Le Colombien est qualifié d'un côté, de supertravailleur et de l'autre, il est vu comme un parasite vivant du trafic de drogue et de la violence. L'entrée en Colombie s'est fait via le Venezuela. Le taxi qui nous conduisait de San Antonio à Cucuta, première ville colombienne, s'arrête au niveau d'un bureau. C'est là que la DAS, la police des frontières nationales, effectue le contrôle des opérations d'entrée au pays. A la vue du passeport, le préposé au guichet s'étonne, il compulse son micro-ordinateur puis interroge sur la provenance. «Argelia» fut la réponse. Le passeport change de mains, c'est le collègue d'à côté qui le lit et le relit. Une femme vient à la rescousse, elle non plus ne se gêne pas pour écarquiller les yeux. Un homme d'une cinquantaine d'années, sorti d'un bureau, se saisit du document officiel qui porte les visas vénézuélien obtenu à Alger et colombien scellé après quatre jours d'attente à Caracas. Rien n'y fait, le cachet d'entrée ne sera pas apposé sur le passeport et on fait appel au chef. Il tourne toutes les pages, déchiffre l'énoncé de la couverture verte puis demande où se trouve le numéro. «Monsieur, il est en latéral sous forme de perforations.» Là, le levier de l'enregistreur se rabat sur une page du passeport. Ouf!!! C'est la première fois qu'un Algérien fait son entrée par ce poste, me confirme-t-on. Maintenant, nous comprenons toute cette scène. Cucuta est la ville frontière par excellence, toute la contrebande est étalée à même le sol. Le plus frappant, ce sont les innombrables jerricans de carburant vénézuélien qui jonchent les trottoirs. A l'aide d'entonnoirs, on vous fait le plein d'essence. Même la police, voitures comme motos, viennent se ravitailler à bon prix. C'est dire que l'informel est devenu légal. Il faut savoir qu'un litre d'essence super du pays de Chavez coûte 45 pesos colombiens et celui de Colombie, inférieur en qualité, vaut 1700 pesos. Notez l'immense différence. L'argent, aussi, s'échange au vu et au su de tous. Sous des parasols, machine à calculer en main et assis sur des chaises, les cambistes vous font le change. A retenir qu'il n'y a ni tricherie ni faux billets: il y va de la survie de ce négoce. Cucuta est un passage important pour les narcotrafiquants, c'est connu. Mais ce manège n'apparaît pas au grand jour, tout se passe sous cape et à l'abri des regards. Le réseau doit être bien structuré. Le moment de vérité Il faut quitter Cucuta le plus tôt possible, l'ambiance n'est pas rassurante. Mais la route Cucuta-Bucaramanga, ville que nous devons rallier, n'est pas de tout repos ni exempte de surprises. D'ailleurs, il est recommandé de ne pas s'y aventurer de nuit. Le voyage se fait en bus assez confortable, avec TV et toilettes. La chaîne de montagnes que nous allons traverser est assez fournie en végétation tropicale et la pluie, qui s'est mise de la partie, ne facilite pas les choses. A une vingtaine de kilomètres d'une agglomération appelée Pamplona, des militaires qui semblent dresser un contrôle nous font signe de nous arrêter et font descendre tous les hommes. Les deux Colombiens à mes côtés commentant cette situation me provoquent une peur bleue. Ils affirment que les militaires ne font jamais cela. Tout le monde descend et les pièces d'identité sont contrôlées. A la vue du passeport et du seul étranger du bus, le militaire acquiesce d'un geste faisant signe de remonter dans le bus. Dans ces parages, on ne sait si on a affaire à l'armée nationale, aux guérilleros du Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) ou de l'ELN (Armée de libération nationale) ou même des paramilitaires de l'AUC (Autodéfense unie de Colombie). Tout le monde a sa part du pouvoir et de mainmise sur le pays. Le comble, c'est que deux militaires montent avec nous dans le bus avec un appareil paraissant être un presse-papier. On comprend maintenant le pourquoi de ce contrôle. Il s'agissait pour eux de vérifier s'il n'y avait pas de guérilleros à bord. Les voyageurs colombiens n'ont pas apprécié cet acte qui semble être contraire à leur loi. Aussi, l'insécurité vous prend à la gorge quand vous voyez le long des routes une publicité: «Avec les héros colombiens, voyagez en toute sécurité. L'armée nationale est là». Nous poursuivons notre route sur une très longue distance avec, à notre gauche, un précipice de plus de 600 mètres, guettant la moindre erreur du chauffeur ou une faille technique du bus. Le mieux est de réciter la Chahada tout comme les Colombiens se signent de la croix quand ils abordent cette zone. Pour alléger notre souffrance et notre angoisse, le chauffeur nous lance un CD qui fait l'apologie des narcotrafiquants. Abominable et inadmissible ce que l'on écoute dans un lieu public, tels Rebelle à en mourir, Le Fils de la coca, La Croix de la marijuana, L'histoire du guérillero, Merci la coca et passons sur les milliers de CD, appelés chansons interdites, qui se vendent dans les boutiques et qui sont diffusées quotidiennement sur les ondes des chaînes radios. D'un autre côté, comble de l'ironie, la police possède sa propre radio nationale qui émet H24 et ne cesse de donner des conseils sur la sécurité et l'ordre et aussi de prodiguer des méthodes de lutte contre le trafic de drogue et la délinquance. La contradiction colombienne se voit aussi dans la vente libre de feuilles de coca dans des boîtes bien conditionnées. Vous les trouvez à même les étals des supermarchés également. On vous servira un thé de coca dans un café ou un bar. Ne faites surtout pas l'erreur de rapporter avec vous, même à titre de curiosité, une de ces boîtes, car dans des pays autres que la Colombie vous risqueriez gros. Au bord des routes, nous sommes ravis de voir les plantations de café, mais figurez-vous qu'à 100 mètres à l'intérieur des champs, la coca règne sur les espaces verts. Personne ne dit mot. Par ailleurs, le Colombien est qualifié, d'un côté, de super-travailleur et, de l'autre, il est vu comme un parasite vivant du trafic de drogue et de la violence. Quand le bus aborde le dernier virage de la montagne, Bucaramanga se découvre dans toute sa splendeur. C'est une ville du département de Santander se situant au nord-est du pays. Elle est classée 5e dans l'ordre d'importance des villes colombiennes. Pour donner un aperçu sur sa beauté, on ne mentirait pas si on la comparaissait à une ville européenne. Bucaramanga le top Dès qu'on s'enfonce dans la ville, on note qu'elle est bien organisée et très propre. Tous les utilisateurs de motos ou de mobylettes portent un casque et un gilet où est inscrit en grand leur matricule. Seuls les enfants et les épouses sont autorisés à monter à l'arrière de l'engin, ceci, bien sûr, pour éviter tous les vols à la tire. Les contrôles de police sont très fréquents et gare à celui qui entrave la loi! Il faut savoir que les véhicules circulent selon le système du matricule pair et impair, aussi une infraction ne coûtera pas moins de 450.000 pesos, soit environ 170 euros. Pour un Colombien, c'est excessivement cher. L'ordre établi va jusqu'à l'enregistrement de tous les marchands ambulants, avec carte numérotée et photo à l'appui ainsi que l'emplacement exact. La sécurité est assurée presque dans toute la ville. On est loin du tumulte et de l'insécurité de la capitale Bogota. Une chaîne de télévision - City TV - vous renseigne quotidiennement sur les crimes commis dans cette monstrueuse ville. Le département de Santander est riche en sites touristiques et en histoire précolombienne. San Gil est l'un des endroits les plus visités. Il possède, en plus d'un immense parc indien, une rivière dangereuse où l'on pratique le canoë-kayak et le rafting. Aussi, c'est dans cette région que la gastronomie colombienne se fait distinguer par un plat exotique à base de fourmis appelées «hormigas culonas». Ces insectes, dont le mets est à la mode, sont récoltés au mois d'avril juste après les premières pluies. Figurez-vous que lors de notre passage à San Gil, la dégustation de ces fourmis nous a permis de confirmer qu'elles sont très délicieuses. C'est la raison pour laquelle les touristes en raffolent malgré la cherté de leur prix. Plus loin se trouve Barichara, un village typiquement latino avec des rues formées par de simples dalles et où réside un ex-président de Colombie. Il faut tout de même souligner qu'en Colombie, existe cette habitude de placer sur la route une croix ou une statue du Christ ou de la vierge Fatima dans un abri, là où il y a eu mort d'homme par accident. A la question de savoir si cette coutume existait en Algérie, la réponse fut: «Si on s'amusait à construire une petite qobba là où il y a eu trépas sur un tronçon, nous aurions une route bornée du début à la fin.» Un peu plus sur les hauteurs se trouve le village indien Guane. Les résidents déambulent en poncho de jute et sandales en peau de vache. Ce village a une particularité: il est situé à plus de 1300 mètres au-dessus du niveau de la mer et possède une très grande variété de fossiles marins: des simples coquillages aux grands, en passant par les différents poissons et tortues, tous de mer. Les Guanes sont des Indiens qui sont fiers de vous dire que les Espagnols les ont colonisés, ont bu leur sang et volé leurs richesses et que eux étaient un peuple pur et sain. Ils ne cesseront aussi de tirer à boulets rouges sur les yankees, ces Américains voleurs de terres et d'âmes. Politiquement, ils sont bien armés, c'est étonnant de la part d'une population à caractère paysan, Bénito en est le bon exemple. Si vous demandez à chaque propriétaire de magasin de tissus, d'habillement ou de meubles, ses origines, huit sur dix vous diront qu'elles sont arabes ou turques. Les Arabes viennent essentiellement du Liban, de Syrie ou de Palestine. Leur présence est tellement forte que le Parlement colombien en compte une trentaine de députés. Le plus souvent, ils appartiennent à la troisième ou quatrième génération. En ce qui concerne les Algériens, M.Benchehida, ambassadeur d'Algérie en Colombie, nous précisera qu'ils sont une demi-douzaine, dont deux professeurs d'université, deux jeunes s'impliquant dans le négoce et une concitoyenne mariée à un Colombien. Par contre, la communauté colombienne en Algérie s'élève à une soixantaine d'individus opérant surtout dans le domaine pétrolier. Le paradoxe est que notre pays a, depuis la tenue de la conférence des Non-alignés en 1995, ouvert sa chancellerie à Bogota alors que la Colombie, prétextant le problème financier, n'a pas souscrit à l'esprit de réciprocité. Aussi, la présence de nos diplomates sur cette terre revêt plutôt une option stratégique dans la sphère latino-américaine. La récente déclaration de soutien total du Sénat et du Parlement colombiens à la cause du peuple sahraoui pour son autodétermination est une première dans ce pays. Elle s'inscrit dans l'axe de la politique algérienne vis-à-vis de cette lutte que mènent les Sahraouis pour recouvrer leur indépendance. La Colombie qui recèle énormément de ressources naturelles, avec une riche histoire et un patrimoine précolombien séduisant, doit nous intéresser à plus d'un titre.