Par Ta�eb Hafsi Les bases th�oriques du fonctionnement du march� Dans une soci�t� complexe, comme l�est devenue l�Alg�rie, la th�orie moderne contractualiste explique les comportements. Cette th�orie part du principe que l�individu est : (1) autonome, c'est-�-dire qu�il n�est ni programm� ni contraint pour agir, mais m� par des d�sirs, des besoins, une utilit�, plut�t que par l�appartenance � un groupe �conomique, social ou religieux ; (2) il est rationnel. Cette hypoth�se s�oppose aux modes archa�ques de rationalisation : code de l�honneur, devoir aristocratique, �litisme racial, etc., et affirme une capacit� uniforme de penser, de calculer et de d�cider ; (3) l�individu est inform�. En laissant faire des acteurs autonomes, rationnels et inform�s, la meilleure coordination possible est assur�e par le march�. Cependant, comment cela se fait-il ? Cela est expliqu� par trois constructions conceptuelles qui constituent la th�orie contractualiste : la th�orie des droits de propri�t�, la th�orie des co�ts de transaction et la th�orie de l�agence. Les limites de l�autonomie : les droits de propri�t� Pour donner corps � l�axiome d�autonomie, il fallait trouver un m�canisme qui permette de sauvegarder la libert�, � l�origine d�une �dynamique �conomique favorable � tous�, tout en se prot�geant des exc�s, notamment du gaspillage, que pourraient g�n�rer des d�sirs individuels d�brid�s. C�est ce que permettent les droits de propri�t�. Quand on parle de propri�t�, on parle d�abord de ce qui nous appartient en g�n�ral, propertyen anglais, ou des biens sp�cifiques sur lesquels on a un droit reconnu, ownershipen anglais. Pour les �tres humains, le droit de propri�t�, property right, comprend �leurs vies, leurs libert�s, leurs biens�. Le droit de propri�t� est essentiel parce qu�il permet de contraindre les d�sirs de chacun � ce qui lui appartient en propre. Il est le fondement de l�accord social et, par extension, des comportements �civilis�s �. En fait, c�est seulement � partir de la deuxi�me moiti� du XXe si�cle que les droits de propri�t� sont con�us comme outil d�analyse. C�est, semble-t-il, � l�universit� de Chicago que le mouvement est lanc�. Les grandes contributions acad�miques, notamment celle du prix Nobel Coase, suivent dans les ann�es 1960 et 1970. Sous l�impulsion du conservatisme thatcherien et reaganien, l�Europe suit un peu plus tard. Les droits de propri�t�, qui situent l�individu dans l�espace, ont trois attributs essentiels : I/ ils sont subjectifs : �Seule une personne peut se voir investir du droit sacr� � la pleine propri�t� (Lepage, 1985) ; II/ ils sont exclusifs : deux individus ne peuvent poss�der simultan�ment un m�me bien ; III/ ils sont librement cessibles. Depuis le droit romain, on consid�re que la propri�t� est un droit � l�utilisation du bien poss�d� (usus), un droit de b�n�ficier des fruits qu�il peut g�n�rer (fructus) et le droit de le transmettre � d�autres, de le vendre et de le d�truire (abusus). Les droits de propri�t� ob�issent � une logique de march� et sont r�gul�s par elle. Bien entendu, il faut une bonne d�finition de ces droits, avec un r�le essentiel pour l��tat. Les droits de propri�t� sont alors des r�gulateurs fondamentaux du fonctionnement du march�. Les droits de propri�t� permettent le fonctionnement du march�. Mais parfois le march� est moins bon qu�une organisation. Quelles sont ces situations ? C�est ce que la th�orie des co�ts de transaction permet d�appr�hender. La th�orie des co�ts de transaction : prendre en compte le temps des �changes Comme les �changes ne sont pas �instantan�s�, le march� ne peut pas r�guler toute l�activit� �conomique. Il nous faut alors parler plut�t de transactions. �Les co�ts de transactions posent le probl�me de l�organisation �conomique comme un probl�me de contractualisation.� (Williamson, 1994 : 39). Les organisations qui peuvent alors se substituer au march�, comme l�a montr� Coase, apparaissent comme des n�uds de contrats. Les droits de propri�t� adoucissent un peu l�hypoth�se d�autonomie des individus. La th�orie des co�ts de transaction est bas�e sur un rel�chement de la th�orie de la rationalit�, remplac�e par la rationalit� limit�e de H. Simon. A cause de la dur�e des �changes, l�ambition cognitive des d�cideurs est forc�ment r�duite. Ils ne peuvent prendre en compte tout ce qui peut se passer dans le futur et ils sont oblig�s de se satisfaire de solutions approximatives. A cause de cette imperfection dans le traitement de l�information, provoqu�e par la dur�e des �changes, il peut y avoir �opportunisme � de la part des acteurs dans le processus de d�cision. Opportunisme signifie : �une recherche d�int�r�t personnel qui comporte la notion de tromperie� (Williamson, 1994 : 70). Ainsi, la th�orie des co�ts de transaction introduit le soup�on comme un des moteurs de l��conomie. Elle am�ne aussi � un rel�chement de l�axiomatique traditionnelle. Le temps des transactions introduit � la fois des incertitudes et des irr�versibilit�s. Les co�ts de transaction fournissent ainsi un outil d�analyse pour pr�dire les institutions les moins co�teuses (en co�ts de transaction), compte tenu des caract�ristiques des actifs et de la nature de l�environnement. A titre d�exemple, l��tude contractualiste, bas�e sur les co�ts de transaction, explique les choix qui peuvent �tre faits entre faire soi-m�me, sous-traiter ou acheter sur le march�. L�analyse des firmes devient normative. La th�orie des droits de propri�t� montre que la forme de propri�t� id�ale et la plus efficace est la propri�t� priv�e. L�entreprise s�explique par la r�mun�ration du propri�taire, de fa�on � ce qu�il soit tent� d�organiser efficacement la production. La s�paration de la propri�t� et de la gestion s�explique par les co�ts de transaction. �La capacit� de gestion n�cessite une accumulation d�exp�rience, de savoir-faire ou de connaissance� un actif sp�cifique que l�on peut acheter sur le march� le propri�taire a int�r�t � faire faire lorsque la complexit� de l�activit�, les techniques n�cessaires � la gestion deviennent si sp�cifiques qu�il lui serait trop co�teux de les pratiquer lui-m�me. Il est plus efficace de se lier contractuellement � des salari�s sp�cialistes qui g�rent au nom du propri�taire. Celui-ci minimise alors ses co�ts en ne contr�lant que les r�sultats pr�sent�s par les gestionnaires. � (Gomez, 1996 : 97). Les cons�quences de cette s�paration, nous am�nent � la th�orie de l'agence. Contr�le et transparence : la th�orie de l�agence �On dira qu�une relation d�agence s�est cr��e entre deux ou plusieurs parties lorsqu�une de ces parties, d�sign�e comme l�agent, agit comme repr�sentant de l�autre, d�sign�e comme le principal, dans un domaine d�cisionnel particulier� (Ross, 1973 : 134). Selon Jensen et Meckling (1976 : 308), les premiers th�oriciens sur ce sujet, peu importe qui est agent ou principal, la relation est cons�cutive � tout contrat. Chaque acteur peut �tre � la fois agent et principal. Au c�ur de la relation d�agence, se trouvent les questions d�opportunisme. L�opportunisme est rendu possible du fait de l�asym�trie d�information, avec donc possibilit� d�information cach�e ( adverse selection) et de risque cach� ( moral hazard). Comme on n�est jamais s�r que le mandataire va g�rer le bien du mandant au mieux des int�r�ts de ce dernier, il faut mettre en place un syst�me de contr�le. L�agent calcule en fonction de ses int�r�ts, et le probl�me du principal est de construire autour de lui un contexte qui lui permet de pr�server ses int�r�ts tout en travaillant au mieux dans l�int�r�t du principal. L�entreprise est par nature un n�ud de contrats entre un grand nombre d�associ�s ( stakeholders), notamment les salari�s, les dirigeants, les propri�taires, les pr�teurs, les clients, les fournisseurs, les communaut�s et l�Etat. Elle est alors potentiellement un foyer tr�s actif d�opportunisme. En particulier, on peut assister � des divergences entre propri�taires et gestionnaires et � des divergences entre gestionnaires. Pour coordonner les int�r�ts, et donc pour contraindre l�opportunisme, on peut utiliser le march� comme moyen de r�v�lation de l�information ou utiliser un m�canisme ad hoc, comme le conseil d�administration. Il en r�sulte alors des co�ts d�agence qui peuvent �tre r�sum�s comme suit : i. des co�ts de surveillance ( monitoring expenditures), support�s par le principal, pour la gestion de l�information, la surveillance et l�incitation pour la bonne ex�cution du contrat ; ii. des co�ts d�obligation ( bonding expenditures), support�s par l�agent pour signaler la bonne ex�cution du contrat. Ceci n�exclut pas l�opportunisme mais le contraint ; iii. la perte r�siduelle ( residual loss), constitu�e par ce qu�aurait gagn� chaque partie � ne pas contracter avec l�autre. Pour les r�duire, on met en place des m�canismes de gouvernement de l�entreprise dont l�instrument principal est le conseil d�administration. Comme l�entreprise est un n�ud de contrats entre des multitudes d�associ�s (propri�taires, gestionnaires, employ�s, fournisseurs, la communaut� environnante, etc.) la constitution du CA est un acte d��quilibre politique important. Nous pouvons ainsi voir apr�s ce tour d�horizon th�orique que les hypoth�ses qui sont faites par les th�oriciens du socialisme ne tiennent pas � l�observation des faits. Le march� est un outil imparfait pour coordonner les activit�s �conomiques dans une soci�t�, mais nous ne connaissons pas de m�canisme capable de coordonner mieux les activit�s complexes qui r�sultent du d�veloppement des soci�t�s modernes. Si on ajoute l��tatisme au socialisme, on ajoute � des hypoth�ses de comportement une hypoth�se de fonctionnement qui a �t� discr�dit�e depuis longtemps. On ne peut pas g�rer la soci�t� de mani�re centralis�e. La France est un cas particulier, d�abord parce qu�en apparence, elle a fonctionn� de mani�re centralis�e depuis environ 6 si�cles et ensuite parce qu�elle sert de mod�le implicite � nos dirigeants. Je vais donc lui consacrer une petite section avant de revenir � notre propos central du mode de fonctionnement le plus appropri� pour l��conomie alg�rienne. La France : un cas particulier Au plan organisationnel, la France a �t� depuis Louis XI, au XVe si�cle, un pays centralis�. Pourtant, contrairement aux pr�visions des experts, la France a �t� relativement innovatrice et elle a �t� capable de s�adapter aux grands changements qu�a connus le monde, surtout depuis la r�volution industrielle en Angleterre. Les chercheurs se sont alors demand�s : comment un pays aussi rigide, en apparence, a-t-il pu maintenir son statut face aux pays anglo-saxons beaucoup plus flexibles et plus capables de fonctionner en situation de complexit� ? L�explication a �t� donn�e en bonne partie par un sociologue fran�ais, Michel Crozier, dans son livre Le ph�nom�ne bureaucratique. D�abord, Crozier s�appuyait sur les travaux de l�historien des affaires A. D. Chandler sur le cycle de vie des organisations. Chandler avait r�v�l� que dans leur �volution les organisations �taient oblig�es d�adapter leur structure lorsque leur strat�gie changeait. Ainsi, la structure fonctionnelle centralis�e, celle qu�ont adopt�e les administrations fran�aises, correspond bien � la p�riode de recherche de l�efficience. Elle est compatible avec la standardisation et la production de masse. Lorsqu�on �volue ensuite vers la diversification, il faut passer � une structure divisionnaire d�centralis�e. En �tudiant quelques administrations fran�aises, Crozier d�couvre une diff�rence culturelle importante dans le fonctionnement des organisations. En particulier, la structure fonctionnelle � la fran�aise (qui caract�rise le secteur public fran�ais) ne fonctionne pas comme la structure fonctionnelle nord-am�ricaine. Ainsi, en Am�rique du Nord, lorsqu�on a une r�gle on l�applique. Si elle n�est plus bonne, on la change. En France, on n�applique jamais compl�tement la r�gle. Elle est plut�t utilis�e par le chef comme menace pour obtenir le comportement souhait� : �Si tu ne te comportes pas comme je te le demande, je t�applique la r�gle !� Ainsi donc, l�application de la r�gle est constamment n�goci�e. Crozier �tait un peu irrit� par le fait que les Fran�ais n�appliquaient m�me pas leurs r�gles. Il fut alors tr�s critique du syst�me fran�ais. En fait, c�est cette caract�ristique-l� qui a fait que la France a �t� en mesure de s�adapter. Comme l�application des r�gles est n�gociable, cela donne des forums de d�bat sur l�application de la r�gle et permet de la flexibilit� l� o� on ne s�y attend pas. Par exemple, il arrive souvent que les camionneurs bloquent toute la France. Ils se mettent en situation hors la loi. Normalement, s�ils �taient en Am�rique du Nord, ils seraient jug�s pour cela. En France, lorsque le probl�me est r�gl�, souvent on accepte de passer l��ponge sur le non-respect de la loi. Ceci se passe dans tous les secteurs de la vie fran�aise. Les Fran�ais et leurs autorit�s ont appris, pendant presque 6 si�cles, � faire fonctionner la structure centralis�e de mani�re flexible ! Leur syst�me est unique et il est souvent mal compris par les �lites fran�aises elles-m�mes. C�est pour cela que certains tentent d�amener le syst�me fran�ais vers le syst�me am�ricain qui leur para�t plus clair. Le pr�sident Sarkozy est de ceux-l�. Plus important pour un pays comme l�Alg�rie, les Fran�ais n�ont jamais �t� capables d�expliquer aux Alg�riens leur syst�me. Ils insistaient plut�t sur les aspects symboliques, sur l�importance du respect de la loi, etc. Les autorit�s alg�riennes ont �t� ainsi pi�g�es au lendemain de l�ind�pendance. Elles essayaient d�appliquer des lois souvent inapplicables en prenant exemple sur la France : �Pourquoi ne sommes-nous pas en mesure d�appliquer nos r�gles comme le font les Fran�ais ?� et ils en faisaient souvent une question de fiert� nationale. A mon avis, cela a accentu� les tensions et, plus tard, la rupture entre la population et ses �lites politiques. Ainsi donc, la France est centralis�e, mais son syst�me fonctionne comme un syst�me d�centralis�. Tous les pays occidentaux sont des syst�mes d�centralis�s dans les faits. Dans un autre travail, avec un autre coll�gue nous avons aussi d�montr� que le syst�me chinois est aussi un syst�me d�centralis�, m�me si pour certains aspects et dans certaines circonstances (e.g., crise du SRAS ou tremblement de terre du Sichuan), il devient momentan�ment centralis�. Les syst�mes qui marchent en situation de complexit� doivent �tre d�centralis�s dans les faits. Que nous apprennent ces consid�rations sur le socialisme et l��tatisme comme mod�les de fonctionnement national ? Le socialisme est un mod�le de soci�t� qui met l�accent sur la justice sociale et la solidarit� du groupe. C�est un mod�le qui, de mon point de vue, est compatible avec toutes les croyances religieuses. Je propose que cela soit m�me une d�riv�e de ces croyances. Nous avons tous besoin de croire en un monde de justice sociale et de solidarit�. Donc le socialisme est un id�al acceptable. L��tatisme est la croyance que la meilleure gestion des affaires d�une soci�t�, d�une communaut�, est une gestion centralis�e. Nous avons argument� dans ce texte que ceci est vrai seulement lorsque l�organisation, la soci�t�, est simple. Lorsque la complexit� augmente, comme dans le cas des nations modernes, disons l�Alg�rie, l��tatisme est une erreur scientifique. On ne peut pas g�rer des syst�mes complexes de mani�re centralis�e. Lorsque le socialisme est associ� l��tatisme, on assiste au pire. En effet, les autorit�s utilisent le discours socialiste pour obtenir l�accord des populations. Ils utilisent ensuite l��tatisme, g�n�ralement par peur de perdre le pouvoir, pour freiner les initiatives et finissent par faire reculer la soci�t�. Il en r�sulte des syst�mes qui ne marchent pas. C�est � mon avis � cela que des gens g�n�reux comme Bela�d Abdesslam ont �t� confront�s. Dans le livre remarquable de pr�cision que Bela�d Abdesslam a post� sur son site Internet, il d�crit de mani�re rageuse les approches qu�il pr�conis�es et les compare constamment au lib�ralisme d�brid� et incomp�tent qui a suivi. Il compare ainsi la situation des ann�es 1970, l�une des �meilleures� que l�Alg�rie ait connues, avec la situation des p�riodes qui ont suivi jusqu�en 1993, qui fut marqu�e par un d�clin spectaculaire du prix du p�trole, un service de la dette insupportable pour l�Alg�rie et le d�clenchement de la violence islamiste. Cette comparaison est bien entendu favorable. Elle l�est parce que la p�riode Boumediene a �t� l�une des plus coh�rentes de l�Alg�rie ind�pendante. Le pouvoir �tait fort et Boumediene avait r�ussi � imposer une direction claire, m�me si discutable. La comparaison est aussi favorable parce que la p�riode des violences a compl�tement d�boussol� les dirigeants, accentu� la corruption et d�tach� la population des politiciens. La comparaison que B. Abdesslam fait ne compare cependant pas les choix �conomiques de la p�riode Abdesslam avec leurs alternatives. Elle ne compare pas le socialisme-�tatisme avec le fonctionnement du march�, parce que le march� n�a jamais vraiment fonctionn� sans intervention intempestive, B. Abdesslam lui-m�me, en revenant comme Premier ministre, en 1992- 1993, est intervenu r�guli�rement pour emp�cher le march� de fonctionner. Les descriptions de B. Abdesslam ne comparent pas non plus l��tatisme, dont il a �t� le champion, avec la d�centralisation et le libre march�, parce qu�� aucun moment l�Alg�rie n�a �t� d�centralis�e. En fait, il compare une situation un peu plus coh�rente, du socialisme-�tatisme autoritaire, avec une situation incoh�rente, que je ne suis m�me pas capable de qualifier, o� les diff�rents pr�sidents et Premiers ministres allaient � contresens l�un de l�autre, se contredisaient en permanence. M�me lorsqu�ils faisaient des choses int�ressantes, celles-ci �taient remises en cause l�instant d�apr�s. La situation qu�Abdesslam rejette, c�est bien entendu celle que rejettent tous les Alg�riens de bon sens. C�est la situation du chaos et de la gabegie. C�est cette situation qui a pr�par� le lit de la violence islamiste. Ce que Abdesslam ne dit pas, c�est que la p�riode du socialisme-�tatisme a aussi �t� une p�riode de grande inefficacit�, cach�e par les prix du p�trole. Cette inefficacit� a g�n�r� la corruption et la gabegie qui ont suivi. Moi ou d�autres pourront, je l�esp�re, le montrer dans d�autres articles. B. Abdesslam, dans son livre, d�fend sa d�marche contre les �valuations qu�en a faites �le pouvoir de l�ombre� qu�il assimile � l�arm�e. Il a en particulier choisi de confronter le g�n�ral Touati, que je connais � peine mais qui est pr�sent� comme �le penseur du pouvoir obscur qui se superpose aux lois et r�glements�. La th�orie du g�n�ral Touati n�est cependant jamais pr�sent�e et je ne sais pas si elle existe. Elle semble avoir �t� simplement exprim�e comme le rejet de la d�marche de la p�riode Boumediene. Dans ce livre, B. Abdesslam appara�t comme le vainqueur de l�argument contre Touati. Patriote respectable et respect�, Abdesslam confond cependant le lecteur en sugg�rant que le socialisme-�tatisme est meilleur que le march� libre. Il m�lange le langage �conomique avec l�appel aux sentiments patriotiques. La violence de son verbe est telle qu�il consid�re toute alternative comme une trahison envers le serment des martyrs. B. Abdesslam est un patriote mais il se trompe. Le serment que les martyrs ont fait �tait celui de lib�rer l�Alg�rie et redonner la libert� aux Alg�riens de penser et de conduire leur destin. Au moment o� le serment a �t� fait, tous les Alg�riens ou presque �taient pauvres. Ils �taient �cras�s par le colonialisme. Les lib�rer, c��tait leur donner la chance de s�exprimer et de montrer leur valeur. Les martyrs ne seraient s�rement pas d�accord avec le centralisme �tatique qui a emp�ch� l�Alg�rie de s�adapter. Aujourd�hui que nous avons retrouv� la libert� comme pays, il nous faut trouver le chemin de la connaissance et de la raison pour donner la libert� au citoyen. Seule une meilleure utilisation de la connaissance et de la raison nous permettront de sortir de l�orni�re et d��tre alors fid�les au serment des martyrs. J�ai sugg�r� tout au long de ce texte que la connaissance est maintenant claire sur ce qui doit �tre fait en Alg�rie. La connaissance qui nous a toujours �lud�s est celle du fonctionnement organisationnel. Au plan �conomique, les grands dirigeants de l�Alg�rie et leurs conseillers se sont r�guli�rement battus pour d�fendre une option ou une autre. Ils se sont r�guli�rement accus�s de trahison, alors que le probl�me �tait ailleurs. Le probl�me n�est pas dans le choix de politiques �conomiques. Il est dans leur mise en application. Toutes les th�ories que j�ai �voqu�es sugg�rent que c�est la mise en application qui fait la diff�rence. Si les Alg�riens manquent de r�alisme, ils continueront � se battre sur des objets secondaires en laissant de c�t� ce qui est essentiel, la construction de m�canismes qui permettent aux id�es de se r�aliser. Le plus important de ces m�canismes est le march�. Le deuxi�me plus important est l�existence de lois claires pour r�guler le march� et pour prot�ger la soci�t� et le citoyen des abus in�vitables que g�n�re la libert� des acteurs. Le troisi�me plus important est de cr�er un appareil �tatique qui respecte le citoyen et l�aide � se prendre en charge et � cr�er de la richesse. Le quatri�me plus important est la lutte contre les maladies sociales qui, comme la corruption, sont capables de d�truire la capacit� d�une soci�t� � se construire. Le cinqui�me plus important est la protection de la paix sociale. Le sixi�me plus important est de travailler � maintenir l��quilibre entre les diff�rentes composantes sociales, r�gionales et �conomiques du pays. Ceci s�obtient notamment en se mettant du c�t� du plus faible ou du plus d�favoris� pour l�aider � se rattraper. Le septi�me plus important est de constamment travailler � faire gagner le bon sens et la raison sur la passion et l��motion. La connaissance est maintenant disponible et doit �tre utilis�e pour faire tout cela. Pourtant, au lieu de cela, la th�orie de B. Abdesslam revient � l�ordre du jour. Un pouvoir d�sempar�, qui a du mal � comprendre la crise que le monde vient de subir lui redonne plus d�importance et il n�est pas rare aujourd�hui d�entendre ceux qui le conseillent sugg�rer que le socialisme et l��tatisme ont �t� positifs. Ils reviennent donc � la th�orie de B. Abdesslam. Pour ma part, je crois que s�ils le faisaient ce serait l�une des erreurs les plus graves. Ce serait vraiment refaire la m�me erreur deux fois. Dieu nous en pr�serve ! J�argumente que notre chemin sera meilleur par une libert� plus grande des citoyens et par une participation plus grande de ceux-ci aux d�cisions �conomiques. Le chemin vers cette participation n�est pas celui des forums politiques, mais celui du march�. Chaque Alg�rien doit �tre encourag� � exprimer son choix politique en s�enrichissant et en enrichissant sa r�gion, tout en respectant la loi. La loi doit valoriser la morale, la solidarit�, le bon fonctionnement du march� et veiller � prot�ger les plus vuln�rables d�entre nous. Nous n�avons besoin du gouvernement que pour faire de bonnes lois. Pour tout le reste, il vaut mieux qu�il ne se mette pas sur le chemin des milliers d�entrepreneurs qui vont faire l�Alg�rie de demain. En s�enlevant du chemin, il deviendra plus fort, parce qu�il ne monopolisera pas les moyens d�enrichissement mais ouvrira le chemin aux actions entrepreneuriales l�gitimes. Tous ces entrepreneurs travailleront alors � le consolider puisqu�il leur permettra de s�exprimer. J�ai �tudi� r�cemment les contributions des quelques entrepreneurs qui sont arriv�s � survivre malgr� les freins et les herses bureaucratiques que l��tat a mis sur leurs chemins. J�ai �t� impressionn� par leur cr�ativit�. J�ai �t� impressionn� par leur patriotisme. J�ai �t� impressionn� par l�importance de la contribution qu�ils apportent au budget de l��tat. A titre d�exemples, les dix entrepreneurs que j�ai �tudi�s ont cr�� des dizaines de milliers d�emplois, ils payent presque 60% de toutes les richesses qu�ils cr�ent en imp�ts et taxes et r�investissent l�essentiel, du reste. Ils arrivent � faire ce que l��tat luim�me, par le biais de ses grandes entreprises publiques, n�est pas capable de faire. Si l��tat d�cidait d�aider ces entrepreneurs, en leur facilitant la t�che et en veillant � ce que les lois de protection du citoyen et des communaut�s soient claires, il multiplierait leurs contributions � des niveaux inimaginables. Je suis pr�t � parier que l�Alg�rie deviendrait alors l��quivalent de la Californie et serait un partenaire de l�Europe aussi courtis� que l�est la Chine actuellement. Conclusion : soyons modestes pour construire un grand pays Ce texte a commenc� avec l�id�e que les Alg�riens, comme nation, ont �t� surtout stimul�s au plan �conomique par un grand id�al de justice sociale. La libert�, autour de laquelle la nation a �t� construite, a �t� per�ue d�s le d�part comme le moyen le plus s�r pour que la justice soit rendue � un peuple spoli� et maintenu dans un �tat de d�nuement consid�rable. Cette justice �tait l��galit� des droits et l��galit� des chances pour ceux qui essaient de s�en sortir. C��tait cela, dans l�esprit des martyrs, la justice sociale. La grande question qui s�est alors pos�e aux dirigeants de l�Alg�rie ind�pendante a �t� celle du comment : comment r�aliser la justice sociale ? Dans ce papier, nous avons sugg�r� que la r�ponse � cette question n�est pas politique. Au plan politique, elle a �t� r�solue en affirmant que la justice sociale est un fondement de la nation. C�est une question de gestion de l��conomie nationale et, par beaucoup d�aspects, c�est une question de nature scientifique, qui demande d�aller vers la connaissance pour trouver une r�ponse satisfaisante. La connaissance montre que les r�alisations �conomiques posent un probl�me majeur de coordination des activit�s complexes de la soci�t�. Cette coordination a �t� tent�e de mani�re centralis�e, comme dans les pays socialistes, ou de mani�re d�centralis�e, dans tous les pays d�velopp�s ou en �mergence rapide. La m�thode de coordination d�centralis�e est ce qu�on appelle l��conomie de march�. Le r�sultat parle de lui-m�me. La coordination par le march� part de l�id�e que les �tres humains sont imparfaits. Ils sont soumis � leurs d�sirs et � leurs besoins. Ils peuvent occasionnellement �tre � l�image de Dieu et s��lever moralement, mais cela ne dure pas longtemps. Ils retombent dans leur �tat imparfait, d�s que l�adversit� appara�t. Pour tirer le meilleur parti de cette imperfection de la nature humaine, il vaut mieux l�exploiter pour construire, plut�t que pour d�truire. Le march� cr�e les conditions de la construction. En encourageant chacun � s�enrichir dans le cadre des r�gles du jeu du march�, on fait des travers naturels des personnes des alli�s qui peuvent faire progresser l�ensemble de la soci�t�. Pour cela, il faut que les r�gles du jeu du march� soit claires. Nous avons montr� que les r�gles du jeu, qui paraissent implicites ou inexistantes, sont tr�s bien �tablies. Elles sont pr�cis�es par trois grandes th�ories, celle des droits de propri�t�, celle des co�ts de transaction et celle de l�agence. Ces trois th�ories montrent comment des r�gles claires permettent d�am�liorer la soci�t� de mani�re progressive. Dans l�exp�rience alg�rienne, il y a eu le socialisme et l��tatisme qui se sont impos�s au d�part par n�cessit�. Au lieu de consid�rer cela comme des situations temporaires, on peut faire l�erreur de croire que ce sont des choix qui peuvent remplacer le march�. Nous avons argument� que le socialisme-�tatisme n�a de chance que dans une organisation ou une soci�t� simple, comme l��tait l�Alg�rie au lendemain de l�ind�pendance. Avec la complexit� croissante des activit�s et des rapports, on ne peut pas g�rer l�Alg�rie avec le socialisme- �tatisme. On peut m�me la d�truire avec une telle th�orie. Le march� est surtout une philosophie de fonctionnement r�aliste. Cette philosophie reconna�t les limites des capacit�s de coordination humaines. Elle privil�gie la d�centralisation. La centralisation peut d�truire le pays, parce que toutes les �nergies cr�atrices des Alg�riens seront utilis�es pour d�truire le syst�me qui les contraint. La d�centralisation est la seule garantie d�unit� pour le pays. Le probl�me est que le socialisme�tatisme est port� par des dirigeants dont la cr�dibilit� est r�elle. En particulier, B. Abdesslam est un patriote int�gre qui a apport� des contributions r�elles � l�Alg�rie. Son exemple pourrait nous inciter � faire de la th�orie qui l�a anim� la th�orie de l�Alg�rie moderne. Ce serait une erreur et ce serait lui faire porter une responsabilit� historique majeure. J�esp�re que les Alg�riens sauront �viter ce grand �cueil.