La justice américaine se souviendra de lui. Lakhdar Boumediene, 43 ans, détenu pendant sept ans à Guantanamo a réussi à faire plier la loi et a été innocenté. Les supplices de la grève de la faim, les punitions, le chantage pendant les interrogatoires, il raconte, pour la première fois dans un média algérien, l'enfer de la prison cubaine. Nous sommes allés aussi à la rencontre de sa famille à Saïda. Bouleversant. « On lui a proposé un pèlerinage à la Mecque, mais elle a refusé !" Elle nous a dit : « Je préfère aller voir mon fils ! » Heureux, soulagés, éprouvés, pendant sept ans, les cinq frères et quatre sœurs de Lakhdar Boumediene sont restés soudés autour de Mohamed, 52 ans, le père et Rahma, 66 ans, la mère, dans le F3 familial de Ryad, un quartier en périphérie de Saïda. Aujourd'hui, ils ne souhaitent qu'une chose : oublier ce jour terrible où ils ont appris l'arrestation de leur frère et tous ceux qui ont suivi. « Nous regardions Al Jazeera, se souvient Larbi, 46 ans, professeur universitaire en électrotechnique à Saïda. Notre mère s'est effondrée. Elle est restée hospitalisée pendant un mois. Elle a tellement pleuré qu'aujourd'hui, elle porte des lunettes. Mon père, lui, pleurait en notre absence. Il a perdu un œil. » Le seul lien entre eux et Lakhdar, ce sont les lettres qui leur parviennaient… trois mois plus tard. Parfois par courrier, parfois par le biais du Croissant- rouge algérien. « Mais il n'y avait rien sur son état ni sur les conditions de sa détention. Comme s'il était en vacances », poursuit son frère. Louiza, sa belle-sœur installée à Nice et jointe par téléphone raconte la même chose. « Il se contentait de demander de nos nouvelles. Les autres passages étaient barrés. » Pour la famille, son innocence n'a jamais fait de doute. « Il était coupable d'être musulman », tranche l'aîné. A Saïda, tout le monde s'accorde à dire que Lakhdar n'a rien d'un intégriste. « Mon frère a poursuivi sa scolarité jusqu'au collège avant de travailler à la cimenterie de Oum Djerane, à une vingtaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya", témoigne Abdelkader. Puis comme tous les jeunes plein de fougue, il voulait voir le monde et est parti à l'étranger pour trouver un emploi stable et s'installer définitivement. D'abord en 1989 en Arabie saoudite pour un stage d'anglais, puis au Pakistan, en Albanie et enfin il s'installa définitivement en Bosnie, entre autres grâce à un de nos voisins de Saïda résidant en Bosnie. Il avait un travail dans une association humanitaire, un logement et vivait paisiblement avec sa femme et ses deux filles. Pendant sept ans, Rahma a suivi toutes les émissions sur Guantanamo. « Pensant qu'elle allait voir son fils, ajoute Abdelakder. Elle était traumatisée par la tenue orange des prisonniers ! Quand nous avons su qu'il allait être libéré, nous l'avons préparée doucement, de crainte d'un choc émotionnel trop fort. » A Nice, Louiza ne cache pas sa joie. « Quand je l'ai vu, je suis tombée sur lui en pleurant, et c'est lui qui me calmait, plaisante-t-elle. Il n'arrivait pas à croire qu'il était avec ses filles ! Vous-vous rendez compte ? Sa fille dort depuis sept ans avec sa photo ! Il y a des jours où nous ne pensions pas le revoir. C'est un miracle. » Hier, Abassia, sa femme, nous a aussi parlé au téléphone. Heureuse, évidemment. « Je vais tout faire pour oublier et lui faire oublier ce qu'il a vécu. Après nous verrons si nous restons en France ou si nous rentrons en Algérie. Moi, je pourrais vivre n'importe où. L'essentiel, c'est que je sois avec Lakhdar… » Mélanie Matarese, Sid Ahmed