Le concept d'Intelligence Economique (IE) a reçu une grande attention depuis quelques années de la part de différents acteurs des sphères politique, économique et académique en Algérie. Ces acteurs, qui cherchent à se positionner sur un marché porteur, ont des motivations diverses qui ne vont pas forcément dans le sens de l'intérêt de la Nation. Voila un premier élément d'explication au constat suivant : beaucoup de bruit autour du concept et très peu d'actions concrètes menées. Sans prétendre faire un état des lieux de l'IE en Algérie, nous pouvons développer notre constat à deux niveaux d'analyse : “Au niveau du leadership politique, le gouvernement n'a pas réussi à dégager un plan d'action pour répondre aux prérogatives qui sont les siennes dans ce domaine et rattraper le retard accusé par notre pays en la matière. Le document issu des assises sur la nouvelle stratégie industrielle du pays, qui met l'accent sur le rôle de l'IE, en reste aux vœux pieux et à une série de recommandations vagues. Quant au conseil des ministres consacré à l'IE, il s'est avéré être le meilleur moyen d'expédier le débat sur cette question (le dossier de l'IE rejoint ainsi celui de la réforme de l'Etat, de l'Education…) ; ” Au niveau des entreprises, le concept n'a pas suscité d'actions concrètes et les rares tentatives de mise en place de cellules d'IE et de veille stratégique ont été abandonnées pour des raisons que nous discuterons plus loin. Cet article se propose de donner quelques éclairages sur les conditions de mise en œuvre des stratégies, démarches et outils d'IE à la lumière de l'expérience algérienne et internationale. Au niveau de l'Etat. La nécessité d'une action de l'Etat se justifie par les éléments suivants : “Le poids du secteur public dans l'économie nationale ; “L'importance de ses structures dans ce domaine (appareil statistique, ambassades, chambres de commerce…) ; “Son rôle dans la définition des axes prioritaires de développement et par conséquent des actions prioritaires d'IE ; “Ses pouvoirs régaliens. Cette action, si elle est nécessaire, doit, néanmoins, éviter deux écueils : le premier, en relation avec le désengagement total de l'Etat de la sphère économique, entrepris depuis le début des années quatre vingt dix sous l'impulsion (ou le prétexte) de l'ajustement structurel, le second consiste en un retour à l'assistanat ou à une substitution de l'Etat aux entreprise dans leur rôle dans ce domaine. L'une des priorités actuelles est de faire un état des lieux de l'IE en Algérie. Cette action doit poursuivre les objectifs suivants : “évaluer les besoins réels ; “mobiliser les acteurs concernés ; “faire émerger des propositions constructives ; “définir les actions prioritaires. La production d'un rapport ne devra pas être une fin en soi, c'est le processus d'évaluation qui est important dans la mesure où : “il mobilise les différents acteurs ; “il donne un signal fort de l'engagement de l'Etat ; “il explicite les orientations stratégiques et crée une vision claire ; “il forme (au double sens d'apprentissage et de création) le premier noyau de responsables ; “il stabilise la terminologie du domaine. “Etc. Création d'un organe central. Rattaché directement au chef du gouvernement ou à la présidence de la république, il dispose de représentants dans les ministères importants (Finances, Participation et Promotion des Investissements, PME et Artisanat, Commerce, Affaires Etrangères…) et les autres organismes concernés (DRS, INESG, Douanes, CNIS, ONS, CNES, ANDI, CACI, CAGEX, ALGEX, FGAR, ,…) et en concertation avec les entreprises (FCE, associations professionnelles,…). Il sera chargé : “d'élaborer, à la lumière des exigences mouvantes de l'économie mondiale, des outils, des méthodes, des analyses, des scénarios dans les domaines jugés prioritaires de la gouvernance et du développement durable ; “d'organiser et d'animer des conférences périodiques de haut niveau sur les questions économiques nationales et internationales d'actualité ; “d'organiser des séminaires de perfectionnement et des ateliers à l'effet de sensibiliser les cadres de tous les secteurs sur les questions managériales, d'IE et de prospective ; “de mener des études stratégiques au service du leadership national ; “d'analyser les rapports et /ou études élaborés par d'autres organismes nationaux ou internationaux et en faire périodiquement des synthèses pour les pouvoirs publics ; “d'élaborer une base de données sur les grandes entreprises, les entreprises globalisées et leurs actions dans le monde et en Algérie pour disposer d'un outil d'aide à la décision en matière de contrôle des investissements étrangers, de politique d'influence et de contre influence. L'action de l'Etat au niveau national doit se décliner au niveau régional. Le choix d'une unité géographique n'est pas facile à faire : par wilayas, cela n'offre pas de visibilité suffisante et ne permet pas d'atteindre une taille critique pour mutualiser les outils et les initiatives, par régions (Est, Centre, Ouest et Sud), cela ne fait pas émerger les caractéristiques et les avantages compétitifs qui existent en leur sein. Dans cette perspective, la création de pôles de compétitivité et d'excellence devient primordiale, une stratégie ainsi qu'une démarche d'IE deviennent déterminants dans leur création et dans l'optimisation de leur rôle. Les objectifs que doit se fixer une politique d'IE au niveau des pôles de compétitivité sont : “valoriser les pôles de compétitivité et les rendre plus attractifs grâce à une stratégie d'influence ; “définir les projets stratégiques et coordonner leur mise en œuvre ; “saisir les opportunités et anticiper les risques liés aux mutations dans l'environnement de chaque pôle. Les actions concrètes à ce niveau peuvent être : “l'utilisation d'outils communs ; “la création de base de données commune ; “la collaboration en R&D ; “la collaboration en matière de réponse aux appels d'offres et en étude de marchés ; “l'attraction des meilleures compétences en relation avec l'activité du pôle. Dans ce cadre, le rôle des universités est central puisqu'elles constituent le noyau pourvoyeur en compétences et en connaissances. Elles doivent travailler en étroite collaboration avec les entreprises de la région sur des axes prioritaires dans un partenariat gagnant gagnant (il va de soi que cette question est centrale et mérite d'être approfondie). Au niveau des entreprises. La mise en œuvre des démarches d'IE en entreprise est un processus complexe qui doit aboutir à un changement culturel important. La conduite d'une telle démarche doit se faire selon le corpus de connaissances du management de projet et du changement. Dans de nombreuses entreprises, cette mise en œuvre a été subie plutôt que conduite. Réalisés souvent dans l'urgence, ces démarches répondent à des objectifs immédiats et locaux. La cohérence interne des initiatives et leur adéquation avec la stratégie de l'entreprise sont rarement prises en compte. Ces deux phénomènes sont exacerbés par la pression de l'offre technologique et sa diversité qui ont poussé les entreprises à opter pour la dernière offre mise sur le marché. Sans discuter de la conduite de cette démarche, nous citons dans ce qui suit les conditions minimales à réunir pour leur réussite. “Aligner la stratégie en matière d'IE sur la stratégie de l'entreprise. Cette stratégie doit être comprise par tous les salariés qui doivent comprendre aussi leurs rôles individuellement dans sa réalisation, car l'IE n'est pas une collecte d'informations quelconques mais plutôt une démarche qui tend à servir les objectifs de l'entreprise ; “Privilégier les petits projets de percée qui vont dans le sens de la stratégie. En démontrant des bénéfices réels, ces projets suscitent l'adhésion des autres salariés et surtout de la direction, ils permettent aussi d'appréhender les difficultés de mise en œuvre et instaurent une vraie culture de l'IE dans l'entreprise ; “Commencer par de petits groupes de personnes très motivées et enthousiastes. Ce qui fait la réussite d'un projet, ce n'est pas l'idée, mais les personnes. Typiquement ces personnes doivent avoir les qualités suivantes : grande curiosité intellectuelle, capacité à travailler en équipe pluridisciplinaire et en mode projet, grande capacité de communication, excellente capacité rédactionnelle et de synthèse, dynamisme, réactivité, créativité, originalité et non conformisme ; “Faire évoluer la politique des ressources humaines en fonction des exigences de la culture de l'IE. En reconnaissant les métiers de l'IE dans la nomenclature de l'entreprise, en adoptant un système de rémunération qui valorise les compétences et le partage des connaissances et en reconnaissant les initiatives innovantes et créatrices ; “Réorganiser la structure de l'entreprise en décloisonnant les fonctions et en réduisant les niveaux hiérarchiques. Le but recherché est une meilleure diffusion de l'information et une meilleure communication entre les salariés pour augmenter l'intelligibilité des problèmes en offrant des points de vue différents. Une structure d'IE doit être rattachée directement à la direction avec des représentants dans chaque département ; “Consacrer du temps, des moyens et un budget à l'IE ; “Former sur les nouvelles pratiques et les nouveaux outils. Aucune appropriation des méthodes et outils de l'IE ne peut se faire sans une solide formation à laquelle il faut consacrer suffisamment de temps et d'argent. Sans ces quelques conditions, toute démarche d'IE ressemblera à un greffon incompatible avec son hôte. On ne peut pas introduire des pratiques et de outils qui exigent une grande ouverture à l'information, un travail en équipe et une traçabilité sans faille dans des entreprises qui cultivent le secret, l'individualisme et la culture orale. Nous terminerons par deux notes. La première, sur l'approche techniciste prônée par certains fournisseurs de solutions informatiques. Bien que la pratique de l'IE ne soit pas possible à grande échelle sans outils informatiques, en achetant des logiciels très coûteux, dont le besoin ne correspond souvent pas à la demande de l'entreprise, la démarche d'IE se transforme en gouffre financier et en une tâche supplémentaire à effectuer. Loin de créer la culture de l'IE recherchée, ces outils sont souvent le chemin le plus court vers l'échec. La seconde remarque concerne la formation. Il est très souhaitable actuellement qu'il y ait des séminaires de formation sur les pratique et les outils d'IE ainsi qu'un diplôme professionnel de troisième cycle à l'adresse de gens porteurs d'un réel projet professionnel pour leurs entreprises et qui présentent les qualités comportementales requises pour les métiers de l'IE. Les auteurs sont Ph.D, Expert Consultant International et Consultant