Programmes dépassés, surpopulation, profs inexpérimentés… L'institut de journalisme d'Alger est-il devenu une filière poubelle ? Alors qu'une nouvelle école doit ouvrir à la rentrée prochaine, El Watan Vendredi a enquêté dans les couloirs d'une institution devenue, de l'avis de certains professionnels, un alibi démocratique. « La faculté forme n'importe quoi, tout sauf des journalistes », dénonce Brahim Brahimi, professeur dudit département (ex-ISIC, à Ben Aknoun, Alger) affilié à la faculté des sciences politiques et de l'information. Enseignants manquant de motivation, étudiants désabusés qui regrettent leur choix de filière au bout de quelques mois seulement de cursus et un programme éparpillé et jugé archaïque par l'ensemble de la communauté universitaire. C'est ce à quoi se résume le département des sciences de la communication et de l'information, censé former des spécialistes en communication et surtout ce qui fait rêver les jeunes bacheliers, des futurs journalistes. « Ce n'est pas une formation en journalisme, elle n'est pas spécialisée, en plus du monolinguisme (langue arabe) imposant aux étudiants une seule langue, alors que le champ médiatique existe dans au moins deux langues », poursuit M. Brahimi. « Face à cette situation, nous avons proposé la création d'une école de journalisme et sciences de l'information comme c'était le cas de 1964 à 1970, basée sur l'enseignement pratique. Mais aujourd'hui, l'étudiant apprend plus de théorie qu'autre chose, alors que le journalisme est surtout une formation pratique qui lui permet d'être capable d'exercer ce métier et affronter ses aléas dès sa sortie de la faculté. » Le programme actuel comporte des cours datant des années 1980 et 1990, sans avoir été modifié en profondeur pour être adapté aux mutations mondiales et les besoins du marché d'emploi algérien. « Le programme doit être actualisé et spécialisé, car en ce moment, on s'intéresse à des choses futiles, et surtout axées sur des généralités. Ce qui est le plus important c'est la formation journalistique elle-même », précise le professeur. Il cite une expérience intéressante d'il y a quelques années : « A Blida, nous avons formé deux promotions de journalistes scientifiques, cela a donné une vingtaine de spécialistes, c'est une expérience qui a mal tourné parce que la rectrice, qui a été l'initiatrice de ce projet, a été écartée du rectorat. Nous avions travaillé avec des gens passionnants et riches en connaissance, comme le professeur Ahmed Djabbar et Bernard Maitte qui dirigeaient l'Ecole de journalisme de Lille. Et là, même si on voudrait reproduire le même schéma, on a de gros risques de ne pas trouver des formateurs. Les enseignants venus de Lille ne sont toujours pas payés jusqu'à présent. Je ne pense pas qu'ils accepteront de revenir pour travailler dans de telles conditions. » De son côté, Ahmed Hamdi, le doyen de la faculté des sciences politiques et de l'information, nuance : « Certes, le programme destiné à la filière des sciences de l'information et de la communication comprend plus de théorie que de pratique, mais nous comptons sur les différents organes de presse pour assurer la formation pratique. » Un manque terrible d'ouvrages à la bibliothèque, conditions de travail lamentables, pire encore dans ce département d'information, il est rare de tomber sur un journal. « Nous n'y avons pas pensé puis, actuellement, tous les quotidiens et revues sont consultables sur un support électronique que l'étudiant peut consulter à n'importe quel moment. Et puis le nombre d'étudiants est multiplié par cent par rapport à la capacité de la faculté », se défend le doyen. Y a-t-il des postes ordinateurs avec connexion, un fil d'agences de presse, un journal d'étudiants ou autres besoins élémentaires d'un étudiant en journalisme ? Non. Le doyen le justifie par le manque de moyens. Et après le diplôme ? A la question de savoir pourquoi peu de diplômés de ce département parviennent à décrocher un emploi dans les entreprises de presse, le doyen n'hésite pas : « La plupart des rédacteurs en chef dans notre pays sont jaloux des sortants de notre faculté, car la plupart ne sont pas journalistes de formation et ils craignent d'être dépassés par nos étudiant. » Difficile à croire lorsque l'on se réfère à la réalité : plus des trois quarts des promotions des dernières années n'exercent pas le métier de journaliste. « Je reçois souvent des candidats pour le poste de journaliste, témoigne Mehdi Berached, rédacteur en chef du quotidien El Yaoum, mais je dois dire que ceux-là ont un piètre niveau qui ne leur permet même pas d'être en deuxième année. Du coup, nous sommes obligés de les former comme s'ils n'avaient jamais fait d'études universitaires. » Et d'expliquer : « Cette problématique se pose sur deux points : l'absence de bases journalistiques et même de positionnement critique. L'université algérienne apprend à ses étudiants à ne pas réfléchir. Je suis scandalisé de constater qu'un licencié de la faculté de l'information ne maîtrise pas plus d'une langue pour ne pas dire aucune, ainsi que le matériel informatique », ajoute-t-il. « Il n y a pas de problèmes d'emploi, il y a une fuite de jeunes du journalisme vu la précarité de la situation des journalistes et du statu quo du statut du journaliste, explique pour sa part Brahim Brahimi, et même parmi ceux qui exercent, la majorité qui choisit la presse écrite n'a pas le niveau requis. Quant à ceux qui se spécialisent dans l'audiovisuel, ils se trouvent au chômage, car on a un secteur audiovisuel public miné par le piston. D'ailleurs, ce ne sont pas les meilleurs qui travaillent à la télévision et la radio. » Et le niveau des enseignants ? Du côté des enseignants et professeurs, la défaillance est criante vu la qualité des cours et la méthode de travail qui consiste à dicter des fiches qui n'ont pas été actualisées depuis des années. Autre problème : des sujets d'examens inadaptés à l'évolution des médias dans le monde, ce qui contraint l'étudiant à apprendre par cœur sans pour autant prendre l'initiative de commenter où de chercher l'information comme un véritable futur journaliste. « Il y a des enseignants qui ont un magistère mais n'ont jamais travaillé dans un journal. Plus grave encore, d'autres, et le nombre est assez important, n'ont même pas eu leur baccalauréat et sont rentrés à l'université par dérogation. C'est ce qui fait que le niveau est très faible », dénonce M. Brahimi. « Quand on a des doyens et des recteurs qui ne sont plus responsables, ils n'ont pas les compétences requises pour diriger des universités, surtout l'université des sciences sociales d'Alger qui connaît des blocages terribles. Il n y a pas de volonté politique pour affronter tous les blocages liés au système politique en général », déclare-t-il. Nouvelles réformes ? Des efforts ont été consentis pour pallier ces déficits. « Il y a eu le système LMD (licence, master, doctorat) lancé d'une façon boiteuse, car fait dans la précipitation. Les formateurs ne sont pas nombreux mais les profs n'ont pas été formés pour ça. Même le programme de troisième année du LMD, à savoir l'année prochaine, n'a pas encore été élaboré », précise M. Brahimi. Une école supérieure de journalisme devra être opérationnelle dès octobre 2009, avec un nouveau programme contenant des filières spécialisées. Le programme n'a pas encore été approuvé et l'école devrait être opérationnelle à partir du mois d'octobre prochain. Avec les mêmes enseignants ? Brahim Brahimi tranche : « Je vois mal un enseignant non bachelier enseigner ce programme. » Quelques chiffres - 8108 étudiants du département occupent des espaces pédagogiques prévus pour 630 places. 1400 étudiants par amphithéâtre pour une capacité de 150. Seulement 7 modules sont destinés à la presse écrite et 6 à l'audiovisuel sur 66 modules 2491 étudiants sont en quatrième année cette année. On compte 55 à 60 étudiants par groupe pour une capacité d'accueil en salle de 25 à 30.