Ancien chef de l'Etat durant « la transition démocratique » d'août 2005 à avril 2007, directeur de la Sûreté nationale pendant plus de 20 ans sous la férule d'Ould Taya, chouchou des Occidentaux depuis qu'il a remis le pouvoir aux civils, le colonel Ely Ould Mohamed Vall veut retourner au pouvoir par les urnes. L'accord de sortie de crise signé le 4 juin à Nouakchott lui offre une chance inouïe. L'élection présidentielle prévue pour le 6 juin a été reportée en vertu de cet accord au 18 juillet. Et c'est une élection « consensuelle » à laquelle prendront part à la fois les meneurs du coup d'Etat du 6 août 2008 – contre le président élu démocratiquement Sidi Ould Cheikh Abdellahi – et les antiputsch ayant rejeté la première échéance électorale fixée unilatéralement par les auteurs du coup d'Etat. Sa candidature à l'élection présidentielle du 18 juillet prochain n'est donc pas une surprise aux yeux des Mauritaniens, convaincus qu'il n'a quitté le pouvoir que pour mieux y retourner. Mais le colonel affirme que sa candidature n'a jamais été calculée à l'avance : « J'ai désiré et voulu à tout prix me retirer de la vie publique dans la mesure où la transition 2005-2007 a mis en place tout un processus de démocratisation. Malheureusement, ce processus a été mis à bas le 6 août 2008. Je propose ainsi mes services afin d'aider mon pays à sortir de cette crise qui est majeure et grave. » Placide et éloquent, il explique les raisons pour lesquelles, il se trouve aujourd'hui face à son vieux compagnon d'armes et cousin le général Ould Abdelaziz. Pour lui, la démocratie en Mauritanie « n'est pas une simple vue de l'esprit ». Le colonel estime que l'avenir de son pays se jouera à la prochaine présidentielle. Vous êtes candidat à l'élection présidentielle du 18 juillet. Pourquoi maintenant ? Je me suis présenté maintenant pour des raisons très simples. J'avais dit et répété à tous les Mauritaniens qui, à chaque fois, me le demandaient, que je ne me présenterai jamais à une élection qui n'est pas consensuelle dans un processus politique qui est accepté par les Mauritaniens et qui se déroule dans des conditions acceptables pour les Mauritaniens et avec leur participation. C'est pourquoi, avant que le dernier accord ne soit intervenu, je n'ai jamais voulu participer à la tentative de faire une élection avant l'heure ; une élection dans un sens unilatéral. Avez-vous déjà mis dans votre agenda la perspective de briguer un mandat présidentiel ? Absolument pas. J'ai désiré et voulu à tout prix me retirer de la vie publique dans la mesure où la transition 2005-2007 a mis en place tout un processus de démocratisation. J'ai renoncé donc de me présenter pour faciliter l'alternance politique ; pour qu'il y ait les conditions d'une alternance politique future et pour qu'il y ait un état d'esprit nouveau dans notre pays. Malheureusement, ce processus a été mis à bas le 6 août 2008. Par conséquent, dans ces conditions aujourd'hui la seule façon pour le pays de sortir de cette crise, c'est d'aller de nouveau vers une nouvelle élection. Cette nouvelle élection a été rendue possible grâce au dernier accord qui est intervenu entre l'ensemble des acteurs politiques dans le pays. A partir de là et à partir de la situation dans laquelle se trouve notre pays, il est tout à fait naturel que je propose mes services afin d'aider mon pays à sortir de cette crise qui est majeure et grave. Cette élection suffira-t-elle pour surmonter la crise dans laquelle se débat la Mauritanie depuis dix mois ? Suffira-t-elle pour le retour de la stabilité dans le pays ? Je pense que cela dépendra des Mauritaniens. S'ils savent prendre la bonne décision, s'ils savent confier leur destinée à des gens qui ont la capacité de la gérer, de mener le pays vers des horizons nouveaux dans une réconciliation nationale et avec une action soutenue à la fois politique à l'intérieur et à l'extérieur, je pense que notre pays peut très facilement sortir de cette crise et se remettre au travail. Est-ce que vous avez eu assez de garanties pour un scrutin transparent ? Je peux vous dire que pour le moment je ne sais pas encore comment le scrutin va se dérouler. Une chose est sûre, c'est qu'il y aura la supervision et le contrôle à la fois national et international des différentes étapes du processus électoral. A partir de là, nous espérons que le scrutin sera transparent. Quel est votre plan d'action pour (re) conquérir le palais présidentiel ? Avez-vous déjà élaboré un programme ? Le pays est dans un état de délabrement politique et économique. Il s'agit pour moi de redresser le pays politiquement et économiquement et d'entreprendre toutes les actions subséquentes. A l'heure où je vous parle, toutes les actions sont définies et prêtes à l'application. Et dès que les résultats seront connus, et s'ils allaient dans notre sens, elles seront mises en application. Justement, la principale raison invoquée par les meneurs du coup d'Etat du 6 août 2008, à leur tête le général Ould Abdelaziz, était la situation socioéconomique du pays jugée chaotique…S'il (le général) prétend que c'est pour la situation politique ou la situation socioéconomique du pays, je regrette de dire que, lui, il a mené le pays sous embargo international. Et il a ruiné le pays à l'intérieur, parce que la Mauritanie est aujourd'hui complètement à genoux. Avant, un euro valait 325 ouguiyas. Aujourd'hui, un euro s'échange à environ 410 ouguiyas. Il y a une inflation galopante et une stagnation économique totale. Bref, il n'y a plus aucune activité économique. Quelle solution avait-il pour régler le problème. Au contraire, jusqu'à présent, il n'a fait qu'utiliser ce qu'il a trouvé devant lui. Aujourd'hui, le pays est complètement déserté par les investisseurs étrangers et les coopérateurs internationaux. Alors, c'est cela régler les problèmes économiques, eh bien je crois que c'est un peu fort comme résultat ! Un tel résultat n'est nullement à la hauteur de l'ambition affichée. Vous avez dénoncé le coup d'Etat du 6 août 2008 en disant que « si l'on persiste dans cette trajectoire, le pays va être davantage enfoncé dans un tunnel bouché ». Pouvez-vous nous expliquer quelle est la différence entre ce dernier coup d'Etat et celui auquel vous avez pris part le 3 août 2005 pour déposer le président Maâouiya Sid'Ahmed Ould Taya et que vous avez toujours qualifié de « changement » ? Je pense qu'il n'y a rien de comparable entre ces deux situations. Au moment où nous avons procédé au changement du 3 août 2005, les idées étaient très claires. Les conditions dans lesquelles se trouvait le pays étaient très claires. La Mauritanie, à cette époque-là, était presque dans un état d'exception parce que le régime n'avait aucune légitimité et il avait atteint la limite de ses possibilités et nous étions déjà en crise. Il fallait donc à la fois réformer l'Etat mauritanien et la société mauritanienne et c'est ce que nous avions fait en formulant tout de suite les objectifs de ce changement qui étaient très clairs. Il ne s'agissait absolument d'aucune idée de légalisation du pouvoir nouvellement venu. Il s'agissait de réformer l'Etat et les institutions mauritaniennes. Il s'agissait aussi de changer la mentalité des Mauritaniens vers une nouvelle société ouverte où l'Etat de droit doit prévaloir. Donc, tout le monde y a adhéré tout de suite et nous sommes partis dans un consensus dès le premier jour jusqu'au dernier jour. Et par conséquent, le pays n'est pas rentré en crise. Mais il est plutôt sorti d'une crise. Le « changement » du 6 août 2008 a en revanche fait basculer le pays d'une situation politique stabilisée et ouverte vers une crise majeure. En 2005, on est sorti d'une crise dans un processus extrêmement consensuel entre les Mauritaniens. En 2008, on est rentré dans une crise où il y a confrontation à la fois entre la classe politique mauritanienne et la communauté internationale. Toute la différence est là. Croyez-moi, elle est très grande. L'élection présidentielle de 2007 a été applaudie par la communauté internationale qui voyait dans sa réussite une véritable avancée dans le processus de démocratisation de la Mauritanie. Mais à cette époque-là déjà les observateurs les plus avertis disaient que Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, auquel vous avez remis le pouvoir après avoir été élu, a-t-il été adoubé par les militaires. Qu'en pensez-vous ? Ces propos qui avaient été tenus à l'époque pour justifier un certain nombre de choses n'avaient aucun fondement. La communauté internationale était là. Tout le monde sait que ce qui était essentiel à cette époque c'est que les moyens de l'Etat n'ont été utilisés au profit de quiconque. L'administration, de l'avis et du point de vue des observateurs nationaux et internationaux, des candidats et de la classe politique, avait été totalement neutre. Autrement dit, l'Etat, dans sa globalité aussi bien par ses moyens humains et matériels, avait été neutre. Maintenant, les suspicions et les supputations, on peut en faire autant qu'on veut. Ce qui m'importe, c'est que l'élection de 2007, et ce n'est pas moi qui le dis, s'est déroulée dans une totale transparence et une neutralité reconnue de tous. La démocratie est-elle possible en Mauritanie. N'est-elle pas un leurre, une utopie, comme le disent certains observateurs ? Je n'adhère pas à une telle thèse. Je crois que les Mauritaniens ont déjà administré une leçon très forte à tous ceux qui disent cela, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur. De 2003 à 2005, tout le monde développait cette idée. Mais les Mauritaniens ont démontré que la démocratie n'est pas une vie de l'esprit pour eux et ont prouvé qu'ils ont été tout à fait capables d'atteindre le degré le plus élaboré de la démocratie et de le réussir dans la paix civile et dans le comportement collectif le plus adéquat. Chacun pourra dire ce qu'il a envie de dire, mais l'histoire a démenti cette opinion et je crois que l'avenir le démentira aussi. Dans ce climat de réconciliation nationale, êtes-vous d'accord pour le retour de l'ancien président Maâouiya Sid'Ahmed Ould Taya et pour sa participation à la prochaine présidentielle ? Au deuxième ou troisième jour du changement de 2005, j'ai dit que le président Ould Taya est un citoyen mauritanien. Il a le droit et même le devoir de vivre respecté et dans des meilleures conditions dans son pays. Autrement dit, dans les mêmes conditions que n'importe quel autre ancien chef d'Etat, avec tous ses droits civils et politiques. Je l'ai dit le premier jour du changement et à forte raison aujourd'hui. Comment trouvez-vous cette nouvelle situation politique du pays ? Je pense que notre pays est devant un choix : soit il opte pour une solution qui met fin aux errements politiques du pays et qui inscrit le pays dans une perspective de solution politique définitive ou il prend la solution qui engage le pays dans la crise dont il ne sortira jamais et dont les conséquences peuvent être extrêmement douloureuses.