« ... il faut se réveiller du sommeil... dogmatique » (M.F. Dits et écrits, Gallimard, 2001). Décidément, la lâcheté des assassinats post mortem a bel et bien un espace de prédilection, un temps maudit des impostures et des actants personnages qui, bien que réels, n'en sortent pas moins de fictions édifiantes. Voilà ce que je viens de découvrir, ce jour, en l'incarnation d'un actant bipède transformé en chien, comme le décrivait magistralement le philosophe Karl Marx, à travers une pénétrante lecture philosophique d'une œuvre littéraire française pourtant mineure, mais devenue depuis fort célèbre, Les Mystères de Paris d'Eugène Sue. Eh oui, médiocres rentiers marchands de mots, il y a une lecture philosophique du texte littéraire ! A l'origine de cette infamie, un étudiant victime d'un « cabonabo » de cicérone qui le menace de représailles s'il venait à appliquer l'analyse foucaldienne sur le texte de Tahar Djaout, à seule fin de soutenir le verdict lamentable et révoltant de la monolingue spécialiste es imposture (voir chronique précédente). Reste à savoir si l'ire du toutou, qui se voit déjà membre d'un jury à la veille de sa retraite, est liée à la lecture archéologique de Foucault ou si, en fait, c'est le texte djaoutien qui dérange celles et ceux qui voient d'un mauvais œil des étudiants bien encadrés (de plus en plus rares maintenant) finir leurs recherches dans les temps réglementairement prescrits alors qu'ils ont mis, eux les cancres d'un système universitaire rentier, un tiers de siècle avant de passer des (fou)thèses au prix de compromissions avec une « raboujocratie » rampante. On ne reviendra pas sur le courage de Tahar Djaout. Il dérange à titre post mortem, comme celui d'Albert Camus. Les assassinats (post mortem) se suivent et se ressemblent. Les assassins aussi. Mais nous voulons finir cette série de chroniques libertaires dans l'esprit exaltant d'études et de recherches sur des questions plus sociales plutôt que sur les éructations putrides d'une cohorte d'hyènes et d'aboiements de chiens de garde. La mise au point n'est ici que l'expression de mon soutien résolu à un honnête étudiant qui ne demande qu'à travailler avec intelligence et compétence, et à se préserver dans un environnement vicié et vicieux. Finissons donc la saison en beauté avec un hommage au rarissime esprit lumineux et pétillant d'intelligence. Les philosophes qui ont écrit directement sur les Lumières sont rares. Ils furent souvent de grands hommes de lettres. Ceux qui en ont fait leurs combats courageux et vaillants sont un peu plus nombreux. Mais, hélas, peu ont franchi le mur du contrôle et du silence. Parmi les tout derniers philosophes des Lumières et avant que ne tombe à nouveau la chape des prétendus nouveaux philosophes, les ténébreux rationalistes et les totalitaires thuriféraires du démocrétinisme prosélyte, Michel Foucault se présente comme un authentique accoucheur de l'esprit pour quiconque en est un tant soit peu doté, un fils spirituel d'Emmanuel Kant (Qu'est-ce que les Lumières ? 1784), dont il va approfondir la philosophie des Lumières et surtout la rendre adéquate avec le monde moderne, le monde du choc entre la populaire passion de vérité et l'action répressive du totalitarisme de la raison... d'Etat... l'Etat vigile, cela va de soi. Ici, l'adéquation que recherche le philosophe signifie comme de bien entendu refus, résistance, mobilisation et lutte et partant démystification, dévoilement, débusquage. C'est dans des écrits publiés à titre posthume (donc post mortem) que le revenant Michel Foucault nous donne à lire ses originales réflexions sur Les Lumières. En 1994, paraissait une première édition, Dits et écrits chez Gallimard à Paris. Le livre serait presque passé inaperçu. Pour beaucoup d'intellectuels, la raison fut l'incompréhensible accueil enthousiaste et favorable que Michel Foucault avait réservé à la révolution islamique iranienne qui mettait un terme à un des régimes les plus despotiques, les plus sanguinaires de la planète, les plus corrompus, le régime illégitime du Chah. Mais la bête immonde devait, hélas, ressusciter de ses cendres et Michel Foucault redevenir l'iconoclaste prophète. Lecteur et commentateur de Kant, Foucault ne met pas automatiquement la religion dans la sphère du pouvoir et du contrôle. Elle lui paraît, à lui aussi, comme un événement-avènement qui peut rompre la logique du présent en dévoilant les rapports de pouvoirs et d'autorité. Relisant E. Kant dans un esprit moderne et réinvestissant toute la modernité de cette généreuse pensée pourtant quelque peu encore sous l'emprise de la métaphysique, Foucault en tire la leçon cardinale suivante : la philosophie doit être étudiée en perspective du présent et des problèmes que pose le présent (voilà qui explique l'acharnement des médiocres qui tentent de la museler (« tama'in ») et qui pour un stage ou un détachement - encore un - sont prêts à voir briller des lanternes là où fuient les vessies et à se rendre complices d'escroqueries et autres impostures qui pervertissent le système éducatif par ailleurs bien mal en point. Pour Kant d'abord comme pour Foucault ensuite : « Le travail de la philosophie consiste à diagnostiquer le présent. » (sic) Foucault, dans ce texte qui relit la Dissertation classique de E. Kant, veut défendre la philosophie mise à mal par le totalitarisme de l'idéologie et sa dérive médiocratique. C'est donc un plaidoyer en faveur de la mère de tous les savoirs, la séditieuse « pensée qui va ». Précisant la notion de philosophie et celle des Lumières, Michel Foucault commence par tracer les frontières épistémologiques entre lumière, modernité et humanisme pour aboutir à mettre au jour toute la modernité de la pensée de Kant avec sa visée essentiellement politique. Démystifiant la conception des Lumières comme événement-avènement, Kant d'abord et Foucault ensuite et surtout, soulignent l'acception des Lumières comme rupture. Pour Kant, cette rupture, c'est la sortie de l'homme d'un état de minorité justifié par « sommeil dogmatique » (le pouvoir, le contrôle, la religion, l'autorité despotique, etc.). Kant, encore classique, pense que le despotisme se doit d'être limité par la raison universelle. Cela conduit à réfléchir la philosophie en termes d'attitude en recherche de perpétuelle adéquation (attitude comportementale et actantielle d'inscription dans la réalité) plutôt qu'en termes d'époques et de temporalité (l'histoire et ses mythologiques). De cela, Foucault tire une leçon : il ne s'agit plus d'apprécier l'apport des Lumières à une époque ou une autre comme des étapes, mais surtout faire de la philosophie des Lumières une quête et une requête tendues vers l'autonomisation permanente de la raison. Le travail de la raison est une subversion permanente, une sédition continue et une transgression essentielle. L'attitude de la raison comme relecture critique soutenue du présent est une constante relance du « travail indéfini de la liberté ». Tahar Djaout, au prix de sa vie, semble l'avoir mieux compris que les médiocres rentiers qui ont aliéné leur petit être à de mesquins privilèges. Il en a payé le prix en parlant, c'est-à-dire en écrivant en tant que journaliste qui fait des révélations, qui fait éclater la vérité, qui met sa liberté et sa vie en péril pour exiger un monde plus harmonieux, plus adéquat avec la raison, avec les Lumières. Pour lui, le journaliste, comme le prophète, révèle la vérité et dévoile le mensonge. C'est cette fonction même qui définit la philosophie foucaldienne des Lumières en vue d'une philosophie pratique, militante et libertaire, car elle pose en tout moment et en tout temps la sempiternelle question que Foucault nous assène dans un texte de 1979 : « Pour une morale de l'inconfort » : « Qui sommes-nous à l'heure qu'il est ? » Mais je pense que cette question, c'est aussi le fond du métier du journaliste. Le souci de dire ce qui se passe n'est pas tellement habité par le désir de savoir comment ça peut se passer, partout et toujours ; mais plutôt par le désir de deviner ce qui se cache sous ce mot précis, flottant, mystérieux, absolument simple : « Aujourd'hui ». Foucault M. (2001) Qu'est-ce que les Lumières, in Dits et écrits, Gallimard, Paris.