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Analyse : Ioukos, racontée par le bon bout
Publié dans El Watan le 14 - 05 - 2007

Les histoires ne sont jamais tout à fait les mêmes. Selon qu'on les raconte du début ou par la fin. Ainsi par exemple de Rafik Abdelmoumène Khalifa passé très vite de la rubrique people de la jet à celle du gibier de potence. L'ascension et la chute du golden boy algérien sont si fulgurantes l'une et l'autre qu'elles se racontent aisément dans le même paragraphe. Mais que dire alors de Mikhaïl Khodorkovski ? Le plus puissant des oligarques russes en 2003 encore, purge aujourd'hui huit années de prison au fin fond de la Sibérie. Lui a droit depuis quatre années à une longue litanie éplorée des milieux d'affaires occidentaux et de leurs relais dans les médias. « Son » entreprise, l'ex-numéro quatre mondial du pétrole, Ioukos, a presque fini d'être démantelée cette semaine, au profit de l'Etat russe le plus souvent. Son siège social a été vendu aux enchères. Une superbe tour d'affaires de 22 étages, de 1.300 postes de travail et 28.600 mètres carrés, inaugurée en 2003, l'année de la chute du groupe. Dans l'histoire de Mikhaïl Khodorkovski, la chronique médiatique a zappé l'ascension. Pour ne déplorer que la chute. Bien sûr en 2003 avant que Vladimir Poutine ne lance son administration contre lui pour lui coller une accusation rédhibitoire en fraude fiscale, l'oligarque russe du pétrole dansait sur un empire. A la tête d'une production de 1,7 million de barils par jour, il contrôlait autant de pétrole que le colonel Kadhafi, à un moment où les cours amorçaient leur redressement historique. Mais comment est-il arrivé là ? Si l'on s'attarde sur quelques détails de l'ascension de Khodorkovski, le charme de la success story est rompue. Et le démembrement de Ioukos cesse d'apparaître comme la grande tragédie grecque de la finance mondiale. Mikhail Borissovitch Khodorkovski né en 1963 à Moscou d'un couple de cadres techniques à l'usine « Calibre » est un brillant produit de la perestroïka du milieu des années 80. L'autonomie des entreprises lui permet de mettre en évidence un talent pétillant de trader puis de financier. En 1988, il revendique déjà une fortune de 130 millions de dollars. Jusque-là tout va encore presque bien. Sa première société, Menatep, lui permet très vite – en 1990 – d'accéder à l'activité bancaire. Les années suivantes Khodorkovski entre dans le cercle des protégés de Boris Eltsine le président de la Fédération de Russie. La Menatep a le vent en poupe et son PDG devient un oligarque
« respectable ». C'est ainsi qu'il fera partie des 22
« hommes d'affaires » russes qui vont rafler la mise des privatisations. En 1994 le prix du pétrole est au plus bas, l'Etat russe a du mal à boucler son budget. Il se fait prêter deux milliards de dollars rassemblés par les oligarques en contrepartie d'actions futures dans les sociétés privatisables. Le retour sur investissement est tout simplement hors norme. C'est un drôle de clin d'œil de l'histoire que d'avoir comme bruit de fond de la chute de l'empire Khodorkovski un marteau de commissaire priseur. En effet, lors d'enchères arrangées qui ont duré à peine 2 minutes, Khodorkovski reçoit, en 1995,
78 % de Yukos, la 2ème compagnie pétrolière de Russie et la 4ème mondiale, pour une fraction de sa valeur réelle, 350 millions de dollars, alors qu'elle a été estimée à 40 milliards au plus haut de son histoire. Le patron le plus riche de Russie a conduit la réorganisation de son groupe avec les méthodes les plus brutales. Aux travailleurs qui se plaignaient de la faiblesse des salaires dans une activité sibérienne à forte pénibilité il a répondu : «Si vous n'êtes pas contents, je ramène des travailleurs chinois. Et on verra.». Ils ne l'ont pas oublié, et lorsque ses ennuis avec le fisc ont commencé, ils ne l'ont jamais soutenu. Le champion russe de la presse d'affaire occidentale n'était pas un patron rouge. Poutine l'a liquidé méthodiquement dès qu'il a senti son pouvoir d'autocrate menacé. Mais pas seulement. L'actionnariat flottant du groupe Ioukos ouvrait le sous-sol russe aux acquisitions étrangères. C'est surtout pour cela que Khodorkovski était populaire à Londres et Washington. Tandis que Khalifa compte pour du beurre.


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