Ville des paradoxes, Chlef l'est assurément. Alors que le complexe du ciment met quotidiennement sur le marché jusqu'à 7800 t, le produit reste introuvable et lorsqu'il est disponible, il est cédé trois fois son prix d'achat par les revendeurs, soit 600 DA le sac ! Pourtant, le prix départ usine n'a subi aucun changement, puisqu'il est toujours fixé à 225 DA. Chlef. De notre bureau Pendant ce temps, les pouvoirs publics observent un silence étrange face à une tension persistante qui entrave sérieusement les projets locaux. A travers une enquête sur le terrain, nous avons tenté de cerner la problématique et d'en situer les défaillances, bien que chaque partie rejette la responsabilité sur l'autre. D'abord, quelle est la part de production réservée à la wilaya de Chlef sur un total de 900 000 t, produits de janvier au 10 mai dernier ? Selon le directeur général de l'Entreprise du ciment et dérivés (ECDE), Khelifa Bekhit, 280 000 tonnes de ciment ont été mises sur le marché local durant cette période, soit une moyenne de 93 000 t par mois, représentant 34% de la production globale de l'unité. A l'appui de ses dires, il nous exhibera les états de production et d'expédition de la période considérée. Il en ressort que 210 000 t ont été raflées par les 428 revendeurs agréés et 70 000 autres tonnes ont bénéficié aux 276 entreprises de réalisation de la région. Il précisera que ces quantités sont largement suffisantes pour couvrir les besoins de tous les intervenants et assurer une disponibilité régulière du produit. « Je ne comprends pas ce qui se passe sur le marché, notre mission à l'ECDE consiste à produire davantage et à commercialiser la marchandise selon les conditions fixées dans le cahier de charges. Nous approvisionnons en priorité les entreprises de réalisation engagées dans les programmes de développement et qui ont déposé à notre niveau des dossiers en bonne et due forme. Je mets au défi les chefs d'entreprise qui soutiendraient le contraire », nous dira M. Bekhit. Il reconnaît, par ailleurs, que le ciment local connaît une forte demande en raison de sa qualité reconnue par des laboratoires étrangers. A ce titre, il nous apprendra que l'entreprise de réalisation du métro d'Alger et 25 wilayas sont domiciliées à l'ECDE Chlef. A la sortie de l'usine, notre attention est attirée par la présence de groupes de personnes qui guettent les camions chargés de ce matériau. Renseignements pris, il s'agirait de revendeurs qui achètent directement les chargements ou les bons d'enlèvement délivrés par l'entreprise du ciment à sa clientèle. « Un bon de 10 t, dont le prix réel est de 9 millions de centimes, est revendu à 21 millions aux revendeurs, au vu et au su de tout le monde », révèle un habitué des lieux. Pour justifier cette transaction, certains d'entre eux évoquent « l'insuffisance des quotas ». « On ne nous accorde que 20 t par mois » soutiennent-ils. Sur cette question de contrôle, le directeur général de l'ECDE a affirmé que cette mission ne relève pas de la compétence de ses services. En dépit des quantités énormes qui sont mises sur le marché, les locaux des dépositaires censés contenir ce produit restent désespérément vides. Où va la marchandise ? Le mystère reste entier. Le seul revendeur où ce matériau est réceptionné et vendu à la clientèle, à savoir l'Edimco, est constamment assailli par les autoconstructeurs et même des entrepreneurs. Dès l'aube, on peut apercevoir une file interminable de personnes en quête de ce produit qui est cédé à 310 DA le sac. Les quatre unités de cette entreprise en reçoivent 9000 t par mois, qui sont répartis selon une programmation et un système de quotas, comme au temps des crises anciennes. Il faut dire que jamais le ciment n'a atteint un tel niveau de spéculation dans la wilaya, qui est, du reste, encouragé par le silence des uns et la complicité des autres. Jusqu'à quand ?