Ils sont enseignants, secrétaires, médecins – tous diplômés – et gagnent au mieux 7200 DA net par mois. Alors que la revalorisation du salaire national minimum garanti (SNMG) devrait bientôt être débattue, ils racontent comment leur travail ne parvient pas à leur assurer une vie décente. Témoignages d'une classe moyenne qui flirte avec le seuil de pauvreté. Travailler pour gagner sa vie est un doux rêve que Fatiha, 32 ans, n'ose même plus caresser. Licenciée en littérature arabe, elle s'est presque résignée à son statut de vacataire dans l'éducation nationale, pour lequel elle rempile tous les ans depuis neuf ans. Tous les samedis, elle débourse 80 DA pour se payer le bus qui l'emmènera dans un petit village à 100 km de Tizi Ouzou, jusqu'à l'école primaire où elle enseigne. Debout dès 6h30, elle commence la classe de 8h jusqu'à 16h. « Et je ne sais même pas combien je gagne ! Je n'ai même pas de fiche de paie. En mars dernier, j'ai reçu 110 000 DA, ce qui correspond à peu près au salaire de… l'année 2005-2006 ! » Cette somme sert à soutenir la famille de dix personnes où seul le père perçoit de l'argent, 10 000 DA de retraite. Le budget que Fatiha s'octroie pour manger atteint 2000 DA la plus faste des semaines. « Du lait, du pain, de la soupe, des fruits une fois par semaine, de la viande une fois tous les dix jours. » Alors les prochains débats entre l'Etat, le patronat et les syndicats sur la revalorisation du salaire national minimum garanti n'intéressent pas vraiment Fatiha. « La réalité, c'est ce que la quasi-totalité des salaires sont déconnectés du SNMG !, s'emporte un économiste algérien qui préfère garder l'anonymat. Le vrai débat ne porte pas sur l'augmentation du SNMG mais sur la nécessité d'assurer aux gens un salaire décent. C'est-à-dire un salaire avec lequel je peux assurer les frais d'alimentation, de logement, de santé et d'habillement, et dégager 5% pour l'épargne. Soit aujourd'hui, entre 40 000 et 50 000 DA. » Un syndicaliste de l'UGTA souligne combien cette révision peut avoir un effet pervers : « Même si la revalorisation du salaire minimum intéresse tous les postes de préemploi, du filet social… puisque leurs revenus sont calculés en pourcentage du SNMG, ceux qui en profiteront vraiment sont ceux qui touchent déjà un salaire correspondant à cinq ou six fois le SNMG, c'est-à-dire les cadres et les hauts fonctionnaires. » Combien seraient-ils à ne même pas toucher 12 000 DA ? « Des milliers ! répond Nassira Ghozlane, du Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique (Snapap). Ceux qui ont été recrutés dans le cadre du préemploi touchent 8000 DA bruts par mois. Après expiration du contrat, d'un an et six mois, soit ils se retrouvent au chômage, soit ils sont récupérés dans le filet social. Où là, ils ne touchent plus que… 3000 DA ! En théorie, pour 5 heures de travail par jour mais dans les faits, pour une journée complète. Enfin, il y a tous les contractuels qui gagnent une misère. » Officiellement 40 000 dans l'éducation, selon le ministère du Travail. Car avoir ou non un diplôme n'est finalement pas déterminant pour s'assurer un revenu décent. Après quatre années d'études, Yasmina, étudiante en magistère à l'université Houari Boumediène à Alger, touche 200 DA pour chacune de ses vacations (heure de cours dispensée). « Je donne trois heures de cours par semaine, ce qui revient à peu près à 6000 ou 7000 DA… le trimestre ! Comme si cela ne suffisait pas, en plus, les dossiers traînent et nous sommes payés très en retard. Certains de mes amis aussi vacataires n'ont pas d'autre choix que de vivre en cité U… avec leurs propres étudiants ! » Un professeur de la même université, qui connaît bien le problème, ne comprend pas pourquoi pour un titulaire, la même heure de cours, pour autant de travail et de responsabilités, est payée 800 DA. « Un étudiant de 25 ans devrait pouvoir s'acheter ses cigarettes, aller au café avec ses amis ou s'habiller sans avoir à demander de l'argent à ses parents, déplore-t-il. Ceux qui ne peuvent pas aller jusqu'au bout de leur magistère (nécessaire pour la titularisation) abandonnent et l'éducation perd ainsi des futurs enseignants très brillants. Récemment, un de mes étudiants a préféré partir au Sud travailler pour une société pétrolière. En début de carrière, il gagne déjà une fois et demi mon salaire ! » Houria, 27 ans, est restée deux ans en préemploi à l'hôpital de Bab El Oued. « J'ai fait cinq ans d'étude en chirurgie dentaire et puis j'ai déposé un dossier pour un préemploi en me disant qu'avec un peu de chance, parce qu'avoir un tel poste est considéré comme une chance, je serais retenue. » Pour toucher 8000 DA par mois. « Exactement 7200 DA net. Je faisais autant d'heures que les titulaires, assure-t-elle. Ce n'est pas facile, mais il est clair qu'on ne travaille que pour gagner sa vie, juste pour s'occuper et avoir un peu d'argent de poche. »Un expert du Centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement (Ceneap) que nous avons contacté est catégorique : « Que ce soit pour le filet social ou le préemploi, on ne peut pas parler de revenus !, précise-t-il. C'est tout au plus une aide et ces postes ne devraient surtout pas être comptabilisés comme des emplois dans les statistiques officielles, car ce n'est pas de l'emploi productif. De plus, le filet social tel qu'il avait été imaginé par la Banque mondiale ne profite pas aux personnes qui en ont vraiment besoin. Une étude du Ceneap l'a montré : la grande majorité des bénéficiaires du filet social n'y est en réalité par éligible et en profite essentiellement par relation. » Pour Fatiha, ce serait justement ces « connections » qui l'empêcherait d'avancer. « Je n'ai personne dans ma famille qui puisse m'aider, avoue-t-elle. Alors tous les ans depuis 2001, je tente trois à quatre concours dans différentes wilayas pour être titularisée. Mais je n'ai pas vraiment d'espoir. »