C'est à peine s'ils se départissent de quelques habits, pour le moins très encombrants. Ont-il développé une certaine immunité, gagnée par la force de l'habitude ou au contraire sous «l'anguille sous roche» se cache un secret séculaire. Il est 17 h 30 passées de quelques bribes de petits tic-tac de l'horloge ; ce jour-là, la canicule tardant à lâcher du lest, un groupe de vieux «briscards» des débats volubiles de tout repos et de tout propos, figés sous l'ombre de quelques oliviers clairsemant les hauteurs de Ben Achour, à quelques pas de la ville de Blida, ne donnaient pourtant aucun signe de transpiration. La physionomie de leur visage, qui sereine, est loin de refléter l'image dilatée que suppose l'atmosphère lourde des grandes chaleurs de l'été. Approchés, le secret, nous disent ces «burnoussés», fervents adeptes des manches longues, ces habits, à les entendre parler non sans un certain dédain à l'encontre d'une génération qu'ils qualifient de fragile et de frileuse (ouled el gâteau), constituent une barrière étanche contre les influences caniculaires du milieu extérieur. «Après transpiration, nous gardons la fraîcheur. L'air, alors, humide chargé de chaleur et donc plus léger, est dégagé vers l'extérieur», nous dit un moins vieux du groupe, lunette donnant l'ère «intélo», stylo accroché, incliné, sur un effet vestimentaire en cachant d'autres couches de tissus et paraissant détenir quelque culture de moutures diverses et intermédiaires, à la limite de l'ancien et du moderne. La saison estivale semble être la période propice à ces solides carcasses récalcitrantes et bien loties dans leur peau pour discuter de tout : des prix des produits de large consommation, de la politique du pays, de la politique internationale, des difformités des temps qui court, de l'ailleurs et de l'au-delà. Rencontrés un peu partout, cependant une typologie se dégage nettement, se sont surtout les vieux des quartiers populaires limitrophes de la ville des Roses ou des quartiers antiques collés à même la ville, originaires pour la plupart de la communauté villageoise des monts de l'Atlas blidéen, des Beni Salah, Beni Messaoud, des Ghalayais, des Soumatas et des Ouzerais, qui se distinguent par cette habitude. C'est en somme ce que nous avons retenu et de l'observation in situ et de l'interrogation de ces hommes. Leurs explications, nous les avons formulées à notre façon pour en tirer enfin une moralité. Alors, messieurs, dames, l'évasion à la recherche d'un plan d'eau ou de tout autre divertissement pour fuir dans le physique, mais surtout dans le psychique, la torpeur que provoque les grands écarts du gradient thermique, réside aussi dans l'art, nous dit-ils, de nos aïeux de se revêtir. En bref, voila que la vielle sagesse s'accorde parfaitement en harmonie avec les dernières recommandations des spécialistes de la santé humaine, lesquels ne cessent d'avertir des dangers que peut provoquer une exposition aux rayons solaires. D'autres temps, d'autres mœurs et d'autres pratiques sont en voie d'extinction accélérée, sans que les sciences humaines, dotées des nouveaux outils de recherche, notamment les nouvelles technologie de l'information et de la communication (NTIC), ne semblent pourtant faire l'effort nécessaire d'investigation, d'inventaire et d'analyse pour mettre en exergue, on ne peut plus clairement, la richesse que recèle l'histoire du patrimoine du pays-continent qu'est l'Algérie. Il n'est, surtout, pas dit que le progrès ne doit pas continuer son petit bonhomme de chemin, car à chaque temps son temps, mais le développement durable, puisqu c'est à la mode, ne relève-il pas parfois, en dehors des grandes philosophies aux termes autrement savants, croustillants et à géométrie trop souvent multi-variable bourrée d'implicites, de simples pratiques quotidiennes, dont il faut cependant tirer profit, étant moins consommatrices de temps, d'espaces et de ressources premières, hélas, pour la plupart épuisables.