Pour le premier cours de sagesse et de savoir-faire à l'adresse de l'homme, il a fallu donc faire intervenir un témoin, autrement dit, un volatile pour démêler les fils du crime et en subir en même temps toutes les péripéties, mais au profit de l'homme. Ce fut là, le seul bon point inscrit à l'actif du malheureux corbeau, puisqu'il a toujours été considéré, sous toutes les latitudes, comme créature de mauvais présage. Une tradition pour le moins ancestrale qui a pris racine dans les esprits, même lorsque l'on feint de ne pas y ajouter grande foi. On ne lui reconnait toujours pas ses deux qualités premières, fortement liées à la vie de l'être humain, celle d'avoir donné la première leçon à toute l'humanité en montrant que celui qui a été créé de terre ne devait que revenir à cette dernière, sobrement et honorablement, et bien sûr la faculté de pouvoir vivre en communauté véritablement cimenée, comme le démontre l'ornithologie de notre temps. C'est donc à une espèce d'exercice sémantique de toute l'existence que l'être humain est convié à chaque instant qu'il est confronté au corbeau. La forte noirceur de son plumage ainsi que son croissement à la limite de la stupidité ont fait de ce volatile le signe même du malheur en dépit du fait qu'il arrive parfois, que ce triste ramage soit le miroir de l'homme lui-même. Un poète de l'ère préislamique, désabusé et mal dans son âme, n'invite-t-il pas le corbeau à lui prêter ses ailes pour qu'il puisse voler à la rencontre de sa bien-aimée ? Quant au philosophe andalou, Ibn Touffail (1105-1185), il a, pour sa part, eu recour au corbeau dans son fameux roman, Hay Ibn Yaqdhan, pour donner à son héros les premières leçons de sagesse au milieu d'une île déserte. Il n'a pas eu besoin de recourir à un oiseau mythique, comme le Simorg d'Ibn Sina ou de Farid Eddine Al Attar, pour racler le fond de sa pensée et la mettre à la portée de l'homme. Car il savait qu'une idée avait d'autant plus de chances de se faire vraie dans la vie de l'homme qu'elle pouvait s'exprimer simplement. Et le corbeau a été, pour lui, la simplicité même. Ce volatile est logé à la même enseigne en littérature occidentale. En effet, on y marque toujours une nette préférence pour tout ce qui est négatif dans son statut, à l'exception, peut-être, de cet élément architectural, appelé corbeau, qui est une technique de support tant recherchée dans les grands édifices, (banques, musées, églises, etc.). Que l'on soit « corbeau », c'est-à-dire, auteur anonyme ou « nègre » de l'écriture, ou encore délateur par des lettres anonymes, rien n'y fait. Le statut ancestral ne risque pas de changer, surtout depuis que Jean de la Fontaine l'a, en quelque sorte, rendu intangible avec ses deux grands poèmes didactiques Le renard et le corbeau et Le corbeau qui voulait imiter l'aigle Et si Edgar Alan Poe (1809-1849) a réussi à donner une autre touche à ce volatile dans son fameux poème éponyme, c'est en faisant de lui une créature chimérique, à sa propre image de poète à la recherche de ce qui demeurait insondable dans une civilisation naissante qui n'arrivait pas à s'orienter, à se fixer un objectif précis sinon en recourant à la violence dans tout son parcours. En dépit de tout, le corbeau, contrairement à tout ce qui a été galvaudé à son encontre, nous invite à un réapprentissage continu de la pensée, et de la manière de vivre en général. On a toujours besoin d'un plus oiseau que soi…