La troupe Taje de Tipasa, récompensée par un prix, a eu le mérite de bousculer les ronrons de cet art. Le coup de cœur du jury du Festival national de théâtre de marionnettes exprimé par l'octroi du prix qui porte son nom à la troupe Taje de Tipasa était certainement des plus pertinents. Quoique inabouti par certains aspects de l'écriture et de la mise en scène, Vava Inouva, son spectacle, n'a pas manqué en efficacité dramaturgique. Fait remarquable, c'était le seul qui a été donné en live et non en playback pour les dialogues et la musique. Mais ce qui est le plus remarquable, c'est que Taje ait abordé sans complexe la question de la représentation de la violence au théâtre de marionnettes, un genre dédié exclusivement à l'enfance en Algérie. Dans Vava Inouva, un conte de Kabylie, un lion cherche à tromper la vigilance de Inouva pour le dévorer. Ce dernier puni par la djemaâ à demeurer seul en forêt sur un rocher, ses enfants construisirent une cabane pour l'y protéger des bêtes féroces. Ghriba, sa fille, est chargée de lui rapporter sa nourriture. Le lion réussit par la ruse à arriver à ses fins. La lutte de Inouva contre le fauve est véritablement stressante. Une dizaine de gamins âgés de moins de 3 ans, non admis en principe en deçà de cet âge au spectacle, ont été sortis en catastrophe par leurs parents. Cela a fait débat et c'est tant mieux, ce qui change de ces spectacles sans relief et infantilisants que les artistes de théâtre de marionnettes montent pour pouvoir avoir accès au circuit des établissements scolaires, le seul à travers lequel ils se produisent. Ceci expliquant cela, Taje, elle, n'est pas admise dans les établissements publics mais par, contre elle, est programmée sans difficulté au sein des crèches et maternelles du secteur privé de l'Algérois. Néanmoins, pour aussi stressant qu'il soit, Vava Inouva se termine en happy end avec une catharsis accomplie. La victoire de l'intelligence sur la force brutale s'impose en morale sous-jacente. Les marionnettistes sortent à ce moment de derrière le castelet pour montrer que tous les personnages étaient fictifs, des poupées en éponge. Pendant ce temps, Irina Lalimi, l'animatrice de la troupe, passe dans les travées de la salle de spectacle pour distribuer des sucettes et calmer les peurs. Lalimi ne s'explique pas l'autocensure en matière de représentation : « Mais, vous savez, les enfants sont confrontés tous les jours à la violence à travers les chaine de télévision. Tenez, mon jeune enfant reçoit sur son mobile, à l'instar de beaucoup d'autres, des photos et autres vidéos d'une atrocité inouïe ! » Autre remarque, le conte bien de chez nous, immortalisé par la chanson de Idir, n'a pas été reconnu pour tel par les festivaliers. D'aucuns ont soutenu mordicus qu'il s'agissait du Petit Chaperon rouge, oubliant que les contes du pourtour méditerranéen partagent un fonds commun. Fallait-il que ce soit une Russe mariée à un Algérien qui vienne rappeler aux Algériens leur patrimoine ? L'intrusion bienvenue d'Irina, Potemkina de son nom de jeune fille, contribuera-t-elle à faire évoluer les choses dans le théâtre de marionnette algérien, à l'instar, toutes proportions gardées, de la mutinerie du fameux cuirassé Odessa ?