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Medellin : la ville de tous les dangers
Publié dans El Watan le 12 - 06 - 2008


Medellin (Colombie).
De notre envoyé spécial
Plus tard, nous avons compris le pourquoi de cette effervescence militaire. Aussi, la période qu'on avait choisie pour visiter cette capitale mondiale du narcotrafic ne fut guère en faveur d'un apaisement du trac qui nous envahissait.
Effectivement, l'une des responsables des FARC, Nelly Avila Moreno, alias Karina, venait de se rendre aux forces armées et le Tout-Medellin bouillonnait. L'alerte était à son comble et le pire c'est qu'elle a été arrêtée dans la municipalité de Argelia, dans le département de Antioquia. Au début, on entendait parler de l'arrestation d'une femme, chef de guérilla criminelle et sanguinaire, en «Argelia», soit pour nous l'Algérie. Un quiproquo qui nous laissa pour un temps perplexes.
Que font les FARC en Algérie, nous nous sommes dit, mais en réalité il s'agissait de la municipalité colombienne appelée Argelia. Juste après cet événement, une autre surprise nous attendait, c'était l'annonce de la mort de Manuel Marulanda alias Tirofijo, chef suprême des FARC. Sachant que le département de Antioquia, dont la capitale Medellin est le fief par excellence des guérilleros, imaginez la tension dans laquelle nous étions ! On dit que derrière chaque Medellinois se cache un guérillero ou un narcotrafiquant. Même l'hôtel Nutibara, où nous avons élu domicile, était connu pour avoir abrité de grandes fiestas de narcotrafiquants, parmi eux Pablo Escobar.
L'architecture et le décor de l'édifice, datant de 1945, nous faisaient remémorer les films de mafia. A certains moments, on avait l'impression d'être parmi les acteurs, tellement la pression était grandissante. Le taxi, qui devait nous conduire à travers la ville, a fait l'objet d'une identification par les agents de sécurité de l'hôtel ; matricule et numéro ont été soigneusement notés. On nous l'avait dit au préalable, pour éviter un quelconque kidnapping. Cette vérité amère n'était pas du tout du genre à nous mettre du baume au cœur, au contraire elle nous l'avait serré.
Virée osée
Il était clair pour nous que nous étions en plein centre de la ville, mais ce qui nous attendait juste à 200m de l'hôtel, à hauteur de la rue Cundinamarca / Carrera 53, était plutôt un avant-goût de ce qu'on allait voir dans la banlieue de Medellin et dans ses «favelas». La rue populaire était l'espace de drogués et de misérables étendus sur le sol, juste au bord des égouts éclatés et puants.
Les magasins semblaient sortir de l'ère moyenâgeuse. Sur les vitres de notre taxi des mains se plaquaient pour demander des pesos. Dangereux de tenter de faire un geste de bienfaisance. La prostitution était étalée à ciel ouvert, des jeunes jouaient avec un pistolet, nous donnant froid dans le dos, et si… nous nous étions dit. Tous les scénarios sordides sont imaginables dans ces rues, où la loi de la poudre est de mise.
Une particularité a attiré notre attention : ce qui contraste avec le reste de la Colombie, c'est que les hommes comme les femmes sont sveltes et il n'est pas facile de rencontrer des obèses qui, pourtant, foisonnent dans ce pays. Les «Paisas» ou habitants de ce département ont cette morphologie. Pour l'histoire, l'appellation «Paisa» est devenue péjorative et prend parfois le sens d'insulte dans le reste de la Colombie.
Medellin, comptant une population de presque 3 millions d'habitants pour une superficie de 362 km2, est une cuvette. Le centre est une plateforme où s'agglutinent et se côtoient des dizaines de très hauts édifices d'une vingtaine d'étages. Tout autour, sur les flancs des montagnes, se perchent les nombreux quartiers comme Castilla, Los Olivos, Prado, Aranjuez o Belen. Pour redorer le blason de cette ville et nous montrer qu'il existe de bons endroits, le chauffeur de taxi nous emmène tout droit vers les quartiers Poblado et Envigado. Il est vrai que le décor change.
La propreté et l'hygiène sont présentes. Pour vous donner une idée, disons que c'est le Hydra de Medellin. Nous saurons par la suite que ce sont les deux seuls quartiers «potables». Nous avons également remarqué que presque toutes les villas portent des noms à consonance française, le Belvédère, Pas-de Calais, Trésor et Monte-Carlo pour ne citer que ceux-là. Aussi, pour nous en mettre plein les yeux, notre chauffeur nous a conduits vers le jardin botanique où des orchidées d'une extrême beauté embellissent un espace de 25 ha. Cette aire florissante et coloriée s'oppose à l'image violente que l'on a de Medellin. On sent la paix et les Medellinois viennent se prélasser dans ce lieu paradisiaque. Nous voulions terminer la journée sur cette belle note.
Sortie en métro
Le soir, du haut de la fenêtre de notre chambre au 8e étage, nous assistions à plusieurs agressions et même à des scènes obscènes et impudiques de personnes saoules ou droguées. La police intervenait quelquefois mais en nombre, jamais moins de cinq éléments. Le lendemain, nous décidions de prendre le métro. Avec un seul ticket de 1600 pesos environ, 6 DA en poche, nous avions le droit de faire le tour de Medellin. Le métro étant aérien – c'est une idée géniale qu'ont eue les autorités de Medellin – nous étions rassurés d'une visite hautement sécurisée, puisque dans tous les wagons des policiers du tourisme veillaient sur les passagers.
Nous partons de la station de Parque Berrio vers le terminus Niquia. Nous longeons le Rio Medellin, dont les eaux boueuses ont été grossies par les dernières pluies. A hauteur de la station Caribe, les effluves nauséabondes de cet affluent nous montaient aux narines, nous sourions, histoire de dire que l'oued El Harrach n'est rien devant cette puanteur. Le pire c'est que dans cette saleté, des hommes fouillaient le fond du Rio à la recherche de n'importe quel objet recyclable. Dans des espèces d'abris inaccessibles, formés par des bouches d'égouts, d'autres hommes se lavaient et séchaient leurs vêtements.
Notre balade en métro continue au milieu d'un nombre impressionnant de passagers. Nous croisions des regards, mais nous détournions inconsciemment les yeux de peur de nous faire apostropher et tomber dans la provocation. Les autres savaient que nous étions étrangers. Nous nous arrêtâmes à Acevedo et empruntâmes le téléphérique ou métro câble, tel que l'appellent les habitants de Medellin. Pour traverser les trois stations qui surplombent la ville, nous passons sur des bidonvilles ou «favelas». En dessous de nous, c'est le monde de la violence et de la drogue, des lieux inviolables pour leur dangerosité et qui demeurent cachés entre les collines, une espèce de no man's land.
Les autorités locales ont essayé par ce moyen de locomotion de désenclaver ces quartiers, mais c'est une goutte d'eau dans un l'océan. Nous revenons sur nos pas et reprenons l'autre direction, celle qui va vers Itagui.
Quelques stations plus loin et nous voilà au niveau de la zone industrielle, celle qui pollue le Rio. Les usines, surtout celles de textiles, sont nombreuses. Est-ce des investissements du narcotrafic ? La réponse ne peut être totalement négative, puisque les patrons de ces fabriques financent les campagnes des politiques et ces derniers ferment les yeux sur le blanchiment d'argent provenant de la drogue : un cercle vicieux.
Cependant, presque tous les jours, les scandales narcotrafico-politiques font la une des journaux. Les bandes rivales s'accusent mutuellement. Sur cette partie du métro, il existe aussi un téléphérique qui va de San Antonio à San Javier. Le spectacle «sous nos pieds» est quasiment le même.
Nous avons eu même droit à un spectacle : une «favela» a été brûlée par vengeance ; ici c'est un plat qui se mange chaud. Nous l'avons su le lendemain par la presse et il y a eu trois individus tués par balle. Suite à une série d'assassinats, le maire de Medellin, Alonso Salazar Jaramillo, a déclaré à la presse : «Les autorités sont tranquilles et maintiennent le contrôle sur un possible soubresaut de bandes émergentes à Medellin. Cependant, nous n'écartons pas l'éventualité de luttes internes pour occuper un ‘'vide du pouvoir illégal''.» Autant dire que dans cette ville, la sécurité n'est pas pour demain.
L'ombre de Pablo Escobar
Le troisième jour, nous décidons d'investir la sphère de Pablo Escobar. Nous rassemblons notre courage à deux mains et demandons à la réceptionniste de l'hôtel de nous trouver un taxi qui puisse nous guider sur les traces de celui qui fut le maître incontesté du narcotrafic. Ernesto, notre chauffeur de taxi, était déjà au courant de notre projet.
D'emblée, il nous a proposé un circuit qui nous a conduits au cimetière où repose Pablo Escobar, au quartier et à l'église qu'il a construits et à la demeure où il a été abattu. «Banco», nous lui avons dit. C'est toute la ville que nous devons traverser en allant vers le sud pour arriver au cimetière appelé «quartier des couchés».
Sur un monticule, se trouve la tombe de celui qui a terrorisé toute la Colombie et dont le nom dans le monde entier est synonyme de narcotrafic : Pablo Escobar.
Ernesto nous relate toute l'histoire et toutes les atrocités qu'il a vécues du vivant de Pablo. C'était l'enfer. Un petit carré de gazon délimite l'espace où il est enterré avec sa mère, son père, son frère, son fils, son cousin et son garde du corps le plus fidèle. Sur la pierre tombale de Pablo sont inscrits sa date de naissance, le 1er décembre 1949 et de celle de sa mort, le 2 décembre 1993. Aussi, figure une phrase écrite par un de ses admirateurs, un journaliste américain : «Quand tu vois un homme bon, essaye de l'imiter. Quand tu vois un homme mauvais, analyse-toi, toi-même». Juste devant le carré de gazon, un homme à genoux fait une prière puis essuie les gouttes de pluie sur la tombe d'Escobar. C'est Carlos Bañegas, un Medellinois qui l'a connu. Il nous a dit : «C'est un homme qui m'a toujours fasciné, je l'ai connu, il fait des miracles et aujourd'hui je suis venu le supplier pour que de là-haut il me trouve du travail.» Pablo Escobar est-il devenu un saint ?
Notre taxi man, qui suivait la discussion avec Carlos nous a lancés à l'oreille : «Ce sont des fous, ces gens, il demeure un dieu pour eux, alors qu'il nous a tous traumatisés.» Parfois, surtout pendant les anniversaires, ce lieu grouille de monde, nous dit-on. Deux cocotiers se dressent sur le côté gauche de la tombe, leurs troncs sont devenus de véritables écriteaux.
On y trouve tous les mots doux toutes les langues, il y a même de l'arabe : «Akbar», le reste ce sont des lettres espagnoles. Carlos est parti et à peine avons-nous tourné le dos pour rejoindre le taxi qu'un ivrogne titubant lançait à qui voulait l'entendre : «Je vais pisser sur la tombe de celui qui a tué toute ma famille.» Il tenait encore sa bouteille à la main. Le paradoxe veut que dans ce cimetière reposent plusieurs capos de la drogue, des renommés, des petits et aussi ceux qui ont été tués par les hommes de Pablo, dont des centaines de policiers.
Il y a également des patrons, de hauts gradés de la police et de l'armée que Pablo a de sa main exécutés. Aujourd'hui, le destin les a réunis sur un même lot de terre. Ernesto a ajouté : «Pablo Escobar a été un personnage qui a toujours suscité la controverse, mais qui dans le fond nous a tous marqués. Il est devenu dans le monde entier le symbole majeur du stigmate qui, de nos jours, colle comme une peste à tous les Colombiens : le narcotrafic.»
Le taxi fonce vers le quartier Virgen Milagrosa ou Vierge Miraculeuse, ce village construit entièrement avec l'argent du narcotrafic par Pablo Escobar à ses hommes et aux gens très pauvres. C'est ainsi que jouant sur la fibre sociale de la population déshéritée, il a pu s'approprier leurs sentiments et en faire les défenseurs de son œuvre criminelle.
Les ruelles demeurent le fief du cartel de Medellin ou ce qu'il en reste.
La coca a élu domicile dans cet espace où la population ne vit que par le commerce de cette drogue. Sur les trottoirs ou dans les bars, des têtes n'inspirent aucune confiance. Ernesto en sait quelque chose ; dans ce coin, on ne badine pas avec les curieux. Il était temps pour nous de capituler. Medellin et Pablo Escobar resteront à jamais gravés dans nos mémoires.
Nous avons vu l'église qu'il a construite, elle était pleine de monde. Nous avons évité de nous rendre à la maison où il a été abattu.
Notre chauffeur de taxi nous informa que parfois on n'aime pas que l'on vienne voir l'endroit où le sang de Pablo a giclé sous les balles du corps d'élite de la police, le 2 décembre 1993.
Le message était clair : Pablo Escobar est mort, mais son ombre plane toujours sur Medellin.


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