La passivité extrême de son environnement politique et économique incite Khelil à outrepasser les limites de ses prérogatives. L'emballement intensif du marché pétrolier, amplifié par la dévaluation du dollar et le stockage prudentiel des pays consommateurs, autorise les producteurs en général et les Algériens en particulier à faire une pause d'investissements afin d'engager une réflexion stratégique sur l'avenir de ce secteur. Or, c'est tout le contraire qui est en train de se produire. Aussi bien Khelil que le staff de Sonatrach se précipitent dans une frénésie d'activisme, une boulimie d'investissements sans précédent, des conflits et des cafouillages avec les fournisseurs, et depuis quelques jours, un conflit social à propos de la politique salariale. Près de 50 ans après l'indépendance, Sonatrach représente encore 40% du PIB, 98% des recettes d'exportations et constitue toujours le premier secteur consommateur d'investissements au détriment de tous les autres laissés à l'abandon. Après avoir englouti 3 milliards de dollars par an entre 2000 et 2007, Khelil a déjà annoncé 45 milliards de dollars d'investissements entre 2008 et 2012, soit 9 milliards de dollars/an. Khelil s'est aussi engagé dans une incroyable course à la dilapidation de notre gaz. Juste après avoir lancé les travaux des gazoducs Medgaz et Galsi, Sonatrach va lancer deux nouveaux trains de liquéfaction de GNL à Skikda et Arzew. Et comme cela ne suffira pas à vider l'Algérie de son gaz, Sonatrach a prévu de construire un nouveau port de GNL à Beni Saf. Un groupe de bureaux d'études franco-canadiens vient de se voir offrir un cadeau de plus de 7 milliards de dinars uniquement pour réfléchir au projet et présenter une maquette en carton. Un projet de cette envergure n'a pas besoin d'un avis d'experts payés à prix d'or, d'autant plus qu'il va encore soustraire plus de 6000 ha de terres agricoles. Seule une concertation sérieuse entre le gouvernement, les élus et le mouvement associatif permettra de cerner tous les aspects politiques, économiques, sociaux et environnementaux pour décider si on s'engage encore sur un troisième port d'hydrocarbures ou si on est déjà dans l'après-pétrole. Comme si la gabegie d'énormes investissements incontrôlables ne suffisait pas, Sonatrach gaspille l'argent du peuple dans des dépenses de prestige à la surfacturation évidente. Afin de tenir la conférence internationale LNG en 2010 à Oran, Sonatrach a confié au constructeur espagnol OVH, pour 400 millions d'euros, la réalisation d'un centre de convention comprenant un hôtel de 300 chambres, un auditorium de 3000 places… Quand on sait que «l'immense» Sheraton d'Alger n'a coûté que 120 millions de dollars, il est permis de se poser des questions. Juste après le premier coup de pioche, Sonatrach «répare un oubli» en confiant au bureau d'études anglais MKG Ltd, l'étude de marché du projet qui a déjà conclu à son impossible rentabilité. Dire qu'avec 400 millions d'euros, on peut construire environ 200 hôtels 3* de 50 chambres. L'incongruité de ce projet hôtelier de prestige situe le niveau mental actuel du staff de Sonatrach très bien décrit par cette blague de Coluche: «Un émir qui s'est égratigné le bras lors d'un voyage en Europe dit à son chauffeur : Vite, vas m'acheter une clinique». Par ailleurs, les diversifications de participation opérées par Sonatrach ne sont pas accompagnées d'un renforcement des capacités managériales. C'est au contraire un esprit malsain de monopole qui règne chez les cadres dirigeants devenus «inaccessibles et intouchables». A titre d'exemple, Sonatrach est devenue actionnaire unique de Tassili Airlines en rachetant les parts d'Air Algérie et en ambitionnant d'en faire une compagnie aérienne pour le transport aérien grand public. Malgré l'annonce d'acquisitions de 41 avions pour un budget de 1 milliard de dollars, la compagnie n'a toujours pas décollé faute d'un vrai PDG. Cette fonction est anormalement cumulée par le président du Conseil d'administration, Ali Rezaiguia qui est beaucoup trop occupé par son poste de directeur exécutif finances de Sonatrach. Empêtré dans de multiples responsabilités, il ne veut lâcher aucun manche. Il s'occupe aussi paradoxalement de la «gestion des risques de Sonatrach» en négociant les faramineux contrats d'assurance. Il devait aussi, entre autres, piloter l'application des normes comptables US GAAP et IFRS pour assurer la transparence des comptes de Sonatrach et ses multiples filiales. Aucun rapport de Sonatrach n'indique où en est cette opération malgré le très juteux contrat confié au cabinet Ernst&Young qui avait délégué un avocat et un consultant junior pour suivre ce dossier… depuis Paris. La presse a déjà révélé les pratiques douteuses des immenses surcoûts et surfacturations des fournisseurs de Sonatrach à travers l'affaire BRC, entreprise aujourd'hui dissoute sans contrôle et sans rendre de comptes à personne. Pour apprécier l'ampleur des surcoûts payés par l'Algérie aux fournisseurs pétroliers, il suffit simplement d'imaginer la pratique bien connue de la «taxation du client». Un mécanicien ou un tôlier ne va pas facturer sa prestation au même prix pour le propriétaire d'une Mercedes dernier cri à celui d'une brinquebalante R4. Il y va de même pour les opérateurs pétroliers. Pour souder un tuyau ou serrer un boulon, ils feront payer Sonatrach au prorata de ses revenus. A cela s'ajoute un quasi-monopole des fournisseurs étrangers imposé par l'encadrement de Sonatrach qui s'est ingéniée à «assassiner» l'un après l'autre les sous-traitants nationaux, y compris pour des prestations basiques de formation ou de communication. Une simple plaquette de présentation du rapport annuel est sous-traitée en devises fortes à une société parisienne. Le récent appel d'offres lancé «presque clandestinement» le 13 juillet 45 nouveaux blocs d'exploration a surpris tous les connaisseurs, sachant que les nombreux blocs déjà attribués sont encore en cours d'exploration et que les découvertes déjà faites laissent une importante marge de manœuvre. La fin de règne de Bouteflika n'est pas étrangère à l'accélération de cette boulimie frénétique qui ne sert pas les intérêts de l'Algérie. Khelil, le P-DG de Sonatrach et toute la faune qui les entoure savent que leur destin est lié à celui du président. Mais pour le reste des Algériens, il devient urgent de mettre un terme à cette coûteuse fuite en avant. L'Algérie ne doit pas hésiter à prendre exemple sur la Russie qui a doté Gazprom d'un véritable gouvernement d'entreprise dont l'importance et la réussite ont propulsé le président du conseil de surveillance, Dimitri Medvedev, à la présidence russe en remplacement de Poutine devenu Premier ministre. Mais en attendant la conception et la mise en place d'un gouvernement d'entreprise à Sonatrach, auquel les députés et les syndicats doivent être associés, l'Etat aurait tout intérêt à prendre des mesures conservatoires d'urgence. D'abord geler tous les investissements d'envergure, notamment le gazoduc Galsi qui risque de connaître un énorme surcoût. Le scandale de l'étude technique du tracé sous-marin qui n'avait pas prévu la contrainte sismique doit être dénoncé. Tous les appels d'offres d'exploration doivent être gelés sur la base d'une seule question qu'aura à trancher le futur gouvernement d'entreprise de Sonatrach. L'Algérie a-t-elle toujours intérêt à partager sa production avec une telle flambée du baril et les capacités de forage prouvées des Algériens ? Une réflexion sur la renationalisation à 100% de notre sous-sol doit être menée. L'engagement de l'Algérie sur l'après-pétrole autorise la création d'un nouveau ministère des énergies alternatives en réactivant le Commissariat à l'énergie atomique et en créant un commissariat à l'énergie solaire. Il est étonnant que le débat sur la cotation d'un prix de référence pour le gaz n'ait pas encore eu lieu malgré les invitations insistantes de la Russie, l'Iran, l'Egypte et le Vénézuela. L'indexation des contrats gaziers fait perdre à l'Algérie beaucoup d'argent. L'opportunité de créer un fonds souverain ne doit pas attendre 5 ans, selon le vœu de Khelil, mais d'abord être précédée de la nécessité de créer une caisse de dépôts pour l'investissement national. La gestion des réserves ne doit plus être concentrée entre les mains du staff de la Banque d'Algérie qui a déjà prouvé son incompétence avec les scandales bancaires et son inconsistance en ne démissionnant pas. L'Etat doit aussi réfléchir à un sérieux arbitrage entre deux paramètres fondamentaux. D'une part, le «niveau de production utile» pour les besoins financiers du pays, d'autre part, le «niveau de réserves utiles» pour subvenir le plus longtemps possible aux besoins de la consommation nationale. Il est enfin temps d'engager un débat sérieux sur la politique salariale de Sonatrach et du secteur public en général qui restent déconnectées de la réalité même au contact des concurrents privés. Les salariés n'ont qu'une vie et leurs parents ont déjà fait des sacrifices.