La découverte de nouvelles énergies (le charbon, le pétrole, etc.) a propulsé de nouvelles découvertes qui ont permis à leur tour un mode de production à grande échelle. Vers la moitié du XIXe siècle, il apparut que les fortunes individuelles n'étaient plus suffisantes pour constituer de grandes unités de production à même de répondre aux besoins sans cesse croissants de la population. ll fallut donc construire des infrastructures biens plus importantes, acquérir des matières premières en grandes quantités, des équipements plus performants et employer un personnel plus nombreux. Par ailleurs, le commerce et l'industrie qui devenaient de plus en plus prospères, requéraient des connaissances plus poussées et des compétences plus diversifiées. A l'instar des législations modernes, l'arsenal juridique algérien offre un panel de choix procédant de l'organisation des entités économiques sur les plans organique, juridique et procédurier. Il demeure entendu que l'introduction de nouvelles formes sociétaires répond au souci premier de combler les lacunes de l'entreprise individuelle et de permettre aux agents économiques de déployer leurs activités dans un cadre qui leur garantit à la fois le cadre légal et les protections juridiques nécessaires. Entreprise individuelle ou sociétaire : que choisir ? L'entreprise individuelle présente certes l'avantage de la flexibilité et du «pouvoir absolu» du propriétaire, seul maître à bord. Par ailleurs, n'étant pas dotée de la personnalité morale, l'entreprise individuelle se trouve dispensée des formalités administratives imposées à certaines sociétés (statuts, capitale minimum, annonce légale, etc.) Cependant, ces «atouts» sont atténués par les inconvénients liés à la nature juridique. Examinons dans le détail ces désavantages suivants les trois volets suivants : – le volet financier ou quand «il vaut mieux être plusieurs sur une bonne affaire plutôt que seul sur une mauvaise» : l'unique patron comptant souvent sur ses propres économies, est amené à constater que le développement de son activité est très limité, voire compromis, d'autant que les banques, très orthodoxes dans la gestion du risque de crédit, sont plus réticentes quand il s'agit d'«épauler» une entreprise individuelle plutôt qu'une société. – Le volet fiscal : dans l'entreprise individuelle, le revenu réalisé est immédiatement et intégralement imposé, même si dans les faits, celui-ci est «recyclé» dans l'activité pour faire face aux besoins de financement. D'autre part, le propriétaire d'une entreprise individuelle n'a pas la possibilité de déduire ses salaires du bénéfice réalisé (pour pallier cette distorsion, la comptabilité analytique les considère comme des charges supplétives pour le calcul des coûts de production) alors que les rémunérations des gérants de sociétés de capitaux et de Sarl sont normalement déductibles. Seule concession : heureusement que le législateur accorde un abattement de 30% applicable aux bénéfices réinvestis par les entreprises individuelles. – Le volet social : l'entrepreneur individuel est considéré comme un patron vis-à-vis de la législation sociale alors que le gérant minoritaire d'une Sarl et les dirigeants d'une société par actions sont réputés des salariés. A cet égard, il est souligné que les salariés bénéficient d'une meilleure couverture sociale (prestations diverses, allocations familiales, assurance chômage, congé dematernité…). Chose évidente quand on sait qu'en plus de la cotisation de 9% due par le salarié, l'employeur doit payer la part patronale au taux de 26% au titre des salaires versés ; soit un total de 35 % de la masse salariale tandis que la cotisation personnelle des patrons s'élève seulement à 15% du revenu annuel réalisé. L'option pour la forme sociétaire : un choix judicieux Le code civil algérien définit la société comme étant «un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes physiques ou morales conviennent à contribuer à une activité commune par la prestation d'apports en industrie, en nature ou en numéraire dans le but de partager le bénéfice qui pourra en résulter, de réaliser une économie ou encore de viser un objectif économique d'intérêt commun. Ils supportent les pertes qui pourraient en résulter (article 416). La distinction majeure entre les différents types de sociétés est basée sur le critère du droit dont relève ces premières. Ainsi, le droit civil régit les sociétés civiles tandis que les sociétés commerciales relèvent du code de commerce. Le premier droit est dit commun alors que le second est un droit spécial. Du droit commun : Le droit civil est une branche du droit privé. Il tire son origine du code civil napoléonien de 1804. Il est dit droit commun et comprend les dispositions codifiant les relations des personnes de droit privé entre elles. Le code civil algérien tel qu'il est structuré aujourd'hui est issu de la réforme de 1975. – La société civile : En raison de la nature de l'activité exercée par les sociétés civiles, la loi ne les «range» pas parmi les sociétés commerciales proprement dites même si le but recherché par ces premières est essentiellement lucratif. La société civile convient tout à fait aux titulaires de professions libérales (médecins, experts, architectes, conseils…) et les officiers ministériels (notaires et huissiers de justice) qui décident de mettre en commun leurs moyens matériels et leurs connaissances en vue de créer un cabinet de groupe. On distingue également les sociétés civiles immobilières dont l'activité consiste en la construction, la location, la vente d'immeubles ainsi que la gestion d'un patrimoine immobilier d'une manière générale. Aucun capital n'est exigé pour la constitution de ce type de corporation. Cependant, les associés prévoient un fonds nominal divisé en parts sociales dont la cession est conditionnée par le consentement unanime de tous les associés. La société civile n'a pas de personnalité fiscale. Aussi, chaque associé est imposé individuellement sur sa quote-part du revenu à l'impôt sur le revenu global — catégorie des bénéfices non commerciaux. Le revenu personnel ainsi dégagé est soumis à la cotisation sociale calculée au taux de 15% que chaque associé doit verser annuellement à la Caisse de sécurité sociale des non salariés (CASNOS). Du droit spécial : Eu égard à l'étendue sans cesse grandissante du droit civil, les disciplines qui y sont contenues n'ont pas tardé à revendiquer, particularismes oblige, chacune son espace de souveraineté. Il en est ainsi du droit de l'aviation, du droit maritime, du statut personnel, etc. A l'intérieur même du périmètre du droit commercial de nouveaux concepts ont vu le jour : droit des sociétés, droit des affaires, voire même l'ébauche d'un droit des activités économiques. Examinons maintenant les sociétés commerciales régies par le code du commerce et établissons les critères de distinction entre elles : La société en nom collectif : une société de type familial : Le SNC est réputée constituée «intuiti personae» en ce sens que ce sont les personnes qui la composent qui importent le plus. D'ailleurs, le capital minimal n'est pas fixé par la loi. Cependant, pour déterminer la quote-part de chaque associé, des parts sociales représentatives des apports effectués sont attribuées aux membres sociétaires. Les parts sociales ne sont cessibles qu'avec le consentement unanime des associés. En cas de cessation de paiement de la SNC, le règlement judiciaire de la société produit ses effets sur chaque associé, lequel devra répondre indéfiniment et solidairement des dettes de la société sur son patrimoine propre. Aussi, faut-il rappeler qu'il y a lieu de mûrir la réflexion avant de s'engager avec un associé dans une telle aventure car sceller son sort avec autrui peut s'avérer aléatoire, voire compromettant. La SNC jouit de la personnalité morale mais elle est dépourvue de la personnalité fiscale. En conséquence, les revenus réalisés par elle sont réputés distribués aux associés qui feront l'objet d'impositions annuelles séparées au titre de l'impôt sur le revenu global (IRG). Ayant la qualité de commerçant, les associés sont réputés tous gérants. Un ou plusieurs gérants peuvent être désignés par les statuts. Cependant, leurs rémunérations ne constituent pas des charges déductibles du résultat de la société, à l'opposé des sociétés de capitaux et des Sarl. Sur le plan de la sécurité sociale, les membres associés de la SNC relèvent de la Caisse d'assurance sociale des non salariés (CASNOS). De ce fait, ils sont soumis à une cotisation de 15% du revenu annuel réalisé. La société par actions : une société de capitaux par excellence : Il est indéniable que ce soit ce type de société qui, grâce à des «règles de jeu» flexibles a permis le développement du commerce et de l'industrie. En effet, réunissant un nombre plus important d'associés, donc des apports plus «conséquents», la SPA présente l'avantage de mieux se positionner dans un environnement fortement concurrentiel. Les mécanismes de la SPA lui permettent de se redimensionner plus aisément par le biais de l'acquisition de certaines sociétés, l'absorption de sociétés filiales ou la fusion avec d'autres firmes opérant dans des domaines d'activités voisins. La SPA est constituée en fonction des fonds apportés et non eu égard aux personnes qui la composent (on comprend plus facilement pourquoi elle est dite société anonyme dans le droit français). Le capital de la SPA doit d'être de 5 000 000 ou de 1 000 000 DA selon que la société fait appel ou non à l'épargne public. La valeur minimale de l'action est de 1000 DA. Le nombre d'actionnaires ne peut être inférieur à 7. La SPA peut être dirigée de deux manières différentes : L'organisation classique prévoit l'élection par l'assemblée générale des actionnaires d'un conseil d'administration composé de 3 à 12 membres qui gère la société au nom de l'assemblée générale. Le conseil d'administration élit à son tour un président qui peut être assisté d'un ou de deux directeurs généraux. Le second mode d'administration de la SPA, introduit en Algérie en 1993, consiste à confier la gestion à un directoire composé de 3 à 5 membres nommés par le conseil de surveillance, lequel comprend 7 à 12 membres et joue le rôle de pivot entre l'assemblée générale et le directoire. Il exerce le contrôle permanent de la société. La SPA constitue un sujet fiscal distinct. De ce fait, elle est soumise à l'impôt sur le bénéfice des sociétés aux taux de 25%. Les bénéfices réinvestis sont imposés au taux préférentiel de 12,5%. Par ailleurs, constituent des charges déductibles du bénéfice, les salaires et les jetons de présence perçus par les membres du conseil d'administration et du directoire, en rémunération de leurs activités. Le bénéfice net, après impôts et dotation aux réserves est réparti proportionnellement aux associés sous forme de 1er dividende (ou intérêts statutaires). Sur le reste, l'assemblée générale peut également allouer aux cadres dirigeants sous certaines conditions une part du bénéfice appelé superdividende (ou tantièmes). Il convient de préciser que les salaires des gérants sont soumis à l'impôt sur le revenu global (barème mensualisé) alors que les dividendes et les superdividendes sont imposés au taux de 15% libératoire (c'est-à-dire au moyen d'une retenue effectuée par la société, qui libère l'associé de toute autre déclaration ultérieure). Enfin, la qualité de dirigeant d'une SPA confère à celui-ci le statut de salarié en matière de sécurité sociale et relève de ce fait de la CNAS. La société à responsabilité limité : une société hybride La Sarl est à mi-chemin entre la SNC et la SPA : elle s'apparente à la première par sa taille modeste, la représentation du capital social et le fait que les associés se connaissent bien entre eux. Elle s'apparente à la seconde par son mode de fonctionnement et le fait que la responsabilité est limitée aux apports de chaque société. Cette société d'inspiration allemande règle pour ainsi dire le problème de la responsabilité entre associés, dans la mesure où chacun d'eux n'est responsable que des pertes correspondant à son apport, et consolide la propriété de la société au sein d'un périmètre familial et/ou amical, étant donné que la liberté de cession des parts sociales est considérablement limitée (la cession des titres requiert le consentement des associés réunissant au moins 75% du capital social). Le capital de la Sarl ne peut être inférieur à 100 000 DA. Il est réparti en parts sociales de 1 000 DA au moins chacune. La Sarl, dont le nombre d'associés ne peut excéder 20, peut être gérée par un ou plusieurs gérants, associés ou non. La Sarl est un sujet fiscal distinct, elle est soumise à l'IBS au même titre que la SPA. Le salaire du ou des gérants est soumis à l'IRG mais la quotité diffère selon que l'associé est majoritaire ou non. En effet, s'il est majoritaire, il est considéré comme un patron, par conséquent, ses traitements font l'objet d'une retenue à la source libératoire de 15% et relève de ce fait de la CASNOS. En revanche, le gérant minoritaire d'une Sarl (est réputé minoritaire tout associé ne possédant pas plus de 50% du capital social) est considéré comme un salarié et relève donc de la CNAS. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité unique : une société à associé unique : Cette société (puisque s'en est une !) est de création récente. Elle a été instituée en France depuis une vingtaine d'années puis introduite en Algérie en 1996. Cette forme sociétale présente l'avantage de limiter la responsabilité de l'associé unique à ses apports et lui permet de ne pas «s'encombrer d'associés gênants». L'EURL emprunte ses règles de fonctionnement à la Sarl à l'exception bien entendu des dispositions qui font référence à la pluralité des associés. L'EURL est gérée soit par l'associé unique soit conjointement ou exclusivement par un ou plusieurs gérants statutaires désignés par lui-même. Il est noté que le traitement fiscal de l'EURL est sensiblement différent entre les législations françaises et algériennes. En effet, alors que la loi française soumet le mode d'imposition au critère de la qualité de l'associé unique : IBS si l'associé unique est une personne morale et impôt sur le revenu des personnes physiques (équivalent de l'IRG chez nous) dans le cas contraire, l'EURL est invariablement soumise à l'IBS en Algérie. Il va de soi que l'associé unique possède la qualité de commerçant et est considéré comme tel vis-à-vis des prestations fiscales et sociales. La société en commandite : une forme intermédiaire : Instituée par la réforme du droit commercial algérien de 1993, cette forme de société qui n'a été adoptée par les opérateurs économiques algériens qu'à titre marginal, présente la nouveauté de comprendre en son sein deux catégories d'associés. – Les commandités : ce sont les sociétaires chargés d'administrer la société, ils sont comme les associés d'une SNC, indéfiniment et solidairement responsables. – Les commanditaires appelés aussi bailleurs de fonds, ils ne peuvent être gérants et ne sont responsables des pertes que dans la limite de leurs apports. On distingue la société en commandite simple et la société en commandite par actions. Les dispositions régissant ces deux types de sociétés ne sont pas suffisamment étoffées. Toutefois, on s'accorde à avancer que la première s'apparente à la SNC et la seconde similaire avec la SPA dans leurs modes de fonctionnement. Pour conclure : La création d'entreprise en général et particulièrement la constitution des sociétés convergent, quasiment dans tous les cas, vers la recherche du gain et de la rentabilité des capitaux investis. Cependant, un examen plus poussé nous mènera à énoncer que la responsabilité (avec son corollaire la confiance) préside plus que tous les autres paramètres au choix de la forme juridique appropriée. Constituent également des paramètres non négligeables : La taille de la corporation projetée ; La disponibilité des moyens financiers ; La conjugaison des compétences et des talents pour exécuter un plan promoteur ; Et enfin les mécanismes de fonctionnement de l'entité qui constitue l'habillage juridique indispensable pour la viabilité du projet. Ouvrages consultés : – Tayeb Belloula, Droit des sociétés, Berti Editions 2006 – Mahfoud Lacheb, Droit des affaires, Office des publications universitaires 2006. – Les fondements de l'organisation politique de l'entreprise, collection J. L. Mathieu, Fernand Nathan 1968. – Ordonnance 75-59 du 26/09/1975 portant code de commerce modifié et complété. – Ordonnance 75-58 du 26/09/1975 portant code civil modifié et complété. – Codes des impôts, Berti Editions 2006.