Déjà, dans les années vingt du siècle dernier, le grand prosateur, Taha Hussein, fraichement formé dans les universités françaises, en avait donné lecture d'une manière résolument moderne dans la presse de l'époque, ainsi qu'à travers son enseignement à la faculté des lettres du Caire et dans ses différents essais universitaires. « Quel mal, s'était-il interrogé tant de fois, à redonner forme, en langue arabe moderne, à cette poésie si ancienne ? Tous ces siècles qui nous séparent de ces poètes anciens ont fait qu'il nous serait difficile, aujourd'hui, de les comprendre s'ils se mettaient à nous parler en faisant usage de leur langue.» Et Taha Hussein d'ajouter encore : «Si les Français ont éprouvé le besoin de traduire, en langue moderne, certaines de leurs œuvres littéraires du Moyen-Age, il serait de bon ton, en ce qui nous concerne, de mettre la poésie de l'ère préislamique à notre niveau par le truchement de cette langue si aisée que nous affectionnons tant dans nos causeries. » En vérité, Taha Hussein n'innovait en rien sur ce chapitre, puisque l'idée de donner un cachet typiquement moderne aux œuvres littéraires anciennes, d'allure épique principalement, a bien été mise en pratique dans le monde occidental et ailleurs par des traducteurs ou des prosateurs de grand talent. Sur un autre plan, cette entreprise de modernisation n'a eu de cesse de s'élargir en s'appuyant, cette fois, sur les différentes techniques audiovisuelles, picturales et autres formes artistiques. L'enjeu est immense : sauver des œuvres de l'oubli, assurer leur longévité, notamment à travers l'école où de jeunes esprits ne peuvent s'accommoder de textes déjà illisibles par le commun des adultes. Les mouaâlaqates qui rappellent, par bien des aspects, de belles montures superbement harnachées, ont fait, depuis le sixième siècle, l'objet de nombreuses exégèses philologiques et grammaticales. Toutefois, elles n'ont jamais pu être mises à la portée des lecteurs de tous les niveaux. Taha Hussein, en proposant des adaptations en langue arabe moderne de ces poèmes épiques, s'est sûrement inspiré de la démarche occidentale en la matière. Déjà, du temps où il préparait sa thèse à la Sorbonne, L'Iliade et l'Odyssée d'Homère avaient connu plusieurs adaptations dans les langues modernes. Le Ramayana et le Mahabharata, ces deux épopées de l'Inde classique composées en ancien sanskrit, avaient également fait le passage vers la modernité grâce à de nouvelles adaptations. L'Eneide de Virgile a connu le même bonheur. On pourrait même dire que cette épopée n'est plus lue en latin, sinon par de rares spécialistes de la littérature antique. Si les Essais de Montaigne ont été rendus en français moderne, que dire alors des épopées scandinaves et des poèmes des Indiens d'Amérique ? L'exemple le plus récent en ce domaine est celui du poète Seamus Heaney, prix Nobel de littérature, qui vient de moderniser le Beowulf, épopée anglo-saxonne, en recourant à une traduction très souple et aérée à la fois. C'est dire que le passé littéraire de toute l'humanité demeure toujours vivant, en tout cas prêt à renaître, même s'il lui arrive, parfois, de somnoler des siècles.