Bien triste destin que celui de ce millier de jeunes médecins spécialistes, contraints au chômage, parce qu'ils n'ont pas reçu de la commission ad hoc du ministère de la Santé leur ordre d'affectation au titre du service civil qu'ils doivent obligatoirement effectuer dans un des hôpitaux du pays. Le syndicat des médecins hospitalo-universitaires de la wilaya de Blida estime à plus de 150, le nombre de spécialistes en quête d'affectation, uniquement dans cette région. Il faut savoir que la législation algérienne fait obligation aux spécialistes en médecine de consacrer, au gré de leur lieu d'affectation, une à deux années de leur vie professionnelle au service d'une infrastructure hospitalière publique qui leur est indiquée par cette commission d'affectation placée sous l'autorité du ministre de la Santé. Ces spécialistes fraîchement diplômés ne peuvent, en aucun cas, exercer à leur compte, s'ils n'ont pas accompli cette formalité. le calvaire des spécialistes Bureaucrate à l'excès et très éloignée des préoccupations de cette élite médicale, la commission ministérielle d'affectation ne se réunit malheureusement qu'épisodiquement, au grand dam de cette corporation qui entame sa carrière post universitaire, dans la détresse, le désenchantement et, voire même, l'humiliation de ceux qui ont longtemps trimé pour se faire une place au soleil, mais, qui se retrouvent en fin de compte relégués dans une déprimante oisiveté pouvant durer plusieurs mois. Il faut, en effet, savoir qu'une spécialité en médecine requiert plus de 14 années de coûteuses et laborieuses études médicales, au terme desquelles les étudiants concernés espèrent être payés en retour par l'exercice d'un métier valorisant et bien rémunéré. Les 1200 spécialistes, qui sortent chaque année de la dizaine de centres hospitalo-universitaires que compte le pays, sont en effet soumis depuis l'installation de cette commission au calvaire de l'attente longue et, souvent désespérée, par cette instance qui ne semble pas mesurer l'ampleur des dégâts occasionnés à une élite emblématique, qui sous d'autres cieux, symbolise la grandeur d'une nation. Le plus grave, nous apprend un membre du syndicat des médecins hospitalo-universitaires, lui-même spécialiste, est la perte du savoir-faire acquis que peut générer une longue période d'oisiveté. Un chirurgien, affirme-t-il, peut perdre sa dextérité et beaucoup de connaissances en une année de chômage forcé car, ajoute-t-il, le chirurgien a besoin de pratiques et de techniques en constante évolution. Il en est de même pour toutes les spécialités portées par les découvertes technologiques en perpétuelles mutations. Contraindre, comme c'est actuellement le cas, ces spécialistes à l'oisiveté revient à les amener délibérément sur le chemin de la régression. l'élite scientifique démoralisée Une aussi longue oisiveté forcée peut également contraindre ces spécialistes à se faire recruter clandestinement par les propriétaires de cabinets médicaux et cliniques privées qui, du reste, ne s'en privent pas, selon notre interlocuteur. Ne pouvant apposer leur griffe sur les ordonnances, ils utiliseront celle de leur employeur. La notion de responsabilité et d'éthique médicale s'en trouvent ainsi gravement altérées. Le ministre de la Santé est-il au courant des agissements de cette commission placée sous son autorité, dont les dramatiques répercussions sur la corporation des nouveaux spécialistes en médecine sont pourtant connues d'une large frange de la population algérienne, car, nombreuses sont les familles qui comptent parmi elles un ou plusieurs de ces malheureux spécialistes ? Ne serait-il pas temps de se pencher sérieusement sur cet épineux problème qui mine l'avenir médical du pays et démoralise la fine fleur de l'élite scientifique algérienne qu'un aussi grave désagrément peut naturellement pousser à l'exil ? Autre ombre au tableau, également relevée par le syndicat des hospitalo-universitaires, la lenteur mise par l'administration du service national du ministère de la Défense, à délivrer les cartes de sursis à ces spécialistes en médecine qui ne peuvent exercer leur métier sans ce précieux document, quand bien même, ils auraient enfin obtenu une affectation dans un service hospitalier du pays. Une instruction aurait été donnée aux hôpitaux publics par un haut responsable du ministère de la Santé, afin qu'ils installent les spécialistes qui leur sont affectés sans exiger ce sursis, mais peu de responsables acceptent d'appliquer cette directive, pourtant inspirée des récents propos du chef de l'Etat, qui avait ordonné qu'on permette à ces jeunes spécialistes de rejoindre leur poste d'affectation, même s'ils ne sont pas munis d'une carte de sursis.