L'exécution de Saddam Hussein a jeté l'effroi dans les milieux politiques algériens. Si le gouvernement de Nouri Al-Maliki n'était pas en odeur de sainteté chez les décideurs algériens, le spectacle macabre de la pendaison de l'ancien président irakien risque de geler des relations diplomatiques déjà chétives, voire inexistantes. Une émotion profonde s'est emparée de l'opinion publique algérienne après la diffusion des images de Saddam Hussein sur l'échafaud le matin de l'Aïd. Le Président algérien, qui accomplissait la prière dans la Grande-Mosquée d'Alger, ne cachait pas aussi sa désapprobation face à cet acte barbare. Malgré une réaction diplomatique aussi timide que tardive, l'onde de choc du procédé a secoué les politiques algériens. Le lendemain, les journaux publics sont sortis en noir, signe de deuil, alors que la Télévision algérienne n'a pas diffusé les images de la pendaison, certainement en signe de respect à l'égard du peuple irakien. Le ministre des Affaires religieuses avait même décidé de la prière de l'Absent pour le lendemain dans les mosquées algériennes. Le triptyque du gouvernement algérien sur l'Irak est limpide. Dès qu'il s'agit du nouvel Irak, Alger réitère une position de principe, certes intransigeante, mais qui semble ne pas coller à la réalité de la situation de l'Irak actuel. D'abord la question du “retrait des forces étrangères”. Tout en se gardant de citer les forces militaires américaines en Irak, la diplomatie algérienne, à sa tête le président Bouteflika, n'hésite pas à condamner “l'occupation” ou “l'invasion” des termes qui font grincer des dents à Washington. Malgré qu'Alger soit l'allié des Etats-Unis dans la guerre contre le terrorisme, le dossier irakien n'a jamais constitué un point d'achoppement entre Algériens et Américains. Car dans cette demande de retrait des forces américaines subsiste une nuance, qui est souvent réitérée dans les grandes occasions diplomatiques et qui stipule, que l'Irak doit “récupérer ses ressources naturelles” trustées par les firmes pétrolières américaines dont un grand nombre est aussi présent dans le Sahara algérien. Au second plan, la diplomatie algérienne a toujours revendiqué “la réappropriation des Irakiens de leur souveraineté totale”. Ce qui implique la souveraineté territoriale et identitaire. Or, sur ce plan —, ce qui nous amène au troisième point de discorde —, l'Algérie a toujours plaidé pour “la participation de toutes les forces vives irakiennes sans exception”. À savoir la réintégration des forces sunnites. Décoder les anciens du gouvernement irakien issus du Baâth irakien, dans la décision du nouvel Etat irakien. De ce fait, la position algérienne paraît totalement décalée quand on observe la tournure des évènements. Malgré les “bonnes intentions” affichées par Maliki, qui reprend une idée toute algérienne de “gouvernement de réconciliation nationale” en Irak, la pendaison de Saddam Hussein est venue démontrer que les chiites d'Irak n'ont cure des recommandations des pays arabes. Il faut dire que l'opération de charme d'Al-Maliki envers les capitales arabes avait failli aboutir. Sous la pression terrible du département d'Etat américain, les pays arabes étaient encouragés à accepter la “légitimité” du gouvernement Al-Maliki et avait demandé à Riyad, le Caire ou Alger à aider les Irakiens à réintégrer leur place dans la Ligue arabe. L'accueil glacial des représentants du gouvernement irakien de transition par les ténors arabes avait achevé ce début de dialogue. Alger, comme les autres, ne pouvant se mettre en porte-à-faux avec leurs opinions publiques respectives pour lesquelles la guerre en Irak est une injustice contre le peuple irakien et que les Talabani et autres Al-Maliki ne sont que des “marionnettes” de l'administration américaine. Boumaza, Ben Bella et Saddam Hussein Mais d'autres raisons spécifiques aux Algériens font qu'il est difficile d'accorder un quitus aux autorités irakiennes : D'abord, les liens particuliers qui unissaient l'Algérie, de Boumediene à Bouteflika, avec les dirigeants irakiens de l'époque du pouvoir de Saddam Hussein. Des accords irano-irakiens de 1975 à Alger entre le Chah d'Iran et le jeune Saddam au Club-des-Pins, aux missions incessantes de bons offices entre ces deux pays lors de la guerre Irak-Iran qui a coûté à Alger la perte de l'un de ses plus brillants diplomates lors d'un crash d'avion toujours mystérieux, en la personne de Mohamed Seddik Benyahia, en passant par la solidarité sans failles de l'Algérie à l'égard du peuple irakien lors des deux guerres du Golfe, Alger avait occupé une place de choix dans le cœur des maîtres de Bagdad. De l'aveu même de Bachir Boumaza, ancien président du Sénat algérien dont l'amitié avec Saddam Hussein avait consolidé ce rapprochement, l'Irak avait inscrit un chapitre entier chaque année durant la guerre d'indépendance algérienne dans sa loi de finances sous forme d'aides financières à l'ALN. Bagdad faisait partie du club très fermé des pays qui avaient cru dans les dirigeants du FLN historique et finançait des achats d'armes pour l'armée algérienne. Boumaza avait d'ailleurs rencontré Saddam, en février 1991 à Bagdad, lors du déclenchement de la première guerre du Golfe, en tant qu'émissaire de Chadli Bendjedid, pour convaincre l'ancien “raïs” irakien de se retirer du Koweït. Ses liens historiques, portés également par l'ancien président Ahmed Ben Bella, grand admirateur du Baâth irakien, n'allaient pas se distendre au plus fort de l'embargo contre l'Irak. Des avions d'Air Algérie violaient allègrement l'embargo international emmenant médecins, politiques, patrons et médicaments aux enfants irakiens durant 9 ans. Un assassinat de diplomates algérien troublant Mais depuis mai 2003 et la seconde guerre du Golfe, Alger a rompu ses liens avec le nouvel Irak, prôné par les Américains. L'ambassade d'Algérie à Bagdad a été réduite à peau de chagrin, maintenant des diplomates qui n'allaient pas tarder à être pris pour cible. Les “affaires irakiennes” sont suivies depuis l'ambassade d'Algérie à Amman en Jordanie. Longtemps, dans les milieux diplomatiques algériens, on avait considéré que l'enlèvement et l'assassinat des deux diplomates, Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi, ne répondaient à aucune logique. L'enlèvement était signé Al-Qaïda mais Alger a trouvé choquant le niveau de sécurité dérisoire mis à leur disposition par le gouvernement irakien de transition ainsi que les pesanteurs liées à l'enquête pour retrouver les deux diplomates. Des relations en peau de chagrin Cet épisode tragique a fini par achever, quasi définitivement, les néo-relations algéro-irakiennes. Depuis cette date, aucun contact officiel n'a été établi avec le gouvernement irakien actuel qui est évité soigneusement lors des rendez-vous internationaux. D'ailleurs, le président Bouteflika ne rate pas une occasion pour reprendre le leitmotiv sur le dossier irakien comme lors d'un récent discours : “Il est indispensable et urgent de mettre fin à la présence des troupes étrangères dans ce pays et de permettre au peuple irakien de disposer librement de son destin. Nous appelons également les Irakiens à mettre fin à leurs différends et à leurs luttes intestines qui ne peuvent que favoriser la crise dans laquelle ils sont plongés et faire durer l'occupation étrangère qui pèse sur leur pays.” Reste qu'une position trop radicale avec un Irak contrôlé par des chiites apparemment fanatiques à un aussi haut niveau de la responsabilité n'est pas à même d'aider l'administration Bush embourbée dans la région. C'est dans cet équilibre que se tient la position algérienne qui, dans la réalité quotidienne, n'a plus de relations tangibles avec l'Irak d'Al-Maliki. Avec l'odieuse manière d'exécuter Saddam Hussein, Bagdad vient de signer la mort de relations bilatérales. À La Havane, lors du 16e Sommet non-alignés, Bouteflika avait, dit-on, adopté, à contre-cœur, la déclaration de soutien au plan de réconciliation de Nouri Al-Maliki qui devait renforcer “l'unité nationale” irakienne. Mounir B.