Rachida râle, peste et rouspète. « Ils nous mentent comme des arracheurs de dents, dit-elle. Bouteflika et ses ministres avaient promis des réductions sur les billets d'avion pour les émigrés algériens, mais au final Air Algérie se contente de faire une promotion pour la saison estivale. Des arracheurs de dents, je vous dis... » Jeudi 4 juin, agence de la compagnie algérienne, avenue de l'Opéra, dans le 2e arrondissement parisien. A l'instar de ces dizaines de personnes qui font la queue pour un billet ou pour une réservation, Rachida, 26 ans, en France depuis quatre ans, espère profiter de cette mesure annoncée en fanfare par les autorités algériennes au cours de la campagne électorale pour la présidentielle d'avril 2009. Mais après quelques minutes passées devant le guichet de l'agence, elle en ressort dépitée. « Ils disent qu'il n'y aura pas de réduction des tarifs en direction de l'Algérie, mais plutôt une promotion en faveur des personnes âgées et des familles de plus de trois personnes, dit-elle. Air Algérie et les responsables algériens nous mènent en bateau. C'est triste. » Déçue, Rachida a tout de même acheté son billet pour passer quelques jours de vacances au bled. Il lui coûtera 430 euros. A ce prix-là, précise-t-elle, elle pourrait passer un week-end en Italie, en Croatie, en Espagne ou au Maroc. Safia et Gaëtan n'en pensent pas moins. Ce couple franco-algérien en a gros sur le cœur. Alors qu'ils pensaient bénéficier d'une réduction substantielle, Safia et Gaëtan ont finalement déboursé 943 euros pour deux billets aller-retour vers Oran. « Ce voyage nous revient trop cher, affirme Safia, 25 ans, responsable dans un magasin dans la banlieue parisienne. Si ce n'était pas pour assister à un mariage au bled, nous ne ferions pas ce déplacement. » Chaque année, ce couple, qui gagne 4000 euros par mois, se rend en Algérie pour des vacances estivales. Mais avec la crise actuelle, il préfère prendre une autre destination. Au mois d'avril dernier, Safia et Gaëtan se sont offert dix jours de rêve en République dominicaine en formule « all inclusive » pour 950 euros. Pratiquement, le même prix qu'un voyage aller-retour pour Alger. « Nous sommes déçus que le gouvernement algérien n'ait pas tenu sa promesse. L'année prochaine, on ira certainement ailleurs qu'en Algérie », tranche Safia. Algériens, voyagez moins cher ! Au départ donc, il y avait une promesse. C'est qu'au cours de la campagne électorale d'avril 2009, le directeur de campagne du président Bouteflika, Abdelmalek Sellal, s'était engagé à revoir à la baisse les tarifs des billets en faveur des ressortissants algériens établis à l'étranger, particulièrement pour ceux qui résident en France. Le ministre de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès, avait relayé les propos de M. Sellal en affirmant que son département avait réservé un budget de 50 milliards de centimes (environ 500 000 euros) pour financer cette opération baptisée « Solidarité avec les émigrés aux revenus modestes ». Evidemment, ces effets d'annonce avaient suscité un fol espoir au sein de la communauté algérienne en France. Au lendemain de la réélection de Bouteflika, Air Algérie fournira ainsi davantage d'explications sur ce cadeau fait aux émigrés. Le 6 mai dernier, un chargé de la communication au sein d'Air Algérie expliquait dans les colonnes d'El Watan les détails du dispositif qui devait prendre effet à compter de cette année. Les parents bénéficieront ainsi d'une réduction allant de 30 à 38%, les enfants âgés entre 2 et 12 ans d'une baisse allant de 56 à 59%, ceux âgés entre 12 et 26 ans auront des réductions entre 45 et 49%, tandis que les personnes du troisième âge, ayant des revenus modestes, bénéficieront d'une baisse de 53%. Pour profiter de cette offre, les personnes concernées devront se présenter au consulat d'Algérie munies de leurs fiches d'émoluments. A son tour, le consulat délivrera des bons que les bénéficiaires pourraient présenter dans les agences d'Air Algérie en France pour enfin obtenir la fameuse réduction. Air Algérie refuse de faire du social Bien qu'elles diffèrent sensiblement des engagements initialement pris par le staff de Bouteflika ainsi que par la direction d'Air Algérie, ces mesures n'étaient pas moins jugées les bienvenues. Sauf qu'elles n'étaient pas réalisables. Ni les représentations algériennes en France ne disposent de moyens pour vérifier les revenus des Algériens établis en France ni la compagnie nationale n'est en mesure de supporter les contrecoups financiers d'une telle opération. Dans une interview accordée au supplément d'El Watan Vendredi en date du 29 mai, le PDG d'Air Algérie reconnaissait ainsi les limites d'un engagement électoral. « Dans notre esprit, explique Abdelwahid Bouabdellah, il n'était pas question de faire du social à la charge d'Air Algérie. L'idée était de combiner deux produits, l'un facilitant l'accueil au niveau de la plateforme aéroportuaire et l'autre facilitant l'acheminement vers la wilaya d'origine. Mais cela s'est avéré très compliqué à mettre en place, et devant tellement de bureaucratie, on a préféré créer de nouveaux tarifs. » Au final donc, la réduction promise s'est transformée en promotion estivale dont la validité expire le 15 juin. De quoi s'agit-il alors ? Les personnes âgées de plus de 55 ans et les familles composées d'au moins trois personnes pourront acheter leurs billets à des tarifs légèrement réduits. Et encore ! Les familles qui en bénéficieront doivent impérativement voyager ensemble, le même jour, à l'aller comme au retour, sous peine de nullité des billets. Petite consolation, tout de même. Les voyageurs auront droit à un supplément de 10 kg de bagages. Pourquoi promettre ce que l'on ne peut accomplir, s'interroge Rachida. « De toutes les façons, les responsables algériens se fichent de tenir leurs engagements, dit-elle. Il aurait mieux fallu ne rien promettre et laisser le soin à la compagnie nationale annoncer elle-même cette petite réduction. » Certes, mais ceci c'est une autre histoire...