Un peu plus d'un mois après avoir rappelé son ambassadeur à Caracas et fermé définitivement à la mi-janvier son ambassade dans la capitale vénézuelienne, le Royaume chérifien a rompu, vendredi, et d'une manière spectaculaire toute relation diplomatique avec la République islamique d'Iran. Une réaction que d'aucuns qualifient de «disproportionnée» au vu de la teneur réelle de ce conflit qui, au départ, n'engageait que le richissime royaume de Bahreïn et la puissance iranienne. Retour sur un imbroglio diplomatique Lorsque Nategh Nouri, responsable du Bureau du guide suprême de la révolution iranienne, évoquait dans des termes nostalgiques les liens historiques entre l'Iran et le Bahreïn, il ne s'attendait certainement pas à une réaction aussi virulente de la part du lointain Maroc. L'ancien président du Parlement iranien et candidat malheureux à la présidentielle de 1997 déclarait, lors des fêtes de la commémoration du 30e anniversaire de la révolution islamique, que le Bahreïn «était (avant la révolution) la 14e province de l'Iran et avait même un député au Parlement iranien (…)». Le roi Mohammed VI, très proche de la famille royale de Bahreïn, (l'Iran est l'un des premiers Etats à avoir reconnu le Bahreïn en 1971, ndlr) se fond quelques jours après en communiqués d'une rare virulence à l'égard des autorités iraniennes dans lesquels il réitère sa solidarité entière au roi de Bahreïn, Hamad Ibn Aïssa Al Khalifa. «Partant des liens solides de la fraternité sincère, de la solidarité agissante et de la foi inébranlable en le destin commun entre nos deux royaumes frères, nous exprimons à Votre Majesté notre extrême préoccupation des déclarations suspectes et dangereuses qui ont émané, ces derniers temps, de certains milieux iraniens qui ont voulu attenter à l'inviolabilité et à la souveraineté du royaume de Bahreïn frère et à la sacralité de sa sécurité régionale et territoriale», a souligné le souverain marocain, le 20 février dernier, dans un déclaration répercutée par l'agence de presse marocaine MAP. Dans la même déclaration et dans un langage qui bouscule les usages diplomatiques, le roi qualifiera aussi d'«abjectes» les assertions du responsable iranien. En plus du Maroc, d'autres Etats monteront, non sans retenue, au créneau pour dénoncer «l'ingérence» iranienne. Parmi eux figurent la Libye et la Russie. Mouaâmmar El Kadhafi, le guide de la révolution libyenne, affirmait pour sa part qu'«il n'a pas lieu de remettre en doute l'arabité de Bahreïn», alors que le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, soulignait que les déclarations du responsable iranien portaient «atteinte à la souveraineté de Bahreïn». Crise ouverte et «lune de miel» entre le Bahrein et l'Iran Pour éviter une crise ouverte avec Bahreïn, l'Iran prend les devants. Le 22 février, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Manama, Amir Hussein Abdelahyane, l'Iran fera savoir (dépêche de l'Agence officielle de Bahreïn, BNA) au ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Cheïkh Khaled Ben Ahmed Al Khalifa, qu'il respectait sa souveraineté et qu'il ne voulait pas «rouvrir les dossiers du passé» concernant ses revendications sur ce royaume arabe du Golfe. La hache de guerre est de nouveau enterrée et Bahreïn renoncera aussitôt aux mesures de rétorsion prises à la suite des déclarations de Nouri, à savoir, entre autres, la suspension des négociations sur l'importation de gaz iranien. Avec le Maroc par contre, le conflit s'emballe et les rapports s'enveniment. Deux jours avant la nouvelle «lune de miel» entre Bahreïn et l'Iran, le 20 février, et en réaction au communiqué du roi du Maroc, le directeur du département Afrique du Nord de la diplomatie iranienne convoque le chargé d'affaires marocain à Téhéran pour «lui faire part de la surprise et du mécontentement de la République islamique.» Le Maroc décide en représailles de rappeler «en consultation pour une semaine son chargé d'affaires» à Téhéran. Tayeb Fassi Fihri, le ministre marocain des Affaires étrangères, convoque, le 25 février, l'ambassadeur d'Iran à Rabat, Vahid Ahmadi, pour lui faire part de ses «protestations». Fassi Fihri exprime également le «vif étonnement» du Maroc au sujet de «certaines expressions inopportunes contenues dans le premier communiqué du MAE iranien du 20 février». Dans le communiqué en question, aucune trace «d'expressions inopportunes», hormis peut-être les déclarations de Mohamed Boudrif, le chargé d'affaires marocain, reproduites à dessein par les autorités iraniennes. Boudrif aurait déclaré à l'issue de sa rencontre avec le directeur du département Afrique du Nord que «son pays (le Maroc) souhaitait renforcer ses relations avec la République islamique d'Iran… un Etat qui détient dans la région, une puissance, une histoire et une civilisation». Une phrase jugée visiblement de trop par le souverain marocain. Les retrouvailles chaleureuses entre Bahreïn et l'Iran : visite du ministre de l'Intérieur iranien à Bahreïn, suivie le 27 février dernier de la visite à Téhéran du ministre de Bahreïn des Affaires étrangères, ont décidément rendu plus amère la monarchie marocaine. Le rapprochement algéro-iranien et ses perspectives de coopération multiforme qu'il promet ne semblent pas également étrangers à cette levée de boucliers soudaine contre l'Iran. Dans l'œil du cyclone, l'Iran doit aussi faire face à la coalition des pays arabes alliés des Etats-Unis. Le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud Al Fayçal, exhortait le 4 mars dernier les pays arabes à l'union pour faire face au «défi iranien». Le conflit diplomatique entre le Maroc et l'Iran ne cache-t-il pas une entreprise globale et concertée visant à isoler la puissance iranienne ? En fait, tout porte à croire que le Maroc a saisi un prétexte — les déclarations de Nouri — pour rompre ses relations diplomatiques, normalisées début des années 1990, avec le régime iranien, un régime accusé en outre de faire dans le prosélytisme chiite dans la région du Maghreb. Le ministre des Affaires étrangères marocain a dénoncé, samedi dernier, sur les ondes de Medi 1 «les actions et l'activisme de la République islamique d'Iran qui portent atteinte à l'unité du rite malékite dans les pays du Maghreb».