Il faut, cependant, rappeler que le président américain, George Bush, n'a pas cessé de répéter durant les quatre dernières années, qu'il faut garder le cap en Irak, alors que ce pays s'éternise dans sa crise multiforme, voire s'il ne fait que s'y enfoncer davantage. Le nouvelle résolution du Conseil de sécurité ne fait au fait qu'énumérer des tâches de conseil et d'assistance au gouvernement irakien en matière constitutionnelle, politique, électorale, juridique, économique, humanitaire, des droits de l'homme et des réfugiés. Tâches auxquelles déjà la mission de l'ONU en Irak a participé, depuis sa réinstallation en 2004, sans aucun effet ni éclat, altérant ainsi sa crédibilité et celle de l'action multilatérale dans une région déjà trop fragile. Cette résolution vient aussi dans un climat pré-électoral américain tendu et acharné où, malheureusement, la crise irakienne est traitée simplement et seulement comme une question intérieure payante aux fins électorales. Peut-être que l'unique élément qu'on a tenu à présenter comme nouveau est celui chargeant l'ONU de faciliter les efforts d'une réconciliation nationale et ce, en coordonnant ces dits efforts avec le gouvernement Maliki, plus disloqué que jamais. Ce gouvernement, qui depuis plus d'une année déjà s'est voulu un gouvernement d'union nationale et de réconciliation, n'a malheureusement vu ni son programme ni ses activités convaincre ceux parmi les irakiens qui ont rejeté en bloc toute participation politique, alors que leur pays se trouve sous occupation étrangère de se joindre à son processus. Pire, Maliki a perdu en cours de route beaucoup de ses alliés et s'est avéré incapable, voire inapte à réaliser si peu que ce soit. On voit mal comment la mission de l'ONU puisse tenir des négociations avec les irakiens de tous bords, si elle doit au préalable coordonner toutes ses activités avec un premier ministre dont le leadership demeurera contesté non seulement par les groupes armés, mais également par la moitié de ceux qui ont composé, au départ, son propre gouvernement. Ainsi, ce nouveau mandat de l'ONU va susciter beaucoup d'interrogations sur sa pertinence, son efficacité voire sa faisabilité. La grande question restera : l'ONU devra-t-elle avoir comme ultime objectif d'aider le peuple irakien à se rétablir de sa longue et douloureuse agonie, conformément à son mandat de maintien de la paix et le sécurité internationale défini dans sa charte, ou devra-t-elle aider l'administration américaine actuelle à gérer les conséquences de ses erreurs dans une guerre, qui, dès son départ, faisait fi à l'un des fondements de l'ordre international le multilatéralisme considéré jusqu'alors, comme unique garantie de l'émergence d'une responsabilité collective de maintenir cette paix et cette sécurité internationales ? Ce qui aggrave davantage la situation, ce sont les nouvelles réalités internes et régionales de l'Irak. Ainsi, ce nouveau rôle de l'ONU vient quatre années après la guerre lancée en 2003 et le chaos qui s'en est suivi, aboutissant trop vite à la fragmentation de la société irakienne, sa désintégration et à l'accentuation de l'émergence de forces obscurantistes et ethnocentristes, par définition anti-démocratiques et exclusives. – Comment se présente la situation actuelle en Irak ? – I/ Sur le plan Humain – 1)- Le tiers des irakiens sont maintenant des réfugiés dont la moitié des réfugiés internes suite aux actions de nettoyage sectaire ou ethnique, et dont la dimension est très alarmante et est propice, non pour une guerre civile déjà en cours, mais à une série de guerres civiles au vu de la mosaïque de ce pays, de son histoire et celle de sa région. – 2)- Les statistiques les plus fiables avancent des chiffres allant jusqu'à un demi-million de pertes de vies dans la population civile. – II/ Sur le Plan Politique et de la gestion Interne – 1)- L'extrémismme religieux ou politique est plus fort que jamais en Irak et dans la région. L'idéologie Al Qaïda est devenue comme une «franchise», dont des groupes qui continuent de se constituer se réclament, sans pour autant avoir des liens organisationnels entre eux (il est à rappeler qu'en 2003, quand la guerre a été décidée, l'une des raisons évoquées alors était la supposition, et a tort, que des cellules Al Qaïda opéraient en Irak. Maintenant et après 4 années d'erreurs, ces cellules sont là, s'offrant même le luxe de gérer des villages, comme ce fut le cas, pendant quelques mois, dans les gouvernorats de Diala et Ninevah). – 2)- Le blocage institutionnel en Irak est à son comble et semble sans issue possible. Les 3 projets reportés dans la constitution, soit la loi sur les hydrocarbures, le système fédéral, Kirkouk, s'avèrent irréalisables. Toutes les propositions pour les régler paraissent créer de nouveaux problèmes, au lieu d'en résoudre, au vu du climat de suspicion et de la non-confiance totale entre les parties en jeu. Les Irakiens ne font l'unanimité que pour fuir en avant, mais dans des directions inverses et diverses. – 3)- Les alliances dans l'arène politique ne se font plus, elles se défont seulement : – . Les Sadristes ont quitté le gouvernement. – . La Concordance a quitté le gouvernement. – . Al Fadila a quitté l'alliance chiite. – . Des affrontements meurtriers entre des groupes de résistance et Al Qaïda, etc. – 4)- Les estimations les plus réalistes de détournement de fonds publics avancent le chiffre de 20 milliards de dollars depuis 2003. Et beaucoup de responsables, qui sont maintenant habitués à passer plus de temps à l'étranger qu'en Irak, ne connaissent de ce dernier que la fameuse zone verte. Zone dont les très hauts blocs en béton l'isolent non seulement physiquement du reste meurtri du pays, mais l'isolent également socialement, économiquement et politiquement. – 5)- L'accentuation du sectarisme et du déplacement forcé des populations : Sur le plan régional et international, l'Administration américaine commence à donner des signes qu'elle a enfin compris qu'il ne peut y avoir de solution uniquement américaine. Il lui faut alors beaucoup plus que la dernière résolution de Conseil de sécurité, en partant d'abord de la reconnaissance que son action n'a fait qu'accentuer les fractures et les tensions dans une région déjà trop complexe et fragile. En passant ensuite par une relecture de l'ensemble de la situation et des solutions proposées jusqu'ici, inadéquates ou venues trop tard ; pour arriver enfin à la conviction que seul un nouveau départ radical est susceptible d'envoyer un message clair au peuple irakien, à toutes ses forces vives, aux pays de la région et à le communauté internationale qu'une ère nouvelle va commencer, et dont le point de départ serait la rupture avec tout ce qui a été faussement bâti jusqu'à maintenant en Irak. Peut-être la lueur d'espoir serait cette vieille idée d'une conférence internationale à laquelle seraient conviées toutes les parties irakiennes en tant que parties en conflit, les différents voisins et les concernés internationaux. Les irakiens seuls ne pourraient jamais se réconcilier sans l'appui total et nécessaire des acteurs régionaux et internationaux. L'option guerrière sera toujours reçue comme une humiliation voire une provocation et une injustice supplémentaire, ajoutées aux autres, profondément ressenties par les peuples de la région. Pour cela, il faut convaincre tout le monde ; d'abord les irakiens : ils doivent comprendre que leur réconciliation est dans l'intérêt de leur peuple qui a tant souffert et qui a le droit d'aspirer à un avenir meilleur. Ensuite la région : les pays limitrophes doivent comprendre également que c'est dans leur intérêt d'avoir un Irak stable et sécurisé. Enfin, la communauté internationale : éteindre le feu irakien avant qu'il n'embrase toute une région si importante non seulement par son histoire, mais également par sa stabilité et son utilité à l'économie internationale. A cette fin, et à supposer que les bonnes volontés locales, régionales et internationales seraient magiquement réunies, personne ne saurait combien cela demanderait de temps et de sacrifices. Les plaies demeureront profondes et les ordres du jour contradictoires. Mais au moins on saurait qu'en Irak, on a peut-être fini par atteindre finalement le fond du puits et que les fuites en avant des différents acteurs ont cessé et que ces acteurs ont compris qu'il faut commencer à réapprendre à vivre ensemble. Autrement, le terme Irak n'existerait plus que dans les manuels scolaires de l'histoire, comme, par ailleurs, celui de Mésopotamie. L'auteur est Chercheur principal du CRDI et du CIGI Ancien envoyé spécial en Irak