Dans la période féconde de la fin des années soixante, il laisse exploser toute sa fougue artistique en jouant dans les cafés d'Alger, en accompagnant au banjo les grands maîtres du moment. Sortant ces jours-ci d'une insupportable maladie et soumis à un traitement médicamenteux de longue durée, Cheikh El Mahdi, chanteur et instrumentiste de talent cache difficilement son amertume face à l'ingratitude des hommes. « L'artiste est déconsidéré, il n'a aucun statut dans ce pays » lâche-t-il avec tristesse. Il se dit dupé par des éditeurs, trompé par certains disciples, abandonné par les siens et ignoré par les autorités. Et pourtant son œuvre estampillée du sceau classique est digne d'éloges. De son vrai nom, Allam Mahdi, « Ec-cheikh », comme l'appellent respectueusement ses disciples, est né à Takeriets le 21 novembre 1946. C'est au Centre d'Enseignement Technique de Sidi-Aïch, actuellement Technicum, qu'il affirme ses ambitions artistiques. Rejoignant les rangs de la Jeunesse FLN, à l'indépendance du pays, il s'emploie à épanouir tout son talent artistique. Son départ à Alger en 1966 constitue peut-être l'étape la plus importante de son parcours artistique. Dans cet Alger plein de charme de la fin des années soixante, il côtoie des grands noms de la chanson en vogue, le chaâbi : El Anka, Boudjemaa El Ankis, Guerrouabi, Kamel Bourdib, Amar Ezzahi, Dahmane El Harrachi, Hsen Said…. « C'était vraiment une belle époque. Je me souviendrai toujours du grand café d'Alger Tonton Ville que je fréquentais et où tout le gratin de la chanson chaâbi se rencontrait » nous déclare-t-il avec nostalgie. Dans cette période féconde, il laisse exploser toute sa fougue artistique en jouant dans les cafés d'Alger, en accompagnant au banjo les grands maîtres du moment. Virtuose, il ne tardera pas à être remarqué et intégré dans l'orchestre de l'émission radiophonique Les chanteurs de demain animée d'abord par Cherif Kheddam avant d'échoir à Kamel Hammadi. Boosté par ses fréquentations, il enregistrera son premier disque 45 tours. Agma ruh axduyi (frère, laisse-moi tranquille) et Ighouvlan qwen (abondance de maux), qui composent cet opus, donnent déjà la tonalité de ce que sera ensuite toute l'œuvre du cheikh. En 1976, il part au sud, à Hassi Massaoud, à la recherche d'une vie meilleure. Là, il continue à écumer les cafés en chantant en kabyle et en arabe avec d'autres artistes pour une assistance composée essentiellement de gens du Nord qui cherchaient à oublier les chagrins de leur immigration interne. Revenu du grand sud avec un peu plus de sagesse et une grande dose de volonté, il dépose en 1986 à la chaine II « une bobine » contenant six chansons. « Certaines chansons de cet album sont passées à l'antenne, mais à ce jour je ne sais pas quel est le sort qu'on lui a réservé et je n'ai pas gardé de copie » nous révèle-t-il. Ses autres œuvres sorties en 1987 et en 1991, malgré qu'elles soient bien accueillies ne lui ont absolument rien rapporté financièrement. « Je n'ai jamais perçu d'argent ni de la part d'éditeurs ni d'aucun autre organisme, on utilise mes œuvres sans mon consentement. Je n'ai rien, rien reçu pas même un sou vaillant ! » peste-t-il. A cette insoutenable situation d'artiste pigeonné s'ajoute le drame de la disparition tragique de son fils dans un accident de la route. C'est d'ailleurs pour soulager un peu son esprit tourmenté qu'il travaille ces jours-ci à finaliser un album en hommage à l'enfant disparu. « Je ne me laisserai pas faire cette fois-ci, et je suis bien entouré par les membres de la fondation qui porte mon nom. Je remercie à ce propos mon musicien et disciple Abdelli Hamou que je considère comme mon fils » tonne-t-il.