La tension dans les relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis, apparue à la suite de la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul, en octobre dernier, n'est pas près de connaître son épilogue. Elle pourrait déboucher sur une crise institutionnelle à Washington. Alors que le monde entier pointe du doigt l'implication de Mohammed Ben Salmane, le tout- puissant prince héritier et ministre la Défense, dans cet assassinat, Donald Trump veut à tout prix sauver la tête de celui qui est devenu un relais de la politique des Etats-Unis et d'Israël dans le Proche-Orient. Pour justifier sa compromission, le locataire de la Maison-Blanche prétexte «la solidité des relations américano-saoudiennes» et l'accord conclu récemment avec Riyad et qui prévoit des livraisons d'armes et d'équipements pour 450 milliards de dollars. Mais l'Amérique n'est pas prête à vendre son âme au diable pour de l'argent et le fait savoir. Pour la première fois depuis son élection, le milliardaire américain doit faire face à une sérieuse fronde au sein même du parti républicain. Les sénateurs ont entendu cette semaine à huis clos la directrice de la CIA, Gina Haspel, et le secrétaire à la Défense, James Mathis, sur l'affaire. Ils sont arrivés à la conclusion que le commanditaire de l'assassinat du journaliste du Washington Post n'est autre que Mohammed Ben Salmane. L'un d'entre eux, Lindsey Graham, pourtant ami de Trump, l'a traité de «fou et de dangereux» qui a mis les relations américano-saoudiennes «en danger». Un autre républicain, Bob Corker, président de la puissante commission des affaires étrangères du Sénat, a affirmé qu'au vu des preuves recueillies, un jury américain condamnerait MBS «en moins de 30 minutes». Un autre sénateur, démocrate celui-là, Chris Murphy, a estimé qu'il «est impossible que le meurtre ait été commis sans l'accord et les instructions de Mohammed Ben Salmane». Dans ce climat qui pointe sévèrement du doigt le comportement du régime wahhabite, un autre problème pour Riyad pourrait surgir dans les jours qui viennent. En effet, à cause des horreurs perpétrées par la coalition arabe (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Egypte, Maroc) au Yémen contre l'un des peuples parmi les plus pauvres de la planète, le Sénat américain examinera la semaine prochaine une résolution qui interdira les ventes d'armes à Riyad. Ce sera la première fois que des sanctions américaines de cette nature viseront le royaume wahhabite, pourtant considéré comme un allié «stratégique et indéfectible» de l'Oncle Sam. Si elles sont adoptées, ce sera une coup dur pour Trump qui a préféré l'argent des Saoudiens à l'honneur de l'Amérique. Les débats en cours sur les relations entre les deux pays n'augurent rien de bon pour l'avenir de MBS. Il pourrait se retrouver avec un mandat d'arrêt international sur le dos, avec comme première conséquence la saisie de tous ses biens aux Etats-Unis. Depuis le coup d'Etat au palais, qui lui a permis d'écarter tous les princes des centres de décision, une opération que Trump se vante d'avoir organisée, Mohammed Ben Salmane est devenu arrogant et s'est cru tout permis, au point qu'il a tenté de redessiner la carte du Proche-Orient en demandant, par exemple, aux Palestiniens de renoncer à leur demande visant à faire de Jérusalem la future capitale de la Palestine. Une trahison destinée à faire plaisir à Israël, dont il est devenu l'agent en échange de sa protection. Une affaire qui n'est pas encore finie.