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Patrimoine vivant-Les tisserandes du Gourara : Le métier d'amour
Publié dans El Watan le 25 - 12 - 2008

Elles sont en quelque sorte des artistes qui créent sur leurs métiers, du nord au sud de l'Algérie, des œuvres admirables en chantant les mélopées de la vie d'antan. Entre des fils de chaîne, elles passent transversalement des fils de trame, aux couleurs multiples et montent des motifs carrés, triangulaires, en losanges, en lignes ou en zigzags avec une assurance et une habilité qui forcent l'admiration. Elles travaillent avec aisance et souplesse, se fiant à leur inspiration, à leur savoir-faire et à leur expérience. Ces femmes existent encore et, malgré les difficultés, malgré les changements, elles maintiennent en vie un patrimoine.
Parmi elles, les femmes de Timimoun, d'El Menaâ et des ksour du Gourara qui se rassemblent depuis deux années dans l'atelier Enn Nahda (la renaissance) créé à Timimoun pour redonner vie aux tapis zénètes gouraris (tapis berbères du Sud-Ouest algérien). Quotidiennement, elles se retrouvent pour mettre en œuvre un projet ambitieux et remarquable, conçu et coordonné depuis l'année 2007 par l'Association algérienne des droits de l'enfant et de l'adolescent, présidée par Hocine Kadiri à Timimoun et 1'association française Trait d'union solidarité Alsace, présidée par Mme Marie-Claire Radigue, toutes deux composées uniquement de bénévoles et agissant dans une parfaite synergie.
Intitulé Femmes de Timimoun, d'El Menaâ et des ksour du Gourara, le projet de coopération entre les deux associations, a pour but de promouvoir et préserver la culture du tissage, revaloriser le tapis zénète et entretenir son héritage artistique en initiant et en formant de jeunes tisserandes dans la région du Gourara.
Fatima Bahmane, 24 ans, est l'une de ces jeunes tisserandes rencontrée à Timimoun. En 2006, elle a étudié les techniques du tissage dans un centre de formation et, l'année suivante, elle a rejoint l'atelier Enn Nahda avec Khadidja, Djamila et Halima pour suivre l'enseignement d'une tisserande expérimentée d'El Menaâ. Aujourd'hui, elle transmet son savoir-faire à de nouvelles apprenties. Assise face à son métier, elle confectionne un tapis, baptisé Aharache, du nom d'un ksar de Timimoun, de 1,85 m de longueur et 90 cm de largeur. Au fur et à mesure qu'elle tisse des bandes blanches, vertes et oranges, de trois centimètres de long, avec précision et rapidité, elle tasse les fils de trame avec el khalaba, un peigne en métal. «Les tapis makrout, el arbi, tazaghart, aharache, magdoud,…, nous explique-t-elle, portent des motifs propres à la région de Timimoun, tandis que les tapis, goundam blanc et nedjma sont ornés des motifs d'El Menaâ. Grâce à la coopération et aux différentes démarches menées par Mme Radigue, et M. et Mme Kadiri, j'ai aujourd'hui un métier qui m'enchante et qui revalorise un fabuleux produit du terroir.»
Contactée en Alsace, Mme Marie-Claire Radigue, nous raconte la genèse de cette belle initiative : «Aider et soutenir les femmes tisserandes de Timimoun n'est pas une idée nouvelle. C'était l'un des rêves de Suzel Faizant-Iung, fondatrice de TUS Alsace et de notre présidente jusqu'à son décès en avril 2005. Ce qui est nouveau, c'est que le projet vise à la fois la sauvegarde d'une identité et d'un patrimoine et la formation à la connaissance de ce patrimoine pour de jeunes tisserandes gouraries.» Le projet a fait l'objet de réflexions et de préparatifs intenses durant toute l'année 2006. L'association alsacienne a notamment consulté plusieurs institutions publiques comme la CAM d'Adrar et des musées d'Alger ainsi que le Relais des artisanes de Touggourt à Vieux-Kouba tenu par des Sœurs Blanches. Le projet a vu le jour notamment grâce à l'aide de Mmes Amamra et Azzoug, respectivement conservatrices du Musée national des arts et traditions populaires et du musée du Bardo.
Des photographies de tapis anciens du Grand Touat (Gourara, Touat, Tidikelt, Tinerkouk) conservés par ces institutions patrimoniales ont été réalisées. Sur la base de cette iconographie authentique, des prototypes ont été réalisés par des maîtresses-artisanes chevronnées.
A raison de deux cessions par an, des formations ont été ensuite organisées au profit des jeunes tisserandes, pour les initier à la connaissance et à la reproduction fidèle de ces modèles anciens. Une attention particulière a été apportée durant cette phase à la régénérescence des techniques authentiques, dans le respect des matériaux, des motifs et des teintes naturelles. Il est d'ailleurs prévu en février prochain à Timimoum un premier stage consacré aux pratiques traditionnelles de teintures à base d'éléments naturels.
L'initiative a suscité un bel enthousiasme qui a rendu aisée la mobilisation des énergies et des bonnes volontés. Le bilan parle de lui-même. Cinq emplois ont été créés depuis avril 2007. Quatre stages de formation de plus de 80 jours et un de gestion et commercialisation, organisé par le CAM d'Adrar ont été organisés. Les tisserandes formées maîtrisent actuellement 18 motifs de tapis. Par ailleurs, l'association a pu louer, rénover et équiper un atelier doté de quatre grands métiers à tisser. Pour se faire, un financement a dû être mis en place.
«Le projet, explique Mme Marie-Claire Radigue, a été rendu possible grâce la participation financière de l'Association algérienne des droits de l'enfant et de l'adolescent ainsi que de l'association Trait d'union solidarité Alsace. Un ami de Timimoun a offert un climatiseur et nous avons reçu une subvention de 2000 euros, en 2008, du ministère français des Affaires étrangères et ce, grâce à l'intervention du député-maire de Ribeauvillé Jean-Louis Christ. La mairie de Kaysersberg nous a accordé également deux subventions, l'une de 600 euros en 2007, puis une autre de 900 euros en 2008 pour l'acquisition des métiers à tisser.
Enfin des amis nous soutiennent par des dons.»
Le travail réalisé a permis d'engager la promotion de l'atelier et de ses productions. Pas moins de quinze expositions ont eu lieu en Alsace en 2007 et onze en 2008. Pour l'année prochaine, ce nombre sera porté à vingt expositions. En Algérie, outre la participation de l'atelier En Nahda au Festival du tapis de Tizi Ouzou, des expositions ont été programmées le mois dernier à Timimoun et Adrar. Le Musée national des arts et traditions populaires, sis dans la Basse-Casbah d'Alger, prévoit une grande exposition en 2009 dont la préparation a déjà commencé. Les tapis de l'atelier En Nahda ont été particulièrement appréciés pour leur qualité et leur authenticité. «Tous ces tapis, explique la jeune Fatima Bahmane, sont tissés à base de laine naturelle. Le filage de la laine naturelle confère la qualité et la valeur du tapis, mais cette opération ne se fait pas dans notre atelier. Prochainement, nous apprendrons les techniques de la teinture végétale. Ainsi, nous teinterons nous-mêmes notre laine. Actuellement, nous recevons les fils pour confectionner les tapis en deux ou trois semaines de travail et nous y mettons tout notre amour.»
La commercialisation des tapis par l'atelier génère des revenus qui devraient lui permettre à terme de s'autofinancer complètement. D'ores et déjà, grâce au soutien de l'association alsacienne, des amateurs français, belges, suisses et allemands ont acquis des productions des jeunes tisserandes de Gourara qui commencent aussi à vendre sur place à Timimoun notamment. « Le but pour les années à venir, précise notre interlocutrice, est évidemment d'assurer la promotion et la vente sur le territoire algérien. Les prix, abordables, varient entre 4000 et 7000 DA. » L'aide au lancement projet a été prévu pour une période de six années. A son issue, l'atelier sera en mesure de voler de ses propres ailes et se constituer en pôle de rayonnement régional. Pour l'année 2009, il est prévu l'accueil de nouvelles stagiaires, l'acquisition conséquente de nouveaux métiers à tisser ainsi que l'organisation de stages de tissage et de teinture végétale. Parallèlement, se poursuivra avec les musées d'Alger, l'étude du patrimoine que constitue la tradition du tapis zénète Le respect des normes techniques et artistiques anciennes qui ont personnalisé ce riche pan du patrimoine de la tapisserie algérienne est au cœur du projet. Pour autant, les jeunes tisserandes sont aussi encouragées à «créer» des modèles plus contemporains à partir des motifs du patrimoine.
«Si on vous demande pourquoi nous faisons tout cela, conclut Mme Marie-Claire Radigue, dites que c'est par amour. Par amour de l'Algérie, par amour du Gourara, par amour des jeunes femmes qui peinent à trouver du travail, par amour et par solidarité avec ces tisserandes courageuses qui méritent à coup sûr d'être épaulées dans leur volonté d'insertion dans la vie professionnelle et dans leur désir de participer à l'essor économique et culturel de Timimoun et du Gourara».
Une belle illustration de la combinaison d'une vision et d'une volonté menée par des associations pour revivifier un trésor qui menaçait d'être irrémédiablement perdu. La région du Touat-Gourara mérite un tel engouement, car en plus de ses potentialités touristiques reconnues, elle renferme des éléments précieux de la culture algérienne. Cette initiative qui contribue à la renaissance du tapis zénète vient rejoindre les efforts entrepris pour les autres expressions de la région et notamment ses richesses musicales, le gnawi et le ahl ellil, qui connaissent aujourd'hui un regain qui dépasse les frontières nationales. L'atelier En Nahda est aussi un exemple de coopération internationale citoyenne soutenue par des institutions publiques et qui, avec finalement plus de motivation et d'organisation que de moyens, se traduit par des résultats très positifs sur le terrain. Cette initiative pourrait d'ailleurs servir de modèle ou de référence à tous ceux, associations, musées, autorités locales ou autres, qui souhaitent redonner vie à des traditions artisanales en déperdition.
En attendant, les jeunes tisserandes du Gourara tissent, dans la joie et la sérénité, une nouvelle et belle page de vie pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs proches et leur magnifique région.


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