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Comptabilité, veille et intelligence stratégique
Publié dans El Watan le 22 - 10 - 2007

Il est de notoriété publique que l'information touche à toutes les strates de la société. Ainsi, l'Etat, les ménages, les entreprises et le reste du monde en sont doublement concernés puisqu'ils sont à la fois émetteurs et récepteurs (donc producteurs et consommateurs) de l'information.
Le niveau de développement d'une nation est, à notre avis, en grande partie tributaire du degré de synergie et de la fiabilité des connexions entre ses compartiments.
L'importance du sujet on ne peut plus d'actualité, n'a de cesse exhorté notre engouement à aborder ne serait-ce qu'un volet de cette discipline polyvalente par excellence, à travers l'entreprise perçue à la fois comme cellule de base du tissu économique et comme entité interactive dans l'environnement institutionnel. Multiplicité des Ecoles, inflation de concepts et modulations des besoins sont au nombre des indicateurs qui témoignent pour le moins de l'«incontournabilité » de l'information.
Dans la présente contribution qui se veut plus descriptive et synthétique qu'analytique, nous tenterons de dresser un tableau synoptique des différents systèmes d'information de l'entreprise, allant du plus ” basic ” adopté par la quasi-totalité des entités économiques au plus sophistiqué auquel souscrivent les firmes les plus performantes, en passant bien évidemment par les systèmes intermédiaires.
Il est noté au passage que les systèmes en question ne sont pas exclusifs l'un de l'autre mais ils peuvent être, au contraire, complémentaires comme le souligne Abdelhak Lamiri dans un papier académique dont la présente contribution s'inspire largement (1). Mais avant d'aborder le vif du sujet, nous estimons utile de définir au préalable le système d'information à même d'en cerner les contours et de permettre une meilleure compréhension de la typologie des systèmes mis en œuvre par l'entreprise.
En terme de “conduite” des affaires, il est d'usage de comparer, à des fins pédagogiques, l'entreprise à une voiture équipée d'un rétroviseur, d'un pare-brise et d'un tableau de bord.
Le premier accessoire autorise une vue rétrospective et permet de jeter un aperçu sur le chemin parcouru ; le second qui permet d'avoir une vision prospective nous renseigne sur l'avenir. Enfin, le tableau de bord, concept mécanique, amplement emprunté par les techniques de gestion nous rend compte, en temps réel, des paramètres de notre conduite : vitesse, accélération et décélération d'une part et “espionne” en permanence toutes les pannes qui peuvent survenir au véhicule d'autre part : Surchauffe, baisse du niveau d'huile ou défection du freinage par exemple.
Sur le registre académique et d'une manière plus soutenue, l'Encyclopédie en ligne Wikipédia définit le système d'information comme étant ” un ensemble organisé de ressources (personnel, données, procédures, matériel, logiciel, …) permettant d'acquérir, de stocker, de structurer et de communiquer des informations sous forme de textes, images, sons, ou de données codées dans des organisations “(2). Cette définition privilégie donc l'approche systémique et suggère une synergie entre des éléments agencés ayant pour mission de dédier un support à la communication de l'entreprise.
La composition organique de cette structure détermine la pertinence des informations recueillies ainsi que le schéma de leur transmission de la base, dite palier opérationnel, au sommet réputé comme le niveau décisionnel. A présent, passons en revue les systèmes en question :
Le système de base ou formel
Ce dispositif “minimaliste” constitue le dénominateur commun à tous les autres systèmes.
De portée très limitée, il puise ses ressources des données opérationnelles fournies généralement par les tâches quotidiennes et itératives. Il se limite à mesurer certains agrégats de l'activité économique de l'entreprise tels que le volume des approvisionnements, le niveau du chiffre d'affaires et la fluctuation de la masse salariale.
A ce niveau, il n'est pas encore question d'indicateurs puisque la comptabilité générale (journaux auxiliaires, diverses pièces comptables, …) permet à elle seule de rendre compte de ces paramètres. Ce système peut être symbolisé par l'état des ventes de la veille que le gérant/propriétaire de l'entreprise retrouve chaque matin sur son bureau. En fait, le document en question peut être obtenu par simple compulsion des situations globales des ventes restituées par les caisses enregistreuses. D'autre part, le dirigeant de l'entreprise s'informe souvent d'une manière informelle et sollicite son ” flair ” et ses ” connaissances intuitives ” (Lamiri, 2003) pour prévoir certaines situations à court et à moyen terme (au sujet de l'évolution d'un marché par exemple) plutôt que de confier l'étude à un service spécialisé. Cette attitude peut s'avérer dangereuse dans la mesure ou certaines appréciations approximatives peuvent compromettre sérieusement la viabilité de l'entreprise. L'exemple nous est donné chez nous par le nombre de projets ” étouffés dans l'œuf ” depuis la transition vers l'économie de marché, leurs promoteurs n'ayant pas anticipé la saturation d'un marché ou le fléchissement prononcé de la courbe de la demande par exemple. A ce sujet, l'anecdote que nous a conté un ami concernant un jeune promoteur est édifiante : Un cabinet spécialisé sollicité pour une étude socioéconomique préalable lui aurait demandé des honoraires si élevés que l'investisseur “en herbe” s'en détourna. Il rétorqua même au responsable du cabinet de conseil que le montant en question pouvait financer carrément l'investissement, ignorant sûrement que ladite étude constituait un véritable investissement enregistré en comptabilité comme frais préliminaires, dans la rubrique « frais d'études et de recherches ». C'est par miracle si l'entreprise en question tourne encore de nos jours !
Le système analytique
Plus élaboré, ce système est obtenu par connexion du dispositif précédent sur des techniques plus développées pouvant constituer des outils efficaces au service du processus décisionnel et parmi lesquelles on peut citer :
L'analyse financière : Cette discipline a pour objet de retraiter le bilan comptable pour le modifier en bilan financier (ou bilan en grandes masses) de manière à en extraire une batterie d'indicateurs (ou ratios) permettant d'aboutir à une appréciation de la structure et de l'équilibre financiers de l'entreprise (autonomie financière, fonds de roulement, besoin en fonds de roulement, trésorerie, …) d'une part et à la collecte de données sur la dynamique de l'entreprise d'autre part (soldes intermédiaires de gestion, cash flow,…).
La comptabilité analytique : Longtemps appelée comptabilité industrielle parce qu'elle était “la chasse gardée” des ingénieurs, cette discipline a glissé progressivement dans le domaine des comptables et des financiers. Sa vocation première est d'analyser les prix et coûts de revient à même de mener la politique de production et des prix de l'entreprise et de sonder les points forts et les points faibles de la gestion (en langage courant, on dit qu'elle montre là ou le bât blesse). Cette technique alerte également les gestionnaires sur les risques encourus par l'entreprise grâce à des outils comme le point mort (ou seuil de rentabilité) et oriente les décisions avec des variantes de coûts relativement plus récentes (direct costing, coût de remplacement, coût d'opportunité, etc.).
La comptabilité budgétaire : ” Sœur jumelle ” de la précédente, cette technique basée sur l'élaboration des budgets fait appel aux normes (ou standards) que permet de dégager la comptabilité analytique. La comparaison des budgets avec les réalisations constitue une voie privilégiée du contrôle de gestion. En effet, l'analyse des écarts révèle les contre-performances de certains produits, familles de produits ou centres de profits ; ce qui aide précieusement les gestionnaires dans la prise de mesures correctives “en boucle” tendant à optimiser les coûts et à améliorer les performances de l'entreprise.
Ces trois techniques qui puisent leurs données de la comptabilité générale proposent des informations plus claires pour la prise de décision puisqu'elles permettent des comparaisons dans le temps (d'une période à une autre) et dans l'espace (par rapport à la concurrence), ce qui est très intéressant. Toutefois, le système analytique ne se limite pas à ce stade ; il doit recourir à la collecte d'informations primaires pour surveiller le positionnement de l'entreprise dans des domaines aussi variés que la part du marché, la technologie utilisée, l'apparition de nouveaux procédés de fabrication et même en termes de gestion des ressources humaines, ce qui est appelé par ailleurs la veille sociale.
Ces informations peuvent être endogènes et émaner de la base comme par exemple d'un ouvrier sur machine qui peut être à l'affût du renseignement concernant les machines-outils et les “process” ou des vendeurs recueillant des indices auprès des clients ou d'un échantillon de la population sondée à l'occasion d'enquêtes sur la qualité des produits commercialisés ou à commercialiser.
D'autre part, des informations exogènes peuvent être recueillies à travers des sources multiples et diversifiées. Il en est ainsi de l'exploitation des catalogues d'entreprises similaires, des foires et salons, de la presse régulière et spécialisée, de la télévision et des films documentaires, des indices fournis par la chambre du commerce et l'office des statistiques, des brevets et inventions et enfin de la consultation des banques de données dont l'accès a été considérablement facilité surtout depuis l'éclatement de la bulle du réseau mondial des trois w. Le recours à ces données est appelé système de repérage (au sens d'innovations). La périodicité de renouvellement des études détermine le niveau de sophistication du système mis en place. Lorsque la période en question varie de un à trois ans, le système de repérage est dit ponctuel et le système d'information dans son ensemble demeure analytique.
La veille stratégique
Il est aisé de déduire que la veille stratégique est la résultante du système analytique consolidé par un système de repérage continu, dans lequel les informations primaires sont mises à jour tous les mois, trimestres ou années. Littéralement, ce système “bannit le sommeil” et demeure vigilant en permanence, à l'affût de l'information de manière à anticiper la crise, éluder ses conséquences et s'adapter à ses nouvelles donnes. Pour être efficace, la veille stratégique doit opérer suivant au moins quatre vecteurs : le produit, les procédés, l'organisation et le social (3).
Le produit s'entend ici comme une composante du Marketing Mix (connu sous le nom des 4P : Produit, Prix, Place et Promotion). Les exigences–Produit mettent les cellules spécialisées dans l'information sous tension continue de manière à ne négliger aucune des caractéristiques réclamées par le client comme la ” fonctionnalité, la performance, la conformité, la durabilité, la fiabilité, la réparabilité, le style et le design” du produit (4) ; l'approche stratégique aguerrit l'entrepreneur et le prépare contre la menace d'apparition de nouveaux produits plus adaptés et plus compétitifs. Aussi, les décisions visant à réduire les pertes ou maximiser le profit doivent être prises dans les délais les plus brefs. On peut citer comme instruments de veille la courbe de vie des produits et la matrice du Boston Consulting Group (BCG) comme la variante la plus connue du panel des Domaines d'Activités Stratégiques (DAS).
Les procédés et l'organisation sont de nos jours repensés en termes de transversalité. En effet, le reeginering remet en question les divisions traditionnelles de l'entreprise et ne prévoit qu'une organisation à géométrie variable pourvu qu'il prenne en charge les exigences de la clientèle.
Enfin, en matière sociale, la veille stratégique place la fonction DRH au-delà de son rôle classique. Elle dicte l'impératif d'élaborer des tableaux de bord tendant à assurer une meilleure prise en charge des ressources humaines en termes d'analyse des postes, de gestion des carrières, d'organisation du temps de travail en fonction du profil « psycholoqique et physiologique des travailleurs » (5) et même en termes de communication interne et externe.
En fait, il semble impossible, la révolution industrielle nous l'ayant bien enseigné, de parler du sujet sans citer un nom incontournable : Celui de Schumpeter (1883 – 1950), cet économiste américain d'origine autrichienne, à qui revient le mérite d'avoir mis en exergue le rôle majeur des innovations dans les cycles économiques, classe les innovations en cinq grandes catégories à savoir la fabrication d'un nouveau produit, l'introduction de nouveaux procédés de fabrication, l'exploration de nouveaux débouchés, la conquête de nouvelles sources de matières premières et enfin la conception d'une nouvelle organisation de la production.
L'Intelligence stratégique
L'évocation de ce concept nous donne l'impression de chevaucher un domaine à la limite de l'éthique. A ce stade ultime, il est question d'informations que les firmes d'un très haut niveau technologique “font extorquer” à d'autres d'une manière “peu orthodoxe”. Les instigateurs de ces manoeuvres ne les avouent presque jamais mais les qualifient de “bonne guerre” industrielle dans un contexte ou les enjeux sont d'une importance capitale (voire nationale) et le temps scrupuleusement compté. Nous pouvons citer à titre d'exemple des domaines tels que celui de l'informatique (Intel face à ses concurrents AMD et Athlon dans la conception des microprocesseurs, quasi-monopole de Microsoft dans le logiciel face à Linux et MAC/OS) ; de l'aviation (challenge entre Boeing et Airbus, redéploiement du russe Soukhoï dans l'aviation civile); de la construction navale (La Corée du Sud vient de se hisser au rang de premier constructeur mondial devant le Japon).
Pour parer à d'éventuelles pratiques, les firmes ciblées recourent à des mesures prudentielles en octroyant des salaires faramineux à leurs cadres pour les mettre à l'abri de la tentation, et en sécurisant la manipulation et la détention de l'information stratégique à travers son “éclatement” limitant ainsi les risques de fuite et en orchestrant, pourquoi pas, de fausses fuites de manière à induire en erreur des concurrents malveillants.
Conclusion : Où en sommes- nous ?
Durant les trois décennies de l'économie administrée, nos sociétés nationales étaient mues par le seul rôle/objectif de service public, faisant ainsi l'impasse sur la rentabilité et l'efficacité. Les entreprises du secteur privé issues de la levée des monopoles au début des années 90, se sont heurtées, à peine l'envol entamé, aux aléas de la gestion. L'apprentissage se faisant bon gré mal gré, les gestionnaires découvrent que la majorité des dysfonctionnements de leurs entreprises sont dus essentiellement à l'absence de management de l'information.
D'ailleurs, beaucoup d'entrepreneurs considèrent la comptabilité comme une contrainte dictée par les seules exigences fiscales. Que dire dans ce cas des systèmes de veilles stratégiques?
Il semble pourtant que nos entrepreneurs se débrouillent à leur manière, pour se procurer l'information suivant des circuits informels et détournés. Toutefois, nous estimons que les systèmes informels prouveront si ce n'est déjà fait, leurs insuffisances. En effet, soumises à une rude concurrence, nos entreprises seront mises devant le choix dualiste de la mise à niveau ou du dépôt de bilan d'autant que les implications de l'accord d'association avec l'union européenne et l'adhésion de l'Algérie à l'OMC pointent à l'horizon.
Il est donc urgent de déployer des efforts en direction de la création des banques de données intéressant le monde de l'entreprise, d'inculquer la culture d'entreprise et l'esprit de veille à travers les programmes d'enseignements scolaires et académiques à nos étudiants – futurs gestionnaires-et enfin d'améliorer le parc informatique et soutenir l'accès à Internet, préalables exigés pour rejoindre le peloton des peuples les mieux informés au monde.
Notes
– (1)Abdelhak Lamiri, Intelligence Stratégique, ou en sont nos Entreprises ? in Revue des Sciences Commerciales et de Gestion –Laboratoire d'Etudes Pratiques en Sciences Commerciales et Sciences de Gestion N° 1 Janvier 2003 – PP 126 à 140.
– (2)www.wikipedia.org
– (3)D'après Yves Lasfargue, Directeur de l'Institut Français de Gestion (IFG), cité par C. Bussenault et M. Pretet in Organisation et Gestion de l'Entreprise – Edition Vuibert, 1991 – Page 134.
– (4)Jean-René Edighoffer, Précis de gestion d'entreprise – Edition Nathan – 1996, Page 45
– (5)Jean-René Edighoffer, op. cit. Page 90
L'auteur est Ancien élève de l'INF de Koléa
[email protected]


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