Ce summum de désespoir est loin d'être synonyme de son abdication devant le système qui lui apparaît finissant, bien que résolument accroché à son pouvoir. L'atomisation et la passivité de la société seraient plutôt dues aux reniements et au calquage du fonctionnement des institutions décrié et condamné par tous, par une classe politique qui s'enlise d'année en année dans une «normalisation» effarante. Les autres mouvances (islamiste, conservatrice, arabo-islamiste, clientéliste) étant délétères pour la démocratie, les partis politiques de la mouvance démocratique semblent, quant à eux, incapables de faire leur propre mutation pour dépasser leurs archaïsmes et instaurer en leur sein une véritable démocratie interne qui, faudrait-il le reconnaître, est absente de ces structures devenues de simples appareils sans projection réelle dans la société. Il est pénible en effet pour n'importe quelle plume démocratique de rendre publiques les tares de partis que nous aurions aimés voir ne pas dévier de leur socle démocratique pour jouer sur la corde raide des flancs démocratistes. Ce n'est guère de gaieté de cœur, quoi qu'on dise d'ailleurs, que la responsabilité éthique nous impose d'aborder enfin la réalité peu reluisante du fonctionnement de ces partis démocrates qui, à leur insu ou de gré, n'ont fait que reproduire le schéma du parti unique pour nous retrouver avec un multipartisme décousu et trompeur. Un multipartisme fait de plusieurs partis uniques en fait. Et pour cause : les exemples sont nombreux d'oppositions ou de différends internes qui aboutissent systématiquement à l'exclusion. Comme au FLN, on ne badine plus avec l'acquiescement dans nos chapelles démocratiques. Il est difficile de retenir l'explication en vogue qui prend systématiquement le raccourci de mettre sur le compte de manipulation du pouvoir qui aurait manipulé ces «oppositions internes» et que la «vigilance du parti» aurait réussi à neutraliser. Si des cas pourraient se retrouver dans ce schéma, c'est loin d'être le cas des cascades de «démissions» ou d'«exclusions» qui ont jalonné la vie, pourtant si courte, de notre opposition démocratique. Leur éloignement toujours grandissant duquotidien du citoyen est, en partie, la résultante de cette saignée. D'autres raisons existent en effet et qui expliquent ce processus d'affaiblissement allant crescendo des partis d'une mouvance démocratique difficilement définissable. Loin de se vouloir exhaustive, cette approche critique citerait l'absence de l'alternance qui flirte avec le culte de la personnalité. Il n'est pas question ici de remettre en cause la compétence et les valeurs intrinsèques d'un Sadi par exemple, mais de là à monopoliser la présidence de son parti sans alternance durant près de 20 ans, cela n'est pas sans soulever des questions d'éthique et de démocratie réelle et c'est la porte ouverte au scepticisme. Que dire d'un Aït-Ahmed qui, bien qu'établi définitivement en terre helvétique, continue de régner sans partage, en véritable monarque sur son parti et ce, depuis 1963 ! ? Ne pas se poser de questions dans pareilles situations, c'est participer à la consolidation de la culture de l'unanimisme qui est aux antipodes de l'intelligence et donc de la démocratie tout court. L'argument auquel on recourt souvent pour justifier cette anomalie, c'est le «plébiscite souverain des militants de la base qui auraient voté ‘‘unanimement'' pour le même président lors des congrès». Un peu à la manière du régime algérien qui, depuis 1962, recourt à cet artifice pour expliquer son maintien permanent au pouvoir, les partis de la mouvance démocratique versent dans ce vocabulaire populiste pour expliquer l'indétrônabilité non seulement d'un président du parti mais souvent, même celle de certains membres influents de la direction qui, malgré l'arrivée de nouvelles compétences jeunes, continuent de jouir d'une légitimité tantôt «historique», tantôt «enfant-de-chahidiste,» tantôt carrément «claniste»ou «consanguine» qui sont autant de «qualités» requises pour se voir admis dans le cercle du personnel du pouvoir algérien. Cette situation a, logiquement, produit l'autre faille qui consiste à voir une partie de la militance, à défaut de pouvoir accéder au poste de responsabilités dans leur propre parti, en raison de la fermeture des voies d'accès ou en raison de leur médiocrité, se recycle dans une carrière d'«élu» ou de «candidat» épiant la moindre élection locale, de préférence à l'APW, au mieux, pour le gros lot, à la députation. Ainsi, il n'est pas difficile de constater l'omniprésence de plusieurs noms sur les mêmes listes lors de toutes les consultations électorales qui ont eu lieu depuis 1989. Cet état de fait peut s'avérer relatif s'agissant des élections municipales mais l'omniprésence de certains noms aux premières loges des listes APW (assemblée départementale) et celles pour les législatives est assez frappante. Pire, certains «recalés» des listes pour la députation se retrouvent recyclés aux premières loges dans les listes APW comme ce fut le cas lors des législatives du 17 mai 2007 et des locales (APC – APW) de novembre de la même année. Avec un système aussi fermé devant les nouvelles compétences qui se retrouvent souvent reléguées, des années durant, au rang d'exécutants, de «colleurs d'affiches» et de «pompiers» quand il s'agit de combler un vide, car n'ayant pour seule arme que leur compétence et la force de leurs convictions idéologiques, on est en droit de se poser des questions, notamment celle qui consiste à dire : n'y aurait-il plus de relève dans les partis de la mouvance démocratique pour recourir, des décennies durant, aux mêmes têtes qui, du reste, n'ont jamais été soumises à l'évaluation de leurs bilans ? Nous ne pouvons aller plus loin dans notre propos sans noter un exercice politique qui pèche par un manque de crédibilité aux yeux du citoyen-électeur qui se sent de plus en plus floué en ayant accepté de servir d'alibi à la légitimation de mascarades électorales dont le vainqueur est tout désigné parmi les listes issues des partis du pouvoir et de leurs alliés et où viennent s'imbriquer, par intermittence, quelques «députés» issus des partis de la mouvance démocratique dont les motifs de leur démarche participative se résument souvent à la nécessité d'être présent dans l'hémicycle parlementaire pour «porter la voix des plus démunis» au plus haut niveau ! A la question de savoir si cette stratégie ne serait pas en fin de compte l'alibi démocratique que rechercherait le régime et de ce fait, l'option du boycott ne serait-elle pas la mieux appropriée tant que la fraude reste une donne incontournable du jeu électoral algérien et tant que le champ politique et médiatique soit fermé, nos partis démocrates rétorquent systématiquement par cette question qui, loin d'être convaincante, renvoie l'image d'une opposition dépassée et par les événements et par l'ambition toujours grandissante de ses cadres et qui consiste à dire : «boycotter et après ?». Les citoyens rencontrés ici et là sont loin de partager cette vision des choses ; pis encore, ils disent majoritairement leur colère de voir des partis en qui ils avaient mis tous leurs espoirs devenir de simples appareils qui, au lieu de former des cadres militants qui ne badineront pas avec les idéaux fondamentaux et l'éthique, se sont transformés en ateliers où se négocient les plans de carrière et les promotions via des positionnements privilégiés sur les listes électorales, notamment celles des législatives. Des exceptions existeraient certes, mais noyées dans le tas, elles finissent par renter dans les rangs et se contenter, comme les autres, de se prêter au jeu de «lève la main» pour percevoir un salaire de député dépassant les 30 millions de centimes dont 80% renfloueront le trésor personnel, les 20% restants étant versés à leurs partis. Il faut rappeler que tout cet argent qui devrait servir au travail du parlementaire, notamment pour l'ouverture, comme cela a été promis lors de la campagne pour les législatives, d'un bureau de proximité dans chaque circonscription à raison d'une permanence par député et par circonscription. Si une telle promesse était tenue, cela générerait logiquement la nécessité de recruter au moins une secrétaire et un assistant parlementaire par député. Le salaire du député serait dans ce cas plus ou moins justifié car outre les salaires de la secrétaire et de l'assistant, voire du loyer, l'ouverture de ces bureaux de proximité rapprocherait le député du citoyen qui aura la possibilité de le solliciter et de lui soumettre ses doléances. Le traitement de ces dossiers et leur prise en charge engendreront forcément des dépenses supplémentaires. Or, de ces permanences, il n'y en a que dalle et ce n'est pas une unique permanence ouverte dans l'enceinte du siège d'un parti politique qui changera quoi que ce soit à cet amer constat. Ceci au moment où 80% de la base militante de ces partis grâce à qui une campagne électorale à eu lieu et des citoyens réticents ont été convaincus d'aller voter pour les futurs députés ou élus APW de leurs partis, vivent dans le dénuement le plus total et dans une indifférence déroutante. Ainsi, en l'absence de tout mécanisme de contrôle ou de solidarité interne, le militant de base fougueux qui, du jour au lendemain, se retrouvant dans la précarité, est tout bonnement abandonné par ce qu'il a toujours considéré comme «son parti». Pendant ce temps, les députés et les cadres (sur)rémunérés faussent compagnie à leurs bases et évoluent dans un univers à mille lieues des préoccupations «d'en bas». Ce phénomène apparu avec les années terrorisme s'est considérablement accru durant ces dernières années à tel point que, dans l'intermède qui sépare deux élections, beaucoup croient qu'ils n'existait plus de multipartisme. Par la force des choses, une idée est venue s'incruster dans les esprits pour se consolider au fil des élections et qui est celle de dire que, n'ayant plus de structures de base opérationnelles en dehors des élections, les partis politiques sont devenus des clubs où accourent les opportunistes de tout poil à l'occasion de chaque consultation électole propulsant à la gestion des collectivités locales (APC) des militants sans culture politique et sans véritable engagement, produisant des gestions décevantes, voire aussi catastrophiques que celle, tant décriée, des représentants du pouvoir (FLN, RND, islamistes). D'où l'apparition de ce sentiment largement partagé ces dernières années qui consiste à dire que « tout le monde estpareil ». Ce sentiment a travaillé en défaveur de l'opposition, puisque repris et amplifié par les canaux du pouvoir, le citoyen a presque succombé puisque, notamment en Kabylie, le FLN est revenu aux affaires dans plusieurs localités. (A suivre)