastre et faisant de l'Amérique un repaire de prédateurs sans vergogne et des Américains un peuple infantilisé et manipulable à souhait, rendant la planète plus dangereuse qu'elle ne l'était avant leur prise controversée du pouvoir. C'est toujours le cas lorsqu'on veut relire et refaire l'Histoire à partir du prisme unique de l'idéologie et de l'interprétation abusive de l'Histoire. Si l'idéologie est surtout une discipline philosophique qui étudie les idées, elle peut aussi devenir une pensée politique abstraite qui ignore la réalité. De même, si l'histoire est une discipline des sciences sociales qui repose sur des faits généralement vérifiables, elle peut glisser vers l'historicisme et se transformer en doctrine. Alors, en a-t-on fini avec l'idéologie et avec l'Histoire comme le prétendent à souhait précisément ces nouveaux philosophes et ces nouveaux stratèges qu'Emmanuel Todd n'hésite pas à traiter d'adeptes de la pensée zéro ? Justement non, car c'est en particulier là qu'intervient la politique, la vraie et dont le rôle est surtout de fonder l'unité du corps social en laissant justement l'idéologie aux philosophes et l'histoire aux historiens et en y puisant ce qui unit, et non ce qui divise. A ce propos, les futures élections législatives et locales se présentent déjà comme déterminantes tant pour ce qui concerne l'organisation, le déroulement, les résultats, que par les hommes et les femmes qui feront de la véritable politique.
On peut encore imaginer cela et espérer un vrai projet de société, ni trop ambitieux, encore moins surnaturel, conçu en fonction de nos aspirations pour de nouveau sentir bon de vivre dans notre pays en accord avec nous-mêmes, notre histoire et le reste du monde. Just imagine !


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