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Les moteurs cachés de l'économie d'un pays
Publié dans El Watan le 29 - 01 - 2008

Il peut être décrit comme étant la poursuite d'objectifs matériels individuels ou de groupe, par tous les moyens disponibles, mais en restant à l'intérieur de règles établies. Cependant, malgré la simplicité de cet énoncé, la multitude d'interactions qui prennent place entre les acteurs, avertis ou non, crée des situations d'une complexité telles que les relations de cause à effet deviennent obscures. Face à une telle complexité, on a historiquement tenté de construire des systèmes de gestion et de coordination qui reflétaient celle-ci. Ainsi, à titre d'exemple, les socialistes soviétiques ont construit des plans de gestion considérables qui, finalement, ont généré justement ce qu'on ne souhaitait pas, la démobilisation des acteurs. C'est comme ça que le système de planification à la soviétique a englouti le rêve socialiste. Dans le monde capitaliste, il y a eu une approche de gestion plus modeste.
D'abord, il y avait l'acceptation de l'idée du marché qui peut, en gros, être ramenée à l'idée qu'en situation de complexité, lorsque chacun défend ses intérêts dans un jeu où les règles sont claires, on obtient une bonne coordination globale de l'activité économique, en tout cas meilleure que lorsqu'on tente de faire de la coordination centralisée. Ensuite, pour éviter que le marché ne dérape sous l'influence des acteurs les plus inquiets ou les plus agressifs, on entreprend une planification minimale dont l'objet est seulement de stabiliser le jeu en donnant plus d'informations aux acteurs et éviter des comportements sauvages liés à l'incertitude. Généralement, cette planification prend la forme d'études et de prévisions économiques, souvent réalisées par les universités et par un conseil d'économistes financé par l'Etat.
Un Gouvernement… gestionnaire du jeu
Dans ce jeu où les règles sont établies, le gouvernement peut alors se comporter comme un acteur dont la mission est de maintenir l'intégrité du jeu. Il devient de fait une sorte de gestionnaire du jeu. C'est là que la compréhension du fonctionnement des organisations complexes devient très importante pour ne pas faire d'erreur. Si le jeu était simple, les relations de cause à effet seraient connues et nous aurions une gestion simple, qui permet au gestionnaire une intrusion judicieuse dans le fonctionnement du jeu. Par exemple, le schéma soviétique de gestion de l'économie par le plan a remarquablement réussi tant que l'Union soviétique se comportait comme un système simple où la convergence des efforts était facile et compréhensible pour les dirigeants. Lorsque le jeu devient complexe, les relations de cause à effet sont obscures. En particulier, lorsque le comportement des acteurs devient imprévisible et que ce comportement lui-même crée un contexte et des situations nouvelles pour tous les autres, le gouvernement est obligé de procéder par petites touches, par approximations successives pour éviter que l'économie ne dérape. Pour faire cela, il a besoin d'informations et d'outils. En situation de complexité, l'information est forcément imparfaite, constamment remise en cause, et les outils sont aussi imparfaits avec des effets eux-mêmes inconnus ou très approximatifs. Alors, la gestion de l'économie devient une expérimentation permanente. Dans cette expérimentation, travailler à générer l'information sur le fonctionnement de l'économie est une action centrale.
Les statistiques, les prévisions des économistes et les analyses qui en sont faites sont des intrants essentiels. Parmi les multiples outils que l'Etat moderne utilise pour faire cette gestion au mieux, il y a la gestion de la fiscalité, la gestion financière et la réglementation. Le ministère des Finances gère généralement la fiscalité, la Banque centrale gère les aspects financiers, notamment les quantités d'argent en circulation et le taux d'intérêt, et tous les deux ainsi que de nombreux autres ministères introduisent les règlements dans leur domaine d'expertise. Comme beaucoup d'organisations contribuent à la gestion par l'Etat, il est nécessaire de coordonner le tout et cela doit normalement être fait par le bureau du Premier ministre.
Prenons comme exemple la promotion de l'investissement, notamment de l'investissement direct étranger. Cette promotion est un facteur essentiel de dynamisation de l'économie. En effet, les investisseurs sont à la recherche de situations de profit et, lorsque les règles sont claires, ils apportent dans cette recherche de l'argent, de la créativité, de l'innovation et de la technologie. Dans des situations de marchés ouverts, ils apportent aussi des regards et des liens multiples avec les marchés pertinents, locaux ou étrangers. Il est donc essentiel pour une économie nationale de faire en sorte que ces investisseurs continuent à jouer leur rôle. Maintenant, comment les investisseurs engagent-ils leurs capacités dans la bataille économique ?
Pour répondre à cette question, on peut revenir à la métaphore du jeu. Pour eux, investir est comme un jeu, où l'enjeu est la réussite, économique. Dans ce jeu, pour réussir on est obligé de mettre ses ressources à risque. Il n'est pas nécessaire de développer des théories savantes pour comprendre que celui qui met ses ressources à risque ne va le faire que si les chances de réussite lui paraissent satisfaisantes. Oublions pour l'instant le risque qui est lié à l'objet d'investissement lui-même et concentrons-nous, pour un instant, sur le contexte de l'investissement, autrement dit, sur les règles du jeu. Avant même de décider «si le jeu en vaut la chandelle», l'investisseur porte un jugement sur les règles du jeu. Si elles ne lui paraissent pas claires et justes ou si elles ne sont pas stables, par exemple avec des changements fréquents, il n'ira pas plus loin. Il ne commettra pas ses ressources. Si les règles du jeu sont stables, justes et claires, alors, il va juger son projet d'investissement, comme il le ferait n'importe où, sur ses mérites et risques économiques. Dans cette dernière étape, le gouvernement peut aussi agir pour rendre les mérites d'un tel projet suffisamment attirants pour que l'investisseur accepte de se commettre.
Reprenons maintenant ces conditions de base pour la promotion de l'investissement :
– 1- des règles du jeu claires, justes et stables ;
– 2- une valeur économique des projets qui justifie le risque.
Dans toutes les études qui ont été faites jusqu'ici par la Banque mondiale, le PNUD et par des multitudes d'institutions et d'universités qui s'intéressent au développement de l'investissement, il apparaît que certaines règles sont considérées comme essentielles pour des jeux clairs, justes et stables :
– 1- La clarté des droits de propriété ;
– 2- le système judiciaire ;
– 3- le fonctionnement des services de l'Etat, qui encadrent l'investissement.
La propriété est un fondement du marché libre. On ne peut s'engager dans une transaction que pour des biens dont on a la propriété. Il faut donc que les règles de propriété soient très bien balisées. L'agriculture chinoise n'a vraiment décollé que lorsque les paysans ont reçu un titre de propriété sur leurs terres. Même s'ils ne pouvaient pas transiger leur terre avant un délai déterminé (60 ans), ils avaient la certitude que, malgré tout, ils en avaient l'usage et l'usufruit. Cette question de propriété est aussi importante pour l'industrie et pour les services, et conditionne l'innovation industrielle. La propriété est pour l'essentiel un droit qui est protégé par l'Etat. Si ce droit n'est pas garanti, l'investisseur moderne refusera de se commettre et se dirigera vers les opportunités d'investissement où ce droit existe. Donc, les pays sont, dans ce cas-là, tous en concurrence les uns avec les autres. Ceux qui ne garantissent pas le droit de propriété et qui, donc, ne protègent pas la propriété, rendent les transactions difficiles et s'affaiblissent par rapport aux autres.
Eléments de base
Le droit de propriété, par exemple sur une technologie donnée, lorsqu'il est garanti, peut alors se transiger entre les acteurs. Une entreprise peut vendre ce droit à une autre. Cependant, dans cette transaction se présentent toujours de nombreux conflits. D'abord, il arrive que des concurrents volent le contenu de la technologie et l'utilisent sans payer de droit, un peu comme quelqu'un qui occuperait votre maison sans payer de loyer. Il peut arriver aussi que les conditions de la transaction soient remises en cause de manière non conforme aux règles, etc. Dans tous ces cas, on a besoin d'un arbitrage juste. C'est là que la justice entre en jeu. Les investisseurs et les acteurs économiques en général ne peuvent fonctionner sans un système judiciaire compétent et neutre. Si le système est corrompu ou s'il est trop sensible aux influences politiques, alors l'ensemble de la construction s'écroule. Ce n'est que lorsque ces éléments sont au point que l'investisseur peut alors se tourner vers les mérites économiques du projet envisagé. Ces mérites correspondent, bien entendu aux opportunités «naturelles» que présente le pays ou la région, comme par exemple la disponibilité d'une main-d'œuvre de qualité à des prix compétitifs, la disponibilité à des conditions favorables d'énergie ou de matière première, l'existence d'un marché dynamique, etc. Mais ces mérites peuvent être bonifiés par l'action fiscale ou financière du gouvernement. Ainsi, le gouvernement peut offrir des facilités – subventions, conditions fiscales favorables, facilités de financement, etc. – pour rendre l'investissement attirant et provoquer, donc, la décision d'investir.
La gestion financière joue dans ce cadre-là un rôle central. En particulier, la gestion des flux financiers nationaux, et leurs interactions avec les flux internationaux sont des facteurs d'influence majeurs qui doivent être gérés par une Banque centrale supérieurement organisée et constituée d'experts de talent, comprenant les grands enjeux nationaux. Ainsi, il est clair que la Banque centrale de Malaisie ait joué un rôle décisif dans la réussite économique de ce pays. Dans ce domaine-là, les gouvernements font preuve de beaucoup de créativité. Mais il faut se rappeler que les autres gouvernements et l'OMC veillent à ce que cette créativité mène à des comportements conformes aux règles internationales établies, pour éviter une concurrence sauvage entre nations. Plus subtiles et plus efficaces, selon les études réalisées, sont la qualité et la pertinence des services administratifs fournis par les gouvernements. L'investisseur est très sensible à la facilité avec laquelle il peut se mouvoir dans un environnement donné. Cette facilité a une valeur pratique souvent plus grande que les subventions et les autres facilités. Il est donc essentiel de travailler sur le système administratif dans son ensemble pour qu'il ne constitue pas une barrière à l'action, mais qu'il puisse fournir des services de qualité qui simplifient la décision et la réalisation de l'investissement.
Gérer l'économie d'un pays complexe comme l'Algérie passe par les mêmes chemins. Il faut créer un environnement favorable à des décisions d'investissement prises par une multitude d'acteurs qui sont libres de leurs choix. Pour faire cela, dans cette discussion simplifiée, nous avons suggéré les actions prioritaires suivantes :
– 1- clarifier le système de propriété, notamment garantir la possession d'un bien et le droit de le transiger librement ;
– 2- consolider le système judiciaire pour régler les conflits, notamment en matière de transaction sur les droits de propriété ;
– 3- construire une Banque centrale de qualité ;
– 4- construire un système d'information économique et financière de qualité (Conseil économique, statistiques, etc.) ;
– 5- travailler à l'accroissement de la qualité des services publics et notamment, dans un premier temps, de ceux qui facilitent la tâche aux investisseurs. La construction de l'économie d'un pays n'est pas détachée de tout le reste, notamment des préoccupations sociopolitiques qui sont liées au développement de l'économie. Ce texte n'est donc qu'une deuxième pierre dans la réflexion que nous proposons dans cette rubrique. Dans le prochain texte, pour rester au niveau des éléments fondamentaux, nous commencerons à disséquer la prise de décision dans les systèmes complexes qui font le fonctionnement des nations en prenant quelques exemples de pays qui ont particulièrement bien réussi récemment.
L'auteur est professeur titulaire de stratégie des organisations à l'Ecole des hautes études commerciales de Montréal (HEC)-Ingénieur en génie chimique, maîtrise en management de la Sloan School at MIT,
Cambridge, doctorat en administration des entreprises de la Harvard Business School


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