Trois longs métrages de fiction ont été projetés au public à la salle El Mougar. Mal Watni, premier long métrage de Fatima Belhadj. Chacun sa vie de Ali Ghanem et Ayrouwen de Brahim Tsaki. Trois productions en une semaine! De quoi concurrencer l'Inde (cette semaine seulement bien entendu) au plan de la quantité de production. C'est même inquiétant de voir plus de films que de salles dans ce pays des paradoxes. Et cela sans parler des documentaires réalisés en vidéo et projetés à la salle Ibn Zeydoun, ni des dizaines de courts métrage montrés sous la kheima de Taghit, ni des autres longs métrages projetés sur un écran loué en Europe et installé à l'hôtel Sheraton, cet été, à Oran. Ali Ghanem continue sa saga de «l'homme émigré». Il faut rappeler qu'il a été l'initiateur du cinéma de l'émigration dés 1970 avec le sobre Mektoub qui raconte l'exil à cause du chômage et le débarquement, en célibataire, dans le fameux bidonville de Nanterre. Rachid de L'autre France, réalisé en 1974, est près de la retraite dans Chacun sa vie et est toujours interprété par Ahmed Taybi. L'autre France, dont des images illustre en flash-back, le propos de Rachid à son fils qui ne veut pas le suivre en Algérie, c'était la France de la pointeuse des usines et de l'amour à la sauvette dans la voiture de la professionnelle garée pas loin de l'usine. Aujourd'hui, Rachid, comme son réalisateur, est moins costaud et semble fatigué. Son boulot, c'est de mettre les cadavres dans les tiroirs dans la morgue d'un hôpital de banlieue. Ses «clients» lui donne le cafard. La mort de son ami a fini par le décider à rentrer au bled comme les oiseaux qui se cachent pour mourir. Rachid prévoyant avait construit une baraque et avait même planté des arbres afin de vieillir paisiblement au soleil. Mais sa femme lui signifie qu'elle ne peut pas laisser ses enfants. Sa fille divorcée (à cause de lui parce qu'il l'a mariée à un cousin qu'elle connaissait peu) finit par s'émanciper à Marseille. La benjamine n'entend pas abandonner ses études de piano, et son fils ses copains de quartiers avec qui il vend des téléphones portables au bas de l'immeuble tout en parlant Islam avec ses amis rappeurs. Rachid ne croit pas ses oreilles quant sa progéniture lui rappelle qu'elle est française malgré leurs têtes de reubeu. Il a beau leur dire — et nous montrer-— L'autre France. Rien. Un jour, il essaye même d'utiliser la force en emmenant un agent immobilier pour vendre l'appartement. Il n'a pas réussi à convaincre ma famille ni nous d'ailleurs… Il finit par faire des concessions et la sœur de son ami mort, interprété par Bahia Rachedi, lui trouve le deal idéal : six mois ici, six mois là-bas. La mise en scène a toutes les caractéristiques des films de Ali Ghanem. Choix d'acteurs non professionnels. Utilisation des décors documentaires pour une structure romancée dans le but d'atteindre le réalisme. Mais le naturel n'est pas le réalisme et ce dernier ne s'obtint qu'avec un travail de mise en scène pointue. Même naïf, comme tous les films de Ali Ghanem, Chacun sa vie aurait pu être sobre et éviter le pire sans cette musique de supermarché collée de force. Les doublages scolaires et administratifs ont fini par tuer la crédibilité de l'histoire. Pourquoi on double les beurs (qui parlent français dans le tournage) et on ne double pas les Français ? C'est que Ali Ghanem n'a aucune distance avec son personnage Rachid et il pense comme lui, que même Français, les «beurs» devraient parler arabe même au risque de tuer un film. Est-ce qu'un cinéaste progresse par rapport à son premier film ? Eric Rohmer répond par la négative. Au mieux, on égal son premier film, sinon, on le refait plusieurs fois. Godard, avec le temps, est devenu plus mature mais jamais plus intelligent et surtout plus créatif que le Godard d'À bout de souffle. Brahim Tsaki n'a pas pu égaler Histoire d'une rencontre, et Les enfants de Djanet jouent les mêmes jeux que ceux des Enfants du vent. La société Machaho (il était une fois en tamazight) a produit Ayrouwen (il était une fois en tamasheq) mais le conte n'était pas au rendez-vous. Tout simplement, parce qu'il manquait un conteur auquel on s'identifie et qui nous fait participer avec lui par l'écoute. Le film se veut hypnotique par ses décors naturels grandioses. Paradoxalement, ces décors tiennent le spectateur à distance, comme les peintures tiennent à distance, respectable, les visiteurs dans un musée. Le film est une histoire de parallèles. Parallèle entre l'amour spirituel de Amayas avec Mina et l'amour physique entre Amayas et Claude. Parallèle entre le départ d'Amayas en Europe et le refus du père de Claude de quitter le désert afin de trouver l'eau. Parallèle entre la musique électronique de Safy Boutella et la voix incroyable de cette chanteuse non créditée dans le dossier de presse et qui ferme le film. Entre le nord et le sud. L'eau et les produit chimiques mortels, etc. A la fin, cela fait beaucoup de parallèles qui produisent un écartement difficile pour le spectateur. Reste Djanet. La caméra algérienne n'a jamais filmé une fiction assez loin. Rien que pour cela, le film mérite d'être vu. Et surtout, Ayrouwen a le mérite de nous faire écouter le tamasheq en espérant qu'il soit vu dans une nouvelle salle qui serait construite à Djanet.