Dans une économie de plus en plus ouverte à la concurrence, l'amélioration des systèmes d'information mis en place dans les entreprises algériennes représente un enjeu considérable pour leurs dirigeants face aux conditions du marché, mais aussi pour l'économie nationale toute entière. Par : Saheb Bachagha (*)
L'efficacité des systèmes d'information d'entreprise conditionne, en effet, celle de leur gestion. Or, force est de reconnaître que les entreprises algériennes ont beaucoup de progrès à faire dans ce domaine par rapport aux entreprises des principaux pays industriels qui ont développé des systèmes très efficients. Comptabilité anglo-saxonne C'est ainsi que les entreprises anglo-saxonnes disposent depuis longtemps d'une comptabilité organisée par destination qui accumule les coûts sur les produits pour aboutir à la notion de prix de revient des ventes. Par différence avec le chiffre d'affaires lui-même, enregistré dans toutes ses composantes (quantité vendue, référence, tarif, restant à livrer) la comptabilité anglo-saxonne dégage la marge contributive et d'une manière générale met en regard les produits de chaque activité et les coûts correspondants. Cette organisation des comptes et des chiffres permet de mesurer puis d'analyser par rapport à la prévision exprimée sous forme, tant de budget que de standards, la contribution de chaque responsable. Entreprises algériennes et comptabilité analytique On comprend que la comptabilité anglo-saxonne toute entière tournée vers la gestion puisse être qualifiée de véritable comptabilité analytique. Tout y est méthodique, conventionnel (qu'est-ce qu'un prix de revient ? qu'y inclut-on ?) mais tout se contrôle parfaitement et peut être obtenu immédiatement ou presque après la période concernée afin de servir aux responsables pour agir sur les causes, alors que les faits sont récents et encore en train de se produire. Au contraire, les entreprises Algériennes dont les besoins d'informations pour la gestion sont évidemment les mêmes que ceux de leur concurrentes, doivent obligatoirement tenir une comptabilité générale classée par nature de produits et de charges, qui a pour vocation d'informer les tiers et notamment le fisc. Mais dans son état actuel celle-ci ne sert pas ou très peu à la gestion de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle les entreprises algériennes tentent de les satisfaire en mettant en place des comptabilités analytiques appelées également «comptabilités industrielles «. C'est à partir de la comptabilité analytique que certaines entreprises algériennes déterminent les prix de revient de leurs produits ou les performances de leurs divisions opérationnelles, qu'elles décident de leur politique tarifaire ou de leur politique de sous-traitance. Or, depuis quelques années les chefs d'entreprises s'interrogent sur l'utilité de la comptabilité analytique et remettent leur système en cause. En réalité ce que l'on remet en cause aujourd'hui ce n'est pas le principe de la comptabilité analytique elle-même, ce sont les grands systèmes où l'on découpe l'entreprise en centres de profits {ou de coûts) qui correspondent aux services, aux ateliers ou encore aux produits. On distingue ensuite les sections principales et les sections auxiliaires. Dans un premier temps on impute aux sections principales tous les coûts qui leur sont directement liés comme les frais de matière premières, de main- d'oeuvre, d'énergie. Dans un second temps, on répartit les charges des sections auxiliaires sur ces sections principales selon des clés de répartition plus ou moins représentatives, ce qui concrètement est réalisé en plusieurs étapes. Dans la pratique ces opérations sont extrêmement complexes, les systèmes mis en place sont devenus tellement alambiqués qu'on les a surnommés « usine à gaz ». Du coup, ils sont devenus inutilisables, les informations qu'ils produisent arrivent trop tard, ils ne sont pas transparents et manquent singulièrement de souplesse. Les entreprises ont évolué, mais les systèmes sont restés figés. C'est ainsi qu'au fil du temps la comptabilité analytique s'est éloignée de sa fonction initiale, l'aide à la décision et à la gestion. Il ne s'agit pas pour autant de condamner la comptabilité analytique. Il est fondamental pour une entreprise de connaître les prix de revient de ces produits ou les résultats de ces divisions. Encore faut-il que le système mis en place soit simple, donne des informations pertinentes et parfaitement adaptées au besoin des responsables. Savoir quels sont les produits rentables ou ceux qui perdent de l'argent permet de décider du niveau de la production des prix de vente ou de la marge de manoeuvre commerciale. Mais il est inutile de calculer le prix de revient douze fois par an puisque l'on ne change pas le prix de vente tous les mois. Les techniques d'imputation sont innombrables puisque la comptabilité analytique à la différence de la comptabilité générale ne s'inscrit pas dans un cadre légal : les entreprises sont libres de fixer à la comptabilité analytique les objectifs qui leur sont propres, et de déroger aux traditionnelles règles de répartition et de clôture des comptes qui dans bien des cas ne reflètent plus ta réalité de l'entreprise. Plaidoyer pour un système comptable rénové Très rares sont les entreprises où la comptabilité analytique s'est adaptée aux évolutions technologiques en changeant ses méthodes de calcul. Par exemple, c'est le plus souvent l'heure de main-d'œuvre directe qui est retenue comme clé de répartition. Or, aujourd'hui elle ne représente plus que 10% des coûts. Le problème à l'heure actuelle est bien évidemment de connaître l'origine des coûts et de les répartir, mais plus encore, en liaison avec 1e système de contrôle interne de l'entreprise, de les maîtriser en fonction de leur importance dans le processus de production. C'est pourquoi les opérationnels doivent participer à la mise en place des systèmes pour pouvoir s'engager sur leur objectif, leur budget en toute connaissance de cause. D'autre part, la comptabilité analytique doit absolument être reliée à la comptabilité générale. En d'autres termes la somme des résultats analytiques doit être égale au résultat comptable global, et présenter la même fiabilité. Les stocks utilisés en comptabilité générale doivent être fournis par la comptabilité analytique. Au lieu de cela les systèmes de comptabilité analytique ne permettent pas de responsabiliser les hommes car ils sont déconnectés de la réalité; de la réalité de la production d'abord, car ils accumulent des coûts sans lien de causalité évident ; de la réalité comptable ensuite car ils se sont développés, indépendamment de la comptabilité générale, sans la fiabilité garantie par des procédures comptables. Les entreprises algériennes constatent à leurs dépens, qu'il est de moins en moins facile de contrôler les stratégies commerciales et la rentabilité des produits avec les évaluations fournies par les systèmes comptables conventionnels. Que ceux-ci fassent appel aux notions de coûts variables, directs ou complets, ils manquent de transparence pour rechercher les causes des écarts par rapport aux prévisions. Cependant la prudence est de mise avant de changer un système d'information comptable, il existe une tendance à tirer des fausses conclusions à propos de techniques comptables alors que c'est l'utilisation qui en est faite dans l'entreprise qui doit être améliorée. Jusqu'à tout récemment les techniques comptables mettaient surtout l'accent sur un objectif précis, la détermination des coûts afin d'évaluer le stock et de déterminer le revenu comme si cet objectif constituait une fin en lui-même. Par conséquent, on reléguait à l'arrière plan d'autres usages du système, et la majorité des techniques ne réussissaient pas à adapter les données aux besoins des chefs d'entreprise. Habitués à une information présentée sous cette forme, les chefs d'entreprise y ont adapté leurs concepts et leur façon de penser plutôt que d'adapter l'information au travail des personnes. Si quelqu'un suggère de réadapter le système tel qu'il semble logique de le faire il se bute à une forte réticence à abandonner un système qui fonctionne apparemment bien depuis fort longtemps. Pourtant le défi d'aujourd'hui pour la profession comptable toute entière, menacée par les techniques de traitement de l'information, qui grignotent ses prérogatives, c'est bien de concevoir un système comptable rénové capable de répondre à plusieurs objectif s à la fois : - évaluation du revenu à des fins financières et fiscales, - besoin croissant d'informations chiffrées (reporting), - tableau de bord de gestion.
(*) Expert -comptable et commissaires aux comptes. Membre de l'académie des sciences et techniques financière et comptables Paris [email protected]