Au-delà de la ville de Berrouaghia, en allant vers l'est, sur la nationale 18, les daïras d'El Omaria et de Sidi Naâmane, encastrées derrière l'imposant massif de l'Atlas blidéen, rappellent à bien des égards et avec insistance cette image sommeillante des petites villes des années 1980 où, tout juste, quelques commodités commencent à peine à pointer dans le vécu de la population. A deux heures de course de la ville des Roses, cette région du Tell n'a rien à envier à la somptueuse Mitidja. Vu la fertilité du terroir, l'abondance des ressources hydriques et le climat favorable à l'arboriculture, la céréaliculture et le maraîchage, le défunt Boumediène, en visite dans les années 1970 dans cette région, l'avait qualifiée de deuxième Mitidja. De vastes étendues peu urbanisées, des fermes en branle-bas d'ambiance champêtre, campagne en foule coloris… un voyage dans le temps, comme dirait l'autre, mais également, un voyage dans la saison. La fraîcheur qui caractérise ces étendues verdoyantes de l'arrière montagne de Bougara, de Larbaâ, de Meftah… fait durer la parure de l'herbe drue et fraîche du printemps jusqu'aux contours du mois de juin. A peine quelque kilomètres franchis vers l'est, à partir de la ville de Berrouaghia, notre compagnon, un fonctionnaire de la région de Sidi Naâmane, pointe du doigt, du côté droit, deux immeubles de type R+2 en état de délabrement avancé. Il s'agit, nous apprend-il, d'un ancien projet de construction d'un institut dédié à l'agriculture. A peine l'équipement était sur le point d'être réceptionné, qu'il a été délaissé suite à la dégradation de la situation sécuritaire qui a prévalu dans la région dans les années 1990. A gauche, les contrebats du col de Ben Chicao avec leurs pentes raides, « bourrées » d'antennes de télécommunications, de pylônes haute et très haute tension dominent la RN18. Ces hauteurs couvertes de chênes verts, de chênes-liège et de pins d'Alep donnent naissance à une hydrographie très active dans la région. Plusieurs oueds, dont le plus important, l'oued El Hammam qui, drainant des eaux plus limpides que les oueds de la Mitidja, mais tout juste bons pour l'irrigation. En effet, un début de pollution commence déjà à les affecter en raison des rejets des eaux usées non traitées. Nous progressons vers l'est, le relief s'aplatit quelque peu, une plaque attire notre attention : Beni Slimane 40 km, Bouira 105 km, mais l'imposante montagne du Djurdjura remplit déjà l'horizon lointain ; une véritable « muraille de Chine » qui donne l'impression de « couver », vers le nord-est, un autre monde qui se faufile derrière son relief intercalé. Entre le massif de l'Atlas blidéen et les montagnes du Titteri, une immense vallée couvre toute la région, de Berrouaghia à la wilaya de Bouira, en jouxtant presque la vallée de la Soummam. Le décor des vergers ondoyants nous gratifie, tantôt à gauche, tantôt à droite, de cette pittoresque image sempiternelle des campagnes algériennes : de jeunes bergers veillant, comme si le temps avait arrêté sa course, sur leurs troupeaux, des points minuscules, en fait, des paysans, dans leurs champs, tout à l'œuvre du « fonds qui manque le plus ». Tout autour et au voisinage des habitations, clairsemées et couvertes de tuiles rouges, dans un décor qui semble à peine bouger, l'âne, la vache, les poules, les chats et les chiens font leur apparition. Après des années de peur, la vie reprend progressivement son petit bonhomme de chemin. Centre-ville de Sidi Naâmane : Point de confluence des villageois Les cafés grouillent de monde, la kachabia, l'on ne se départit pas de sitôt et, entre un thé et un café, le temps s'écoule indéfiniment. Bien attablés dans un café ou n'importe où, peu importe, l'on s'échange un tas de sujets, l'on fait ses commissions et retour aux patelins éparpillés au risque de rater les quelques tacots qui font des rotations, à vrai dire, pas toujours « arrondies ». Ici, les gens sont prolixes et le contact est on ne peut plus facile. Un jeune d'El Mrabtine, une mechta qui se trouve à quatre kilomètres de Sidi Naâmane, affirme : « Préférer souvent, au lieu de faire le pied de grue, pratiquer plutôt la marche à pied pour rejoindre le centre de formation, situé au chef-lieu de la commune. » C'est vrai, ajoute-il : « Depuis quelque temps, côté moyens de transport, ça commence à rentrer dans l'ordre, mais c'est tout juste au SMIG du minimum nécessaire. » « El Mrabtine, débite-t-il, manque des commodités les plus élémentaires. Notre village est constitué d'environ 150 maisons, toutes non raccordées au réseau AEP. Nous ne devons notre salut qu'à un agriculteur qui a creusé un forage juste à côté des habitations. Il vient une à deux fois fois par semaine, ce qui nous permet de nous ravitailler en eau pour tout le reste de la semaine. A défaut, quand il s'absente, nous buvons de l'eau stockée, sinon, nous sommes obligés de nous déplacer très loin pour nous offrir le liquide précieux. » Quelque peu énervé, il enchaîne : « Chez nous, ni hanout (épicerie), ni dispensaire, ni aire de divertissement, peut être que c'est par erreur qu'ils ont construit une école primaire dans ce patelin perdu. » Même constat pour les autres bourgades relevant de la daïra de Sidi Naâmane, Ouled Rahmoun, Khams Edjoumaâ, Bouchrahil… L'habitat rural piétine, le manque de projets d'équipement, le secteur du logement accuse la même cadence, le chômage... Pour, Nechad. M. P/APC de Sidi Naâmane : « Si le projet du grand pôle urbain, projeté à la sortie est de la ville, aboutirait, la région de Sidi Naâmane va connaître une nouvelle cadence en matière de développement d'activités génératrices d'emploi. » Nous ne quittons pas cette localité sans cette pointe d'humour du P/APC qui dit qu' « on confond souvent Sidi Naâmane, relevant de la wilaya de Médéa, à Sidi Naâmane de la wilaya de Tizi Ouzou ». Les courriers s'interchangent, ce qui ne plaît ni aux uns ni aux autres, surtout quand des missives officielles réceptionnées par erreur rappellent incessamment un « dû » à régler dans les plus bref délais. Plein cap sur la ville d'El Omaria A mi-chemin, entre Sidi Naâmane et El Omaria (ex-Champlain), un paysage lacustre nous impressionne, nous sommes à l'arrêt ; il s'agit du barrage Ladrette. Un miroir d'eau bleuâtre qui occupe sur plusieurs centaines de mètres les dépressions naturelles du relief légèrement ondulé de la région d'El Omaria. La végétation y est plus dense, les roseaux dominent les lieux, l'arboriculture y paraît prospère. Ce barrage est destiné à l'agriculture, mais, selon notre compagnon, les autorités vont installer prochainement une station de traitement pour renforcer l'AEP dans la zone d'El Omaria. Çà et là, pointent des carcasses de nouvelles villas en cours de construction ou d'anciennes en état de délabrement. Selon notre compagnon, la plupart des propriétaires de ces villas ont souvent des résidences secondaires, des appartements, des haouchs… à Blida, Alger, Tipaza et ailleurs. Il s'agit bien évidement de riches agriculteurs ou anciens propriétaires de cheptel bovin de la région, sinon, ajoute-t-il : « La majorité de la population vit du salariat et de l'effort individuel, à l'exemple des jeunes qui, en dehors des travaux saisonniers, n'ont aucune autre activité rémunérée. » La Fouara d'El Omaria : Une mémoire de la Révolution Tous les jours de la semaine, le centre-ville d'El Omaria ne désempli presque jamais, taux de chômage oblige, les va-et-vient des jeunes en quête d'éventuelles occasions de travail qui se transmettent de bouche à oreille. La même ville abrite un point nodal « la fouara » (fontaine), un rappel à la mémoire. Plusieurs moteurs d'anciens avions « incrustés » comme par à-coups de peinture dans le décor architectural de la fontaine publique qui embellit le centre-ville d'El Omaria. Tout autour de la fontaine jaillissante, des bancs qui servent de lieux de repos pour les vieux retraités de cette ville rurale, mais aussi pour les jeunes chômeurs bourrés ou non de diplômes. Un vieux, septuagénaire et non moins gaillard, nous accoste : « Ces moteurs d'avion que vous voyez appartenaient à deux avions qui ont été abattus dans les années 1956 par les éléments de l'ALN, à oued Boussouar du côté des montagnes des Beni Messaoud et des Beni Misra à quelques dizaines de kilomètres de Chréa. » Elevage bovin, agriculture, réhabilitation des mechtas … La région d'El Omaria est bien réputée pour la haute qualité de ses pommes, de ses cerises et de son maraîchage. Quand la saison est bien avenante, les prix de la pomme de terre peuvent descendre bien en deçà des 25 DA le kg (prix détail). Mais si les conditions climatiques et la qualité du sol s'y prêtent bien à une arboriculture intensive et un maraîchage de qualité, des avis des uns et des autres, ce sont les moyens qui manquent le plus. Les déboires de l'agriculture dans la région n'en sont pas à leur stade ultime, car après les mésaventures causées durant la décennie noire, vient s'ajouter, ces dernières années, la flambée des prix du matériel agricole, des engrais et de la semence, avons-nous appris, lors de nos discussions avec quelques fellahs. « Un simple agriculteur peut-il acheter un tracteur qui vaut 160 millions de centimes. En plus de l'outillage et des accessoires pour le faire fonctionner dans les normes, il faudra débourser plus de 250 millions de centimes. Maintenant, si vous voulez parler de l'élevage bovin, l'essor de ce dernier est étroitement lié à l'essor de l'agriculture aussi. Pas de flaha (agriculture) pas d'élevage bovin. A 7000 DA le quintal d'engrais pour couvrir les besoins d'environ deux ha, imaginez un peu les besoins pour 20, 30 ou 40 ha ! Ce qui explique, d'ailleurs, que depuis la décennie noire, beaucoup d'agriculteurs ont définitivement quitté. Ils se sont établis dans la Mitidja ou ailleurs et ils ne vont certainement pas revenir à cette région sans perspectives claires de développement rural. » Sur un autre plan, les mechtas d'El Omaria ont connu des actes de vandalisme après que leurs habitants les eurent quittées pour des raisons de sécurité. « Dans certains endroits isolés, on a saccagé toutes les lignes électriques, défoncé les routes, volé les tuiles des toitures, fenêtres, portes des maisons... Un autre problème se pose aussi avec acuité : avant leur fuite vers les grands centres urbains, les villageois ne payaient pas l'électricité et les dettes se sont accumulées au fil des années. Maintenant, les pouvoirs publics ont pressé ces ruraux, qui sont d'ailleurs prêts à réintégrer leurs mechtas respectives et renforcer ainsi la sécurité des postes avancés, à payer d'un seul bloc leur dus. En principe, dans ce genre de situation, ils devraient du moins établir un échéancier pour ces pauvres malheureux. On a même condamné des personnes à un mois de prison ferme et a plus de six à sept millions de centimes », déplore un habitant d'El Omaria. Si l'infrastructure de base des villages de Madala, Ouled Tourki, El Bdarna…viendrait à être réhabilitée, le développement rural dans cette région, selon cet habitant, s'en suivra certainement. Par ailleurs, les habitants d'El Omaria misent aussi sur le projet de réalisation de la route qui devait joindre Bougara (Blida) à El Omaria (Médéa). Dans ce volet, nous avons appris que la partie inscrite dans le territoire de Médéa est à 98% du taux de réalisation. « D'ici, nous pouvons joindre Alger qui est à 80 km de distance ainsi que la ville de Bougara (ex-Rovigo) à moins de 56 km », optimiste, déclare un habitant de Haouch Eddi, une ferme coloniale qui longe la route en question. La nouvelle route, traversant plusieurs localités éloignées de la région, devra, selon les pronostics, drainer un important flux de voitures de toute la région d'El Omaria, de Sidi Naâmane, d'El Azizia, de Berrouaghia… ce qui permettra ainsi de désenclaver la région et de créer de l'emploi. Au niveau de Haouch Eddi, nous avons rencontré le représentant des habitants. Pour la plupart, il s'agit, selon ses propos, de familles d'anciens de l'ALN qui vivent sur les terres de cette ferme depuis plus de 30 ans, sans aucun acte de propriété, ni subvention de l'Etat. « Il y a presque 6 ans, l'ancien maire nous a promis de régler notre situation. Il nous a même autorisés à creuser des fondations. Nous avons déboursé plus de 6 millions de centimes pour la réalisation de plateformes mais, par la suite, les autorités nous ont sommés d'arrêter tous les travaux en raison du statut du foncier, relevant du domaine de l'Etat », nous dira notre interlocuteur, qui précise par ailleurs que leur problème a été maintes fois exposé aux autorités locales et au wali sans connaître pour autant d'épilogue. Signalons enfin qu'il s'agit de la région d'El Omaria, de Sidi Naâmane et des bourgades éparpillées entre Berrouaghia et Beni Slimane, le constat est identique : manque d'équipements, de moyens de transport, de logements, d'emplois... Fixer la population dans les zones rurales ne consiste pas seulement à construire des cités dortoirs et investir dans l'équipement, il faut créer des activités génératrices d'emplois, seule condition pour asseoir l'équilibre régional et booster le développement rural dans cette luxuriante région du Tell.