Tiaret. De notre envoyé spécial C'est le chemin de croix qui commence pour Habiba. Elle est de l'ouest du pays, de Tiaret, elle a la foi chrétienne et elle risque trois ans de prison ferme. Habiba K., la trentaine bien entamée, convertie il y a quatre ans au christianisme, a été jugée hier en correctionnelle par le tribunal de Tiaret. La jeune femme, ancienne employée d'une crèche à Oran, est accusée par le ministère public de pratiquer un «culte non musulman sans autorisation». Une première dans les annales judiciaires. La situation est d'autant plus inédite, car il s'agit du premier procès où la pratique libre de la foi chrétienne est vertement remise en cause. Jusque-là, l'appareil judiciaire s'est borné à juger les affaires liées au prosélytisme. Une dizaine de procès a été intentée dans ce sens à travers de nombreuses villes du pays, Oran, Mascara, Sidi Bel Abbès, Béjaïa,… et plusieurs membres de l'Eglise protestante ont été condamnés à des peines de prison avec sursis, assorties d'amendes lourdes allant jusqu'à 500 000 da. Face à son juge, Habiba n'avait pas hier le cœur au reniement, ni aux dérobades. Zen, la voix presque éteinte, de nature, elle assumera au prétoire, sans détour, avoir choisi Al Massih, le Christ. Une vingtaine de jours auparavant, elle tenait tête au procureur de la République et refusa d'abandonner sous la contrainte sa nouvelle foi. «C'est soit le tribunal, soit la mosquée», lui aurait signifié le procureur. Au juge qui la bombarde de questions, un ton moqueur, un ton amène, elle raconte sans s'encombrer de détails et dans un silence religieux sa passion, ses premiers pas dans l'église et son arrestation fin mars par les gendarmes de Tiaret. «A l'église, on t'a fait passer l'examen d'admission céleste ?», lui demande le juge. Silence dans la salle. «On t'a fait boire l'eau qui te mènera droit au paradis», revient encore à la charge le magistrat après que Habiba ait fait mine de ne pas comprendre la question. Elle répond par un «oui». Un «oui» qui doit signifier qu'elle a été baptisée. Le juge lui demande de nouveau pourquoi elle transportait dans ses bagages une quantité d'ouvrages religieux, des évangiles notamment. «On n'en a cure que vous deveniez chrétienne ou bouddhiste, c'est entre vous et votre Créateur, dites-nous que faisiez-vous avec tous ces livres.» Le délit imaginaire «Je revenais par bus d'Oran, répond-elle, où j'étudie à l'Ecole d'études bibliques. A l'entrée de la ville, les gendarmes qui dressaient un barrage sur la route sont montés dans le véhicule et sont venus directement vers moi et ont fouillé mes bagages. J'avais des livres sur moi. Mes livres à moi.» Le procureur, silencieux depuis l'ouverture de la séance, l'interrompt brusquement : «Que faisiez-vous avec une douzaine d'exemplaires du même livre ? Ce n'est quand même pas pour votre usage personnel ? Vous les distribuez à votre entourage, n'est-ce pas ? Vous prêchez avec la parole chrétienne ?», s'adresse-t-il à la frêle silhouette de Habiba. Le délit imaginaire. Il n'en fallait pas plus pour enflammer l'avocate, Me Khalfoun, du barreau de Tizi Ouzou. Venue expressément à Tiaret pour assurer la défense de Habiba, après que certains avocats de la ville aient refusé de plaider dans cette affaire, Me Khalfoun, connue surtout après les retentissants procès des émeutiers du «printemps noir» de Kabylie et des «gendarmes assassins», bat en brèche les accusations du ministère public qui, dit-elle, ne reposent sur aucun fondement juridique. «On ne juge pas sur les intentions, mais sur les actes», plaide-t-elle. L'infraction est à ses yeux «imaginaire» et n'est étayée par aucun texte juridique. «Dois-je rappeler à ce propos l'un des sacro-saints principes du droit pénal, à savoir qu'il ne peut y avoir accusation ou condamnation sans texte réglementaire», s'adresse-t-elle au tribunal. L'article 11 de l'ordonnance de février 2006 fixant les règles et conditions d'exercice des cultes autres que musulman, explique l'avocate, ne peut être appliqué au cas de Habiba. «Lorsque ma cliente a été arrêtée, elle n'était pas en train de prêcher. Elle ne distribuait pas des bibles. Elle était assise seule dans ce bus qui l'a ramenée chez elle», déclare Me Khalfoun. L'article 11 en question traite uniquement des cas flagrants d'«incitation, d'utilisation de moyens de séduction» afin de convertir des «musulmans à une autre religion» dans les lieux publics et aussi la fabrication et la distribution de documents imprimés ou audiovisuels visant à «ébranler la foi des musulmans». Des infractions passibles d'une peine de 2 à 5 ans de prison et à une amende allant de 500 000 à 1 million DA. Dans l'ordonnance précitée, aucune «trace» d'une éventuelle mise en accusation d'individus pour «pratique sans autorisation d'un culte autre que musulman». Autant dire, une «invention» du parquet. Pis, s'interroge Me Khalfoun, «quelle est cette autorité, morale ou administrative, habilitée à délivrer une autorisation pour pratiquer telle ou telle religion ?» Tout en réclamant l'acquittement de sa cliente, l'avocate de la défense en appelle au respect de la Constitution qui garantit à toute personne le droit à la liberté de la pensée, de la conscience et de la religion. L'avocat de la partie civile (la direction des affaires religieuses de la wilaya de Tiaret dont est originaire l'actuel ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Abdallah Ghlamallah, Ndlr) se contentera de déclarer au tribunal que les tentations d'évangélisation représentent une «menace pour la sécurité nationale». Rappelons que récemment, le ministre des Affaires religieuses a nié toute «persécution» à l'encontre des convertis au christianisme et a déclaré, suite notamment aux pressions de la communauté internationale, que l'Etat algérien ciblait uniquement les «sectes». Mardi prochain, six autres membres de la communauté chrétienne de Tiaret seront jugés par le même tribunal pour prosélytisme. Le verdict du «procès Habiba», qui ne manquera certainement pas de faire des remous, sera connu le jour même.