Colère et consternation : c'est ainsi que les travailleurs de Sonatro ont réagi aux lettres de licenciement adressées par la direction de leur entreprise. Ayant entamé un mouvement de protestation depuis le mois d'avril dernier pour dénoncer la « faillite programmée » de cet ancien fleuron de l'économie algérienne, près de 320 travailleurs – selon les chiffres du syndicat – ont été rendus destinataires d'une décision de radiation pour « abandon de poste ». Devant le grand portail de l'entreprise des travaux publics, lieu de leur sit-in quotidien, ils livrent leurs commentaires : « C'est une décision arbitraire. La commission ad hoc, qui a pris cette décision, a été créée sur mesure. Elle n'existe nulle part, ni dans le règlement intérieur ni dans la convention collective. » Ils rappellent qu'ils ont entamé un mouvement de protestation pour dénoncer les conditions de travail inhumaines, le gel des œuvres sociales ainsi que l'oppression et l'injustice qui sont le lot quotidien des travailleurs. Ils regrettent que les chantiers soient bloqués dans de nombreuses régions du pays et craignent la « disparition » de l'entreprise. Aujourd'hui, ils disent vouloir remettre leur sort entre les mains du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. « Nous attendons l'intervention du Premier ministre. On ne sait pas à quel niveau notre dossier est bloqué. Sonatro a besoin d'un sauveur », a lancé l'un des travailleurs licenciés. Ils signalent le fait qu'ils n'ont pas perçu leur salaire depuis le mois de mars. « Même pour les précédents salaires, c'est l'Etat qui nous a payés et non l'entreprise », ont-ils souligné. Un mécanicien nous montre sa fiche de paie : le salaire net est de l'ordre de 9900 DA. Il se plaint de la marginalisation, la hogra et la faim. « Depuis le 14 avril, nous avons, pour seul déjeuner, du pain et de l'eau », ont clamé les travailleurs qui comparent leur situation à un « chômage déguisé ». Autre anomalie : la plupart des travailleurs sont aujourd'hui en congé. Certains, près de 700, dit-on, auraient obtenu un congé de récupération par anticipation. Selon les protestataires, « tous les chantiers de Sonatro sont bloqués, d'Alger à l'extrême Sud ». Les travailleurs gardent néanmoins l'espoir de voir ce géant, qu'était Sonatro, se redresser. « Avec de bons gestionnaires, l'entreprise pourra reprendre ses activités », clame-t-on. Pour l'heure, Sonatro fonctionne au ralenti. Alors qu'il devait être bouclé en six mois, le chantier de Corso cumule plus de trois ans de retard. « Lorsqu'on se plaint aux responsables, ils nous répondent que dans la mesure où nous percevons nos salaires, nous n'avons pas à nous préoccuper du reste », ont expliqué encore les travailleurs de Sonatro. « Tout ce qui importe à nos responsables c'est les voitures, les portables et les bons d'essence », ont-ils dit. « Le problème de Sonatro c'est son syndicat ! » Les responsables de l'entreprise livrent une version complètement différente des faits. Selon Miloud Azzal, directeur de Sonatro, « le problème de l'entreprise réside dans son syndicat ». Il explique que les travailleurs ont été licenciés « pour abandon de poste, conformément au règlement intérieur de l'entreprise ». Il décrit les protestataires comme des personnes ayant « poussé le ridicule trop loin ». Pour lui, le mouvement de protestation déclenché par le syndicat est « illégal ». « Une protestation dure, tout au plus, une ou deux heures. Elle ne tient pas de nombreux mois », a souligné M. Azzal. Même s'il confirme que l'entreprise connaît des problèmes de trésorerie, le directeur de Sonatro soutient que les « chantiers ne sont pas à l'arrêt ». « Le déficit qui existe dans l'entreprise n'est pas lié à la mauvaise gestion. Il est facile d'asséner des accusations sans preuve écrite. Il y a un problème de trésorerie. Le bitume coûte cher. Nous avons des dettes, notamment envers Naftal qui tournent autour de 20 milliards de dinars », concède M. Azzal. Il soutient que Sonatro rapporte encore de l'argent. Le mois passé, elle a engrangé plus de 20 milliards de dinars. « Il est facile de dire qu'à Sonatro le directeur n'est pas bon, mais le véritable problème c'est que les gens ne travaillent pas », a affirmé M. Azzal. Il estime qu'il est encore possible de sauver Sonatro. Un plan de redressement a été récemment élaboré. « S'il est mis en œuvre, l'entreprise sera encore meilleure qu'avant », a-t-il dit. Même s'il assure qu'il est prêt à négocier avec les travailleurs protestataires, la rancune est tenace. Il cite notamment le projet de l'aérogare de Tindouf qui a été, d'après ses dires, résilié à cause d'une grève des employés. « Les militaires ne badinent pas avec les délais de livraison. Le contrat a été résilié à cause du retard qu'ont entraîné les trois mois de grève déclenchés en 2007 », a soutenu M. Azzal. Seul point sur lequel les deux antagonistes sont d'accord : une entreprise qui détient un matériel de plus de 250 milliards de dinars ne doit pas disparaître.